Cass. Com. 6 Oct. 2009 N° 08-19.317

M Darles; Mme Ottovaere

SA Bnp Paribas

Opposabilité du rapport cambiaire à la caution en cas de défaut du formalisme de la lettre de change.

Une Banque, la BNP a consenti un prêt de 122 000 €uros a une entreprise.

Ce prêt était utilisable selon l'arrêt par émission de billets à ordre.

La société avait pris des cautions auprès de deux personnes physiques qui s'étaient engagées sans limitation de durée.

Quatre lettres de changes ont été émises suite à la convention de prêt.

Ces effets de commerce ont été émis par une personne qui n'était plus le dirigeant légal de la société car il avait démissionné, sa démission n'ayant pas été publiée au registre du commerce.

La société est mise en liquidation avec des comptes débiteurs et des effets impayés.

La banque veut récupérer son argent et actionne les cautions.

La banque assigne les cautions en paiement du solde débiteur de la société et des effets restés impayés.

Les caution ont payé.

Les cautions ont sollicité en justice le remboursement des sommes qu'elles estimaient indument versées.

La Cour d'appel confirme une décision du Tribunal de Commerce qui condamne les cautions à payer à la banque les sommes de 121 867,15 euros représentant les 4 effets impayés et 25 083, 97 euros représentant le solde débiteur du compte débiteur.

La Cour déboute les cautions de leurs demandes de remboursement de 76 224, 51 euros qu'elles estimaient avoir payé en trop.

Pourtant les cautions exposaient qu'a défaut de signature d'un dirigeant capable d'engager la société et sans publication de la démission de ce dirigeant au registre du commerce, dès lors que la banque avait connaissance de cette démission, la créance dont elle faisait état ne pouvait être traitée que comme une créance ordinaire.

La banque ayant accepté le risque de signer avec un dirigeant qu'elle savait démissionnaire devait, selon les cautions, pas pouvoir réclamer les sommes liées aux effets impayés.

Les cautions prétendaient à une violation des articles 123-9 et 219-9 du code de Commerce.

La cour de cassation confirme partiellement l'arrêt d'appel sur la question de l'opposabilité du rapport fondamental à une banque, alors que l'une des mentions obligatoires pour qu'un effet de commerce puisse circuler avec les effets qui lui sont attachés fait défaut, en l'espèce une signature.

La solution rappelée par l'arrêt de la chambre commerciale est claire : « Mais attendu que la nullité pour vice de forme entachant l'engagement cambiaire n'affecte pas le rapport fondamental qui peut être mis à profit par le porteur pour obtenir paiement ; qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que M. et Mme X... étaient recherchés par la banque en leur qualité de cautions des engagements pris par la société, qualité qu'ils ne contestaient pas, pas plus que la matérialité des crédits octroyés à la société par la banque dans le cadre du crédit de trésorerie consenti, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche prétendument omise ni à répondre à un moyen inopérant, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé »

I )L'opposabilité du rapport cambiaire

A - Un formalisme rigoureux et sécurisant inhérent aux effets de commerce

Il s'agit d'un arrêt de la cour de cassation chambre commerciale qui a une valeur incontestable en terme de qualité vis-à-vis des cours de renvoi.

Les motifs sont très clairs.

L'analyse du rapport cambiaire relève des juges du fond.

La cour de cassation indique en effet que les juges d'appel, « par motifs propres et adoptés, que M. et Mme X... étaient recherchés par la banque en leur qualité de cautions des engagements pris par la société, qualité qu'ils ne contestaient pas, pas plus que la matérialité des crédits octroyés à la société par la banque dans le cadre du crédit de trésorerie consenti ».

La signature d'un dirigeant, fut il démissionnaire, la démission serait-elle connue de la banque, ne suffirait pas a vicier le rapport fondamental qui reste opposable à la caution.

Le principe est clair sur le fait que la signature doit figurer sur l'effet de commerce.

De nombreuses décisions vont dans ce sens sous l'article L 511-1 du Code de Commerce.

La question qui reste est celle de savoir qu'elle est l'incidence du défaut de pouvoir du signataire pour engager la société sur la validité du rapport cambiaire.

Ici la décision mérite une analyse car elle comporte une certaine part d'ambigüité.

B - Le défaut de respect du formalisme cambiaire

Le sens de la décision ne souffre pas d'ambigüités sur un point, en effet, même si une signature est défaillante le rapport cambiaire ne doit pas être altéré.

Les cautions soutenaient que la défaillance du signataire dont la banque savait qu'il avait quitté l'entreprise faisait dégénérer la lettre de change en engagement de droit commun.

Cette opinion est également reçue communément en jurisprudence.

Par contre, la cour d'appel qui avait débouté les cautions de leur demande reconventionnelle en paiement de 76 224, 51 €uros aux motifs que c'était une demande nouvelle s'est vue censurer par la cour de cassation.

Il s'agit là d'une victoire « à la Pyrrhus » pour les cautions qui se verront vraisemblablement opposer le rapport fondamental, cambiaire, devant la cour de renvoi...

II ) La théorie de l'apparence au-delà du formalisme ?

A - Théorie de l'apparence et formalisme cambiaire

La conséquence de cette décision qui s'inscrit dans une certaine orthodoxie est apparemment limpide : « la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche prétendument omise ni à répondre à un moyen inopérant, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ».

En clair, dès lors qu'un engagement de caution est souscrit au profit d'une société qui bénéficie d'un prêt adossé à un mécanisme cambiaire, en l'espèce des lettres de change, le porteur peut agir contre la caution sans avoir à sortir du formalisme apparent de l'effet de commerce.

La signature d'un dirigeant, fut il démissionnaire, la démission serait-elle connue de la banque, ne suffirait pas a vicier le rapport fondamental qui reste opposable à la caution.

B - La mauvaise foi du porteur ?

Il est constant encore qu'une des limites à la théorie de l'apparence, liée à la circulation des effets de commerce comme instruments de crédit et de paiement est la mauvaise foi du porteur.

En l'espèce, sans formuler réellement le grief de mauvaise foi, ou sans que cela apparaisse dans l'arrêt, les cautions ont tenté d'invoquer devant la Cour de Cassation, l'idée que la banque de manière intrinsèque savait que le gérant, souscrivant les effets de commerce, était démissionnaire.

Pourtant malgré le vice affectant la signature du gérant, n'affecte pas la validité de l'effet de commerce vis-à-vis de la caution.

Les traites ont été, selon la cour de cassation, valablement formées malgré une ambigüité de taille affectant la signature du tiré.

Le fait que la banque était informée de la situation n'ayant pu être valablement démontré par les cautions...

Il pourrait s'agir d'une décision d'espèce?

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Mme Favre (président), Président

SCP Boullez, SCP Vincent et Ohl, Avocat

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que la société BNP Paribas (la banque) a consenti le 1er mars 2002 à la société Chauffage climatisation confort 3C (la société), dont M. X... était alors le représentant légal, un prêt de 122 000 euros d'une durée de 12 mois, utilisable par émission de billets à ordre ; que par actes des 1er mars 2002 et 30 mai 2002, M. et Mme X... se sont rendus cautions solidaires des engagements de la société, sans limitation de durée ; que quatre lettres de change émises en suite de la convention de prêt ont été signées par M. X... au nom de la société 3C dont il n'était plus le dirigeant légal ; que la société ayant été mise en liquidation judiciaire, et après mise en demeure des cautions, la banque a assigné ces dernières en paiement du solde débiteur du compte de la société et des effets restés impayés ; que les cautions ont sollicité le remboursement des sommes indûment versées ;

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de les avoir condamnés à payer à la banque les sommes de 121 867, 15 euros représentant les quatre effets impayés dans le cadre du crédit de trésorerie et de 25 083, 97 euros représentant le solde débiteur du compte commercial détenu par la société, et d'avoir déclaré irrecevable la demande qu'ils avaient formée afin d'obtenir le remboursement de la somme de 76 224, 51 euros qu'ils avaient indûment versée, alors, selon le moyen :

1° / que les tiers ne peuvent se prévaloir du défaut de publicité de la démission des dirigeants de sociétés dès lors qu'ils en ont eu connaissance ; qu'en décidant que les effets de commerce, s'ils ne valent pas comme lettre de change, en l'absence de signature du tireur, constituent des engagements de droit commun dès lors qu'ils ont été acceptés par la société, sans que les cautions puissent se prévaloir de la démission de M. X... qui est inopposable à la banque à défaut d'avoir été publiée au registre du commerce et des sociétés lorsqu'il s'est engagé au nom et pour le compte de la société en acceptant les effets de commerce, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée par les cautions, si la banque n'avait pas acquis la connaissance effective et personnelle de la démission de M. X... et de son remplacement par Mme Z... qui, à compter du 8 novembre 2002, détenait seule la signature sur les comptes bancaires de la société, de sorte que la banque ne pouvait pas se prévaloir de son défaut de publication, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 123 9 et L. 210 9 du code de commerce, ensemble l'article L. 510 1 (lire L. 511 1) du code de commerce ;

2° / que les cautions ont soutenu dans leurs conclusions d'appel que la banque avait connaissance de la cessation des fonctions de M. X..., à compter du 8 novembre 2002, dès lors que son successeur, Mme

Z...avait rempli à cette date un carton d'ouverture de compte mentionnant non seulement qu'elle s'est bien substituée à M. X... dans la direction de la société, alors pourtant que la banque a toujours prétendu avoir ignoré la cession des titres de la société par M. et Mme X..., mais encore qu'elle détient seule, à l'exclusion de toute autre personne, qualité pour engager la signature de la société vis à vis de la banque ; qu'en s'abstenant de répondre à un tel moyen propre à établir que la démission de M. X... était opposable à la banque qui avait eu personnellement connaissance, même en l'absence de toute publication au registre du commerce et des sociétés, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

3° / que la preuve de la remise de fonds à une personne ne suffit pas à justifier l'obligation pour celle ci de restituer la somme qu'elle a reçue ; qu'en décidant que les effets de commerce, s'ils ne valent pas comme lettre de change, en l'absence de signature du tireur, constituent des engagements de droit commun au profit de la banque qui établit avoir crédité le compte de la société de leur montant, quand la seule remise des fonds n'établit aucune obligation de restituer, en l'absence de commencement de preuve par écrit émanant de la société, la cour d'appel a violé les articles 1315 et 1892 du code civil ;

Mais attendu que la nullité pour vice de forme entachant l'engagement cambiaire n'affecte pas le rapport fondamental qui peut être mis à profit par le porteur pour obtenir paiement ; qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que M. et Mme X... étaient recherchés par la banque en leur qualité de cautions des engagements pris par la société, qualité qu'ils ne contestaient pas, pas plus que la matérialité des crédits octroyés à la société par la banque dans le cadre du crédit de trésorerie consenti, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche prétendument omise ni à répondre à un moyen inopérant, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 70 et 567 du code de procédure civile ;

Attendu que pour déclarer irrecevable la demande reconventionnelle en remboursement d'une somme de 76 224, 51 euros formée par M. et Mme X..., l'arrêt énonce que cette demande est irrecevable comme nouvelle en cause d'appel ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si cette demande ne se rattachait pas aux prétentions originaires par un lien suffisant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable comme nouvelle la demande reconventionnelle en remboursement de la somme de 76 224, 51 euros formée en appel par M. et Mme X..., l'arrêt rendu le 17 juillet 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers, autrement composée ;

Condamne la société BNP Paribas aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six octobre deux mille neuf.