Conseil d'État
N° 383625
ECLI:FR:CESSR:2015:383625.20151211
Publié au recueil Lebon
3ème / 8ème SSR
M. François Monteagle, rapporteur
M. Vincent Daumas, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats
lecture du vendredi 11 décembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
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Texte intégral
Vu la procédure suivante :
La commune de Colmar a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à lui verser, à titre de provision, la somme de 523 973,71 euros au titre des frais de fonctionnement de la régie de recettes de l'Etat créée auprès de la police municipale pour percevoir le produit des amendes forfaitaires de la police de la circulation et des consignations émises par les agents de la police municipale. Par une ordonnance n° 1003148 du 14 mars 2011, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'Etat à verser à la commune de Colmar une provision de 495 775,28 euros.
Le ministre de l'intérieur a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, sur le fondement de l'article R. 541-4 du code de justice administrative, de fixer définitivement sa dette à l'égard de la commune de Colmar en soutenant que l'Etat ne lui était redevable d'aucune somme au titre des frais de fonctionnement de la régie de recettes. Par un jugement n° 1102825 du 20 février 2013, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à sa demande.
Par un arrêt n° 13NC00790 du 12 juin 2014, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la commune de Colmar contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 août 2014, 5 novembre 2014 et 13 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Colmar demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 13NC00790 du 12 juin 2014 de la cour administrative d'appel de Nancy ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le premier protocole additionnel à cette convention ;
- la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. François Monteagle, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Colmar ;
1. Considérant que la commune de Colmar a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à ce que l'Etat lui verse une provision d'un montant de 523 973,71 euros ; que, par une ordonnance du 14 mars 2011, le juge des référés a partiellement fait droit à cette demande, pour un montant de 495 775,28 euros ; que l'Etat a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, sur le fondement de l'article R. 541-4 du code de justice administrative, qu'il soit statué définitivement sur le montant de sa dette à l'égard de la commune de Colmar ; que celle-ci se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 12 juin 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté son appel contre le jugement du 20 février 2013 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a jugé que l'Etat n'était redevable d'aucune somme à son égard ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. " ; qu'aux termes de l'article R. 541-3 de ce code : " L'ordonnance rendue par le président du tribunal administratif ou par son délégué est susceptible d'appel devant la cour administrative d'appel dans la quinzaine de sa notification " ; qu'aux termes de l'article R. 541-4 du même code : " Si le créancier n'a pas introduit de demande au fond dans les conditions de droit commun, la personne condamnée au paiement d'une provision peut saisir le juge du fond d'une requête tendant à la fixation définitive du montant de sa dette, dans un délai de deux mois à partir de la notification de la décision de provision rendue en première instance ou en appel " ;
3. Considérant que si elles sont exécutoires et, en vertu de l'autorité qui s'attache aux décisions de justice, obligatoires, les décisions du juge des référés n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée ; que les dispositions précitées de l'article R 541-4 du code de justice administrative ouvrent à la personne condamnée au paiement d'une provision, dans les conditions qu'elles fixent, la faculté de saisir le juge du fond, auquel il incombe, ainsi que l'a jugé à bon droit la cour, de statuer tant sur le principe que, le cas échéant, sur le montant de sa dette ; que, lorsque le juge du fond est ainsi saisi pour fixer définitivement la dette, l'ordonnance du juge du référé provision ne peut, alors même que, faute d'appel dans les délais, elle est devenue définitive, être regardée comme passée en force de chose jugée pour l'application d'une loi qui, ayant pour objet la validation d'actes administratifs, réserve l'hypothèse des décisions passées en force de chose jugée ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, après avoir relevé que l'Etat avait saisi le juge du fond sur le fondement de l'article R 541-4 du code de justice administrative par un recours du 18 mai 2011, que l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg du 14 mars 2011 n'était pas passée en force de chose jugée et en en déduisant que les dispositions de l'article 86 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 faisaient obstacle aux prétentions de la commune ;
5. Considérant, par ailleurs, que la commune de Colmar soutient que l'arrêt attaqué est entaché d'irrégularité, dès lors que le rapporteur public n'aurait pas conclu sur l'ensemble des points du litige, que la cour a omis de répondre au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R 732-1 du code de justice administrative et du caractère contradictoire de la procédure ainsi qu'au moyen tiré de l'incompatibilité de la loi du 28 décembre 2011 avec les stipulations de l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales , que la cour a méconnu les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, les stipulations mentionnées ci-dessus de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celles de l'article 1er de son premier protocole additionnel ; qu'aucun de ces moyens n'est de nature à justifier l'annulation de l'arrêt attaqué ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de la commune de Colmar doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Colmar est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune de Colmar et au ministre de l'intérieur.
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Analyse
Abstrats : 54-03-015 PROCÉDURE. PROCÉDURES DE RÉFÉRÉ AUTRES QUE CELLES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000. RÉFÉRÉ-PROVISION. - AUTORITÉ DE CHOSE JUGÉE DE L'ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ-PROVISION - ABSENCE [RJ1] - CONSÉQUENCE - APPLICATION D'UNE LOI DE VALIDATION RÉSERVANT LES DÉCISIONS PASSÉES EN FORCE DE CHOSE JUGÉE - EXISTENCE.
54-035-01 PROCÉDURE. PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000. QUESTIONS COMMUNES. - AUTORITÉ DE CHOSE JUGÉE - ABSENCE [RJ1].
Résumé : 54-03-015 Si elles sont exécutoires et, en vertu de l'autorité qui s'attache aux décisions de justice, obligatoires, les décisions du juge des référés n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée. L'article R. 541-4 du code de justice administrative ouvre à la personne condamnée au paiement d'une provision la faculté de saisir le juge du fond, auquel il incombe de statuer tant sur le principe que, le cas échéant, sur le montant de sa dette. Lorsque le juge du fond est ainsi saisi pour fixer définitivement la dette, l'ordonnance du juge du référé provision ne peut, alors même que, faute d'appel dans les délais, elle est devenue définitive, être regardée comme passée en force de chose jugée pour l'application d'une loi qui, ayant pour objet la validation d'actes administratifs, réserve l'hypothèse des décisions passées en force de chose jugée.
54-035-01 Si elles sont exécutoires et, en vertu de l'autorité qui s'attache aux décisions de justice, obligatoires, les décisions du juge des référés n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée.
[RJ1]Cf. CE, Section, 5 novembre 2003, Association Convention vie et nature pour une écologie radicale, Association pour la protection des animaux sauvages, n° 259339, p. 444.
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