La technique du « client mystère » a été développée aux États-Unis, initialement dans le secteur privé, dans les années 1940 avant de conquérir, par la suite, le secteur public. Le dispositif consiste en ce qu’un faux client (mystère donc) se présente, sur la base d’un scénario, comme un usager ordinaire et il observe la totalité du processus de visite, en ayant en tête des critères de mesure. Il regarde, il écoute, il échange avec son interlocuteur, il s’informe, il peut même exprimer une plainte, etc... Il joue un rôle qui l’amène à observer la manière dont le processus se déroule, dans sa totalité ou en partie, de manière anonyme. Par la suite, il retranscrit ses observations et le cas échéant son ressenti dans une grille d’observation prédéfinie.

Maître Johan Zenou expert en droit du travail à Paris 20ème se penche sur les nuances du client mystère validée par la Cour de cassation et les critères juridiques qui déterminent si les méthodes utilisées par les entreprises respectent ou non ces droits fondamentaux.

I. Transparence et consentement des salariés

 

Plus particulièrement en droit du travail, cette technique est utilisée afin de contrôler l’activité des salariés. A ce titre, il est de notoriété publique que le contrôle de l’activité des salariés est un droit inhérent au pouvoir de direction de l’employeur, sous réserve du respect du principe de loyauté. Ce dernier suppose, d’une part, que l’employeur n’ait recours à aucun stratagème visant à placer le salarié dans une situation qui puisse ultérieurement lui être reprochée et d’autre part, que les salariés aient été préalablement informés du dispositif de contrôle mis en place (C. trav., article L. 1222-3 et L. 1222-4). Si ces conditions ne sont pas respectées, le moyen de preuve ainsi obtenu est illicite et ne peut être invoqué à l’appui d’une sanction disciplinaire.

A cet égard, et par un arrêt récent du 6 septembre 2023, la Cour de cassation valide le recours par l’employeur à la méthode du « client mystère » dès lors que le salarié a été préalablement averti du procédé. En l’espèce, le salarié d’une chaîne de restaurants est licencié pour motif disciplinaire en raison du non-respect des procédures d’encaissement des clients. Il conteste cette mesure, au motif que l’employeur avait eu recours pour le piéger. L’employeur avait sollicité les services d’une société qu’il avait expressément mandatée pour effectuer des contrôles en tant que « client mystère ». Bien que le salarié reproche à l’employeur de ne pas l’avoir informé au préalable de la mise en œuvre de cette technique d’évaluation, ses arguments n’ont convaincu ni la cour d’appel, ni la Cour de cassation. 

Au contraire, la haute juridiction valide même cette pratique dès lors qu’elle a pu constater que l’employeur avait informé le Comité d’Entreprise, désormais Comité Social et Économique, de l’existence de ce dispositif et qu’il avait préalablement communiqué une note d’information aux salariés sur le recours, expliquant son fonctionnement et son objectif. Partant, l’information régulièrement donnée aux salariés permet de rendre licite un mode de preuve qui, à défaut, aurait inévitablement été écarté.

II. Les précédents juridiques de la Cour de cassation

 

S’il s’agit, certes, de la première fois que la Cour de cassation se prononce sur une telle pratique, la solution adoptée n’est pourtant, in fine, pas nouvelle. En effet, depuis l’arrêt Néocel (Cass. Soc., 20 nov. 1991, n°88-43.120), il est de jurisprudence constante que l’employeur ne peut produire en justice une preuve obtenue à l’insu du salarié ; celle-ci ne pouvant être clandestine. Par conséquent, la Cour de cassation se montre, de prime abord, hostile à l’utilisation d’un mode de preuve de la faute du salarié, même lorsque l’information préalable de celui-ci n’est pas exigée.

 

La difficulté réside cependant dans le respect ou non du principe de loyauté dans l’administration de la preuve : le recours à un client mystère pourrait, en effet, être appréhendé et déclaré en soi illicite. La Cour de cassation ne prend toutefois pas position. Elle a, par le passé, certes considéré que ce mode de preuve illicite mais en relevant dans le même temps son caractère clandestin (Cass. Soc., 4 juill. 2012, n°11-30.266 ; Cass. Soc., 18 mars 2008, n°06-45.093 et n°06-40.852Cass. Soc., 6 févr. 2013, n°11-23.738). Autrement dit, et comme l’arrêt objet du présent article le démontre, lorsque l’employeur prévient en amont les salariés du recours à un client mystère, il se trouve très largement dépouillé de son caractère clandestin et donc déloyal. Dès lors, la Haute juridiction approuve cette pratique. 

En définitive, l’arrêt du 6 septembre 2023 apparaît comme une simple confirmation de jurisprudence. Il n’est que l’illustration a contrario de la règle selon laquelle l’employeur ne peut utiliser un mode de contrôle du salarié à son insu. Autrement dit, la loyauté d’un mode de preuve, comporterait-il un tour de passe-passe juridique ? Peut être déduite de l’information préalable délivrée par l’employeur ; sa transparence lui ôtant alors une bonne part de sa déloyauté.

Les autres disciplines du droit ne font pas exception à la pratique du « client mystère ». A ce titre, la chambre criminelle a récemment retenu que le recours à la méthode du « client mystère » par des agents habilités n’est pas déloyal dès lors que ce procédé a été utilisé sans provocation à l’infraction et sans contournement ni détournement de procédure ayant pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l’un des droits essentiels ou à l’une des garanties fondamentales de la personne poursuivie (Cass. Crim., 27 juin 2023, n°22-83.338). 

La chambre commerciale, appelée également à se prononcer sur le recours au « client mystère » pour mettre à jour des actes de concurrence déloyale, a écarté ce mode de preuve au motif que l’enquêteur, étant rémunéré par le demandeur était de nature à faire douter de la neutralité du comportement de l’enquêteur (Cass. Com., 10 nov. 2021, n°20-14.669). Ainsi, ce n’est pas tant l’information préalable que l’impartialité du client mystère qui pourrait être en débat. Or en droit du travail, c’est évidemment l’employeur qui rémunère le prestataire.

Il n’en demeure pas moins que, même si le procédé du client mystère était déclaré déloyal, la preuve alors obtenue ne serait pas systématiquement écartée des débats. Le droit à la preuve permet parfois à l’employeur de se prévaloir d’un mode de preuve qu’il a obtenue sans respecter scrupuleusement ses obligations légales (Cass. Soc., 25 nov. 2020, n°17-19.523). En serait-il de même d’un stratagème déloyal ? L’arrêt ne livre aucune réponse et il faudra attendre la position de l’Assemblée plénière puisque la chambre sociale a récemment renvoyé deux pourvois concernant l’articulation du droit à la preuve et le principe de loyauté probatoire (Cass. Soc., 1er févr. 2023, n°20-20.648 et n°21-11.330).