Le préjudice de jouissance allégué par les acquéreurs ne résultait pas de la conclusion du contrat mais de son exécution non conforme aux stipulations de l'acte de vente

 

 

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 février 2023




Cassation


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 103 F-D

Pourvoi n° F 21-17.408




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023

1°/ M. [M] [D],

2°/ Mme [T] [H], épouse [D],

tous deux domiciliés [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° F 21-17.408 contre l'arrêt rendu le 30 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 13), dans le litige les opposant :

1°/ à la société J2E, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société Sfez Cohen-Addad, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], Notaires,

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Farrenq-Nési, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de M. et Mme [D], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la SCP Sfez Cohen-Addad, de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de la société J2E, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Farrenq-Nési, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 mars 2021), par acte authentique de vente établi le 23 septembre 2011 par la société civile professionnelle Sfez Cohen- Addad (le notaire), la société civile immobilière J2E (la venderesse) a vendu à M. et Mme [D] (les acquéreurs) plusieurs lots situés au deuxième et troisième étages d'un immeuble.

2. Il était mentionné dans l'acte que le lot n° 305, situé au deuxième étage, était loué à Mme [R] en vertu d'un bail conclu le 1er janvier 1974.

3. N'ayant pu prendre possession du lot n° 307 situé au troisième étage, indiqué comme libre dans l'acte de vente, mais occupé par cette locataire, les acquéreurs ont assigné la venderesse et le notaire en paiement de dommages et intérêts, sur le fondement des articles 1604 du code civil et 1382 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche, réunis

Enoncé des moyens

4. Par leur premier moyen, pris en sa deuxième branche, les acquéreurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes en paiement de dommages et intérêts contre la venderesse, alors « que l'indemnisation du préjudice de jouissance de l'acquéreur d'un bien immobilier, consécutif à l'inexécution par le vendeur de son obligation de délivrer un bien conforme à la situation locative décrite dans l'acte de vente ne saurait être subordonnée à la preuve d'un vice du consentement ; qu'en refusant d'indemniser les époux [D] de leur préjudice de jouissance, au motif qu'ils auraient échoué à établir que s'ils avaient été fidèlement informés de la situation locative du bien vendu, ils n'auraient pas acquis le bien ou l'auraient acquis dans des conditions différentes, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles 1109, 1110 et 1116 du code civil, pris dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et, par refus d'application, les articles 1147, devenu 1231-1, et 1604 du code civil. »

5. Par leur second moyen, pris en sa deuxième branche, les acquéreurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes en paiement de dommages et intérêts contre le notaire, alors « que le devoir d'information et de conseil du notaire ne se limite pas à s'assurer de l'intégrité du consentement des parties au regard de l'erreur ou du dol ; que dès lors, en prétendant déduire de ce que M. et Mme [D] auraient échoué à rapporter la preuve que, dûment informés de la situation locative du bien vendu, ils ne l'auraient pas acquis ou l'auraient acquis dans des conditions différentes, l'absence de lien de causalité entre la faute commise par le notaire et le préjudice dont il était sollicité réparation, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1604 du code civil et les articles 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1382, devenu 1240, du même code :

6. Aux termes du premier de ces textes, la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur.

7. Aux termes du deuxième, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

8. Aux termes du troisième, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

9. Pour exclure tout lien de causalité entre les fautes du vendeur et du notaire et le préjudice de jouissance allégué par les acquéreurs, l'arrêt retient que ceux-ci ont échoué à établir que, dûment informés de la mention erronée de la situation locative du bien vendu retranscrite à l'acte en contradiction avec le bail y annexé, ils n'auraient pas acquis le bien ou l'auraient acquis dans des conditions différentes.

10. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, dès lors que le préjudice de jouissance allégué par les acquéreurs ne résultait pas de la conclusion du contrat mais de son exécution non conforme aux stipulations de l'acte de vente, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Mise hors de cause

11. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société civile immobilière J2E et la société
civile professionnelle Sfez Cohen-Addad, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société civile immobilière J2E et la société civile professionnelle Sfez Cohen-Addad ;

Condamne la société civile immobilière J2E aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société civile immobilière J2E et la société civile professionnelle Sfez Cohen-Addad et les condamne à payer à M. et Mme [D] la somme de 3 000 euros ;