La jurisprudence évolue doucement sur la question de la communication des pièces en appel.

Deux décisions rendues le même jour, à savoir le 5 décembre 2014, par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation ont apporté un éclairage, si ce n’est totalement nouveau, en tout cas clair sur la validité des pièces produites en appel au soutien des conclusions par les parties.

La qualité même de la juridiction ayant rendu ces deux décisions et le fait qu’elles aient été rendues à la même audience démontrent leur importance et l’acuité de la problématique évoquée.

 

Sur le plan des textes, l’article 906 du code de procédure civile induit l’obligation de notifier les conclusions et les pièces communiquées de manière simultanée par l'avocat de chacune des parties à celui de l'autre partie, et en cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, elles doivent l'être à tous les avocats constitués.

La simple lecture du texte permet de se convaincre que le défaut dans cette simultanéité n’est assorti d’aucune sanction particulière.

Cependant aux termes d’un avis en date du 25 juin 2012, la Cour de cassation avait considéré, contre toute attente, voire contra legem, que devaient « être écartées les pièces, invoquées au soutien des prétentions, qui ne sont pas communiquées simultanément à la notification des conclusions. ». La Cour de cassation estimait alors indissociables les écritures et les pièces produites à leur soutien.

 

Cet avis n’a pas été suivi par la second chambre civile quelques mois plus tard puisque celle-ci, probablement en suite des critiques nourries publiées à l’encontre de l’avis précité, devait retenir qu’« il résulte de la combinaison des articles 906 et 908 du code de procédure civile que seule l'absence de conclusions dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel est sanctionnée par la caducité » pour en conclure qu’« en application de l'article 15 du code de procédure civile, il appartient à la cour d'appel d'apprécier souverainement si les pièces ont été communiquées en temps utile. » (Cour de cassation, chambre civile 2, 30 janvier 2014, N° de pourvoi: 12-24145).

Par cet arrêt, la production de pièces par les parties au procès d’appel n’était plus sanctionnée au vu du simple défaut de simultanéité de cette production avec la notification des écritures, mais seulement lorsque le défaut de communication simultanée aux conclusions portait atteinte aux droits de la défense en n’intervenant pas ‘en temps utile’, notion exprimée à l’article 15 du code de procédure civile, étant de surcroît observé que « le conseiller de la mise en état n’est pas compétent pour écarter des débats les pièces », la question relevant donc de la Cour saisie au fond (notamment Avis n° 1300003 du 21 janvier 2013) .

 

L’assemblée plénière de la Cour de cassation, par son arrêt n°614 (rendu sur le pourvoi n°13-19.674 – BICC n°817 du 1er mars 2015) s’écarte encore de l’avis rendu le 25 juin 2012 pour confirmer la position de sa deuxième chambre civile puisqu’elle valide la position tenue par la Cour d’Appel qui considérait que la partie n’était pas habile à contester la communication de pièces par son adversaire en temps utile en lui permettant d’y répondre au regard des délais du calendrier de procédure.

Cette position est sage et réaliste.

Elle est sage car elle évite des débats parasites et de faible intérêt autour de la validité de la communication des pièces devant la Cour.

Elle est juridiquement réaliste car l’ensemble des textes applicables n’interdit aucunement que les parties produisent des pièces tant au soutien de leurs arguments qu’en réponse aux arguments adverses tout au long de l’instance d’appel, laquelle peut durer de longs mois et s’allonger au fil d’éventuels incidents de procédure.

 

En revanche, la Cour de cassation s’est montrée plus aventureuse sur le plan de la communication de pièces au soutien de conclusions qui viennent à être jugées irrecevables.

Selon son arrêt n°615 (rendu sur le pourvoi n°13-19.674 – BICC n°817 du 1er mars 2015), et sans retenir les conclusions de Madame le Premier Avocat Général, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé que les pièces produites au soutien de conclusions irrecevables devaient être écartées.

La solution est audacieuse car elle ne repose sur absolument aucun fondement textuel. De plus, la rédaction de l’attendu de la Cour de cassation peut laisser à penser qu’elle dégage un principe général applicable à l’ensemble de la procédure civile et que les pièces feraient nécessairement bloc avec les conclusions. Ainsi, la Cour de cassation s’érige là en législateur.

Cette dernière solution va rendre la tâche des magistrats d’appel particulièrement compliquée, car il incombera à ces derniers de contrôler la portée des pièces produites et de ne les écarter que si elles viennent au soutien de conclusions jugées irrecevables. Or tel n’est pas toujours le cas, puisque des pièces peuvent venir compléter des premières écritures parfaitement valables et pas systématiquement des conclusions en réplique – notamment celles en réplique sur appel incident.

Il ne faut pas oublier que la Cour de cassation a déjà indiqué, dans un avis du 21 janvier 2013 (avis n°1300005), que les parties sont recevables à invoquer des moyens nouveaux jusqu’à la clôture de l’instruction et donc, au soutien de ces moyens, à produire toutes pièces adéquates.

De plus, ce n’est pas le conseiller de la mise en état qui statuera sur le sort des pièces produites au soutien de conclusions qu’il juge irrecevable, mais la Cour lorsqu’elle retiendra l’affaire au fond…

Pourquoi faire simple…

 

 

Maître Alexis Devauchelle

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