DECENNALE : l’insuffisance de chaleur du poêle à bois ne rend pas l’ouvrage impropre à sa destination, mais engage la responsabilité contractuelle de l’installateur pour manquement à son devoir de conseil

 

Selon devis en date du 30 novembre 2012 et facture du 15 février 2013, X… et Y… ont fait installer dans leur résidence secondaire par la Sas Cheminées Hervé Géhin un poêle à bois, pour le prix de 6.548,41 euros TTC, pose comprise. Le procès‐verbal de réception attestant que la livraison et

l'installation ont été réalisées conformément au bon de commande et qu'un essai de premier feu a été réalisé en la présence de X… a été établi le 18 février 2013.

 

Estimant que le système de chauffage était inefficace, les consorts X… et Y… ont sollicité la désignation d’un expert judiciaire et le remboursement des sommes versées.

 

Par jugement du 18 novembre 2015, le tribunal d’instance de COLMAR a débouté M. et Y… de leurs demandes considérant que le poêle ne pouvant être assimilé à un ouvrage, la responsabilité décennale de l’entreprise GEHIN ne pouvait être engagée. Le tribunal a rejeté la responsabilité contractuelle de l’entreprise considérant que le défaut de conseil n’était pas caractérisé. Enfin le tribunal a rejeté la demande d’expertise judiciaire, aux fins d'effectuer des essais de chauffe, dès lors que M. et Y… ne démontrent pas que leurs exigences, concernant la capacité du poêle à chauffer l'intégralité de la maison, étaient entrées dans le champ contractuel.

 

Suivant arrêt du 3 avril 2017, la cour d'appel de Colmar a rejeté la demande d'expertise et sur le fond, confirmé en toutes ses dispositions le jugement entrepris.

 

Suivant arrêt en date du 12 juillet 2018, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour d'appel en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire de M. et Y…, et renvoyé la cause et les parties devant la cour.

 

La cour de cassation lui reprochait notamment ne pas avoir recherché comme il le lui était demandé si l'insuffisance de chauffage ne rendait pas l'ensemble de la maison impropre à sa destination.
 

Par arrêt avant dire droit en date du 12 novembre 2019, la cour, relevant que l'expertise amiable que produisent M. et Y… ne comporte aucun relevé de températures permettant de déterminer si le poêle litigieux a une puissance suffisante pour chauffer la maison dans des conditions normales d'utilisation, a ordonné une mesure d'expertise judiciaire.

 

Dans son arrêt du 11 mars 2021, la cour d’appel de METZ relève qu’il « résulte de l'ensemble de ces constatations et conclusions, contrairement à ce que soutient la Sas Cheminées Hervé Géhin, que le poêle à bois ne peut être le chauffage exclusif de la maison et que pour un confort optimal pendant les périodes d'occupation, l'utilisation complémentaire des équipements électriques sera toujours nécessaire.

 

La cour rejette la responsabilité décennale de l’entreprise GEHIN aux motifs qu’en « l'espèce, au regard des constatations et conclusions du rapport d'expertise judiciaire et des relevés de températures auxquels il a été procédé, rappelés ci‐dessus, il ne peut être considéré que les performances du poêle à bois installé par la Sas Cheminées Hervé Géhin, qui constitue un élément d'équipement ne faisant pas corps indissociablement avec les ouvrages de viabilité, de clos ou de couvert, sont à ce point insuffisantes qu'elles caractérisent l'impossibilité d'habiter la maison dans des conditions normales, quand bien même cette source de chauffage doit être habituellement complétée, pour un confort optimal, par les convecteurs électriques dans les pièces du rez‐de‐chaussée, ainsi que dans l'ensemble de l'habitation en cas de grand froid ».

 

En revanche la cour retient la responsabilité contractuelle de l’entreprise pour manquement caractérisé à son devoir de conseil, en relevant :

 

En l'espèce, s'il est exact qu'il ne résulte d'aucun document que la société Cheminée Hervé Géhin s'était engagée sur une température de 24 ° ou même de 21º après une heure de chauffe, il résulte clairement du mail du 17 novembre 2012, dont les termes sont rappelés plus‐haut, que M. et Y… avaient spécialement attiré son attention sur l'importance que revêtait pour eux le fait que le poêle à bois constitue la source principale de chauffage de la maison, les convecteurs ne pouvant venir qu'en appoint pour maintenir la maison hors gel pendant les périodes d'inoccupation, ou chauffer les salles de bain. Or, la société Cheminées Hervé Géhin n'a pas averti ses clients que l'installation ne pouvait permettre d'obtenir une température confortable dans toute la maison, surtout en cas de grand froid, sans recourir aux convecteurs électriques, ce qu'ils souhaitaient à l'évidence. Le mail qu'elle leur a adressé le 20 novembre 2012, qui rappelle simplement la nécessité de conserver un chauffage complémentaire pour garder la maison hors gel, étant de nature à les rassurer quant aux performances de l'installation et le fait que la cheminée serait à même d'assurer l'essentiel du chauffage de la maison lorsqu'ils seraient présents, en limitant de façon importante le recours au chauffage électrique.

 

S’agissant de la réparation du préjudice, la cour considère que le manquement du professionnel à son devoir de conseil se traduit par une perte de chance de ne pas contracter ou de conclure un contrat mieux adapté à ses besoins, laquelle se mesure à l'aune de la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

 

Et d’ajouter : « Cette réparation ne peut présenter un caractère forfaitaire mais doit correspondre à une fraction des différents chefs de préjudices supportés par les victimes » (en l’espèce 80 %).

 

Par ailleurs, constituent des préjudices susceptibles d'indemnisation, d'une part la nécessité de procéder à des travaux supplémentaires pour tenter de pallier les inconvénients de l'installation, d'autre part, la surconsommation d'énergie générée par l'utilisation concomitante des convecteurs électriques.

 

La cour décide ainsi d'indemniser la perte de chance subie par M. et Y… par la somme de 3.036,77 euros (soit 80 % des montants de 2.185,96 euros : 1.748,77 euros et 80 % de 1.610 euros': 1.288 euros) au paiement de laquelle la Sas Cheminées Hervé Géhin sera condamnée, majorée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

 

 

 

CA METZ, 3ème chambre, Arrêt du 11 mars 2021, RG n°18/02363