Un Parlement pour tous
Un ministre, médecin de profession, a commis une faute grave. Il convient donc que tous les avocats payent !
On cherche en vain une logique dans ce qui pousse les pouvoirs publics à exclure du Parlement une profession qui pourtant en a écrit les grandes heures.
Il faut décidément toujours un bouc-émissaire.
Les avocats ne pourraient plus être élus sans renoncer à exercer leur profession. Il est vrai que l'exemple des fonctionnaires se mettant en disponibilité a pu inspirer cette idée, mais là où l'un retrouve son travail à la fin de son mandat, l'autre perd son activité. C'est une rupture du principe d'égalité au détriment des citoyens que sont (encore) les avocats.
Mais pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Il faudrait aussi, Cahuzac oblige, bannir les médecins, chirurgiens, pharmaciens et autres professionnels de santé des bancs des assemblées.
Quitte à évincer notre profession règlementée, pourquoi ne pas interdire aussi l'entrée du Parlement aux notaires, aux huissiers, aux commissaires aux comptes, aux experts-comptables...?
Que dire des agriculteurs et industriels de l'agro-alimentaire que l'on pourrait suspecter de privilégier leurs intérêts ?
Les professeurs et instituteurs ne voudraient-ils pas également s'octroyer des avantages? Quant aux retraités, qui assurément s'opposeraient à toutes baisses de leurs pensions ou allocations, ils n'auraient pas non plus leur place dans ces nouvelles assemblées au-dessus de tout soupçon.
Pourquoi enfin se limiter à l'exclusion des professions et ne pas vilipender ceux dont les opinions religieuses ou les orientations sexuelles seraient de nature à influencer le vote ?
Cette litanie peut être scandée à l'infini et chacun de constater que nul ne sera à l'abri du soupçon de vouloir favoriser ce qu'il est, de ce qu'il représente ou ce à quoi il aspire.
Car que veut-on à la fin ?
Un parlement non représentatif de notre société, composé d'élus, dont il est difficile de définir aujourd'hui ce qu'ils seraient, sans activité, déconnectés de la vie réelle?
Tout cela n'est pas sérieux et bien dangereux. Pointer notre profession, parmi d'autres, comme responsable d'une perte de morale de la vie politique, c'est faire preuve de cécité sur le rôle des avocats dans notre société et occulter la déontologie qui en est le fondement essentiel. C'est ce qu'a rappelé solennellement le Conseil de l'Ordre dans sa motion votée le 16 avril dernier.
Cette volonté est inquiétante, surtout dans le contexte de tensions sociales fortes que traverse notre pays. Elle ne peut qu'attiser celles-ci et le paravent politique qui nous est proposé peut déboucher sur une remise en cause démocratique.
La moralisation voulue de la vie politique ne doit pas conduire à un déni de nos valeurs d'égalité, de liberté et de fraternité.
Christiane Féral-Schuhl
Bâtonnier de Paris
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