L’actualité est particulièrement chargée ces derniers temps en droit des aides d’État !. Deux décisions méritent notre attention.

La première de la CJUE (CJUE, 13 juin 2019,  Copebi SCA c/ FranceAgriMer, aff. C‑505/18), par laquelle cette dernière a écarté trois objections soulevées à titre préjudicielle par le Conseil d’État concernant la récupération d’aide illégale et incompatible. Les faits étaient les suivants, entre 1992 et 2002 la France a versé aux producteurs de fruits et légumes dans le cadre des « plans de campagne » visant à faciliter la commercialisation de ces produits agricoles récoltés en France dans une période de surproduction, des aides d’un montant de 330 millions d’euros.

La Commission a jugé en 2009 (Com.UE, 28 janvier 2009, 2009/402/CE) que ces aides étaient illégales et incompatibles et a ordonné la récupération de ces dernières. Cette décision a été confirmée par le TUE en 2012 (TUE, 27 septembre 2012, France c/ Commission, aff. T-139/09 et Fedecom / Commission, T-243/09).

Procédant à l’application de ces décision, l’État français a mis en œuvre la récupération de ces aides, en émettant un titre de recette majoré des intérêts à l’encontre de la société coopérative agricole Copebi. La coopérative a bien évidemment contesté ce titre de recettes devant les juridictions administratives. Le Conseil d’État saisit du pourvoi de la coopérative a saisi la Cour de deux questions préjudicielles et plus particulièrement sur l’interprétation de la décision de la Commission du 28 janvier 2009.

Précisément, la question était de savoir si la décision 2009/402/CE précitée de la Commission visant les « plans de campagne » dans le secteur des fruits et légumes couvrait les aides versées par l’office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l’horticulture (Oniflhor) au comité économique agricole du bigarreau d’industrie (CEBI) et attribuées aux producteurs de bigarreaux d’industrie par les groupements de producteurs membres de ce comité. En effet, d’une part, le CEBI ne figurait pas parmi les huit comités économiques agricoles mentionnés au point 15 de la décision de la Commission (qui mentionnait les comités ayant bénéficié des aides litigieuses) et, d’autre part, les aides en cause, contrairement au mécanisme de financement décrit dans ladite décision, étaient financées seulement par des subventions de l'Oniflhor et non pas également par des contributions volontaires des producteurs (dites parts professionnelles).

Aux termes du présent arrêt, écartant une à une les objections soulevées par le Conseil d’État, la Cour répond que la décision de la Commission doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre les aides versées par FranceAgriMer au CEBI et attribuées aux producteurs de bigarreaux d’industrie par les groupements de producteurs membres de ce comité.

S’agissant d’abord du grief tenant au fait que le Comité économique bigarreau industrie (CEBI) ne figurait pas parmi les huit comités économiques agricoles mentionnés dans la décision de la Commission ordonnant la récupération, la Cour de justice observe en premier lieu que la requérante au principale a bien bénéficié d’une aide entre les années 1998 et 2002 versée par FranceAgriMer par l’intermédiaire du CEBI (pt. 25), que le CEBI a la même nature juridique que les huit autres comités économiques agricoles, qu’il a bien bénéficié d’une aide versée par le même organisme public poursuivant les mêmes finalités (pt. 26). Elle constate en deuxième lieu que le dispositif de la décision 2009/402 n’est pas circonscrit aux seuls huit comités économiques agricoles mentionnés au considérant 15 de cette décision (pt. 27). En outre, les décisions de récupération des aides d’État sont adressées à l’État membre responsable et non aux bénéficiaires de l’aide, qui ne se voit reconnaître aucun rôle particulier dans la procédure (pt. 28). De sorte qu’il revenait à la République française de prendre les mesures nécessaires pour récupérer les aides déclarées incompatibles auprès de leurs bénéficiaires et ainsi de déterminer les organismes ayant bénéficié de ces aides (pt. 29), dès lors que la décision de la Commission constatant l’incompatibilité d’une aide avec le marché intérieur n’a pas à contenir une analyse des aides octroyées dans des cas individuels et que c’est seulement au stade de la récupération des aides qu’il est nécessaire de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée (pt. 31). Dès lors, il ne saurait être déduit du fait que le CEBI ne figure pas parmi les huit comités économiques agricoles mentionnés dans la décision 2009/402 que cette décision ne couvre pas les aides qui ont été versées par FranceAgriMer par l’intermédiaire de ce comité économique agricole et attribuées au Copebi (pt. 33).

Quant à l’objection selon laquelle le mode de financement des mesures différait résolument de celui des autres « plans de campagne » quant à eux assuré par les secteurs concernés à raison de 30 % à 50 %, elle est écartée tout aussi résolument. D’abord, note la Cour, si le financement différaient effectivement, il n’en reste pas moins que les aides en cause au principal ont été accordées au moyen de ressources d’État (pt. 37). A fortiori, les différences relevées dans le mode de financement des aides dont a bénéficié Copebi ne saurait faire échapper ces mesures à la qualification d’« aide d’État », au sens de l’article 107, § 1, TFUE, et, partant, au champ d’application de la décision 2009/402 de la Commission (pt. 38). Peu importe à cet égard que les aides en cause au principal ait été versées en contravention de la règle de droit interne selon laquelle le financement des « plans de campagne » devait être assuré par les secteurs concernés à hauteur de 30 % à 50 % du montant global de l’aide et qu’à défaut d’une telle contribution, le non-paiement de cette part équivalait, en principe, à un refus de recevoir les aides de FranceAgriMer (pt. 39). Dès lors, le fait que Copebi est parvenue à obtenir le bénéfice des plans de campagne sans avoir à y contribuer et a ainsi obtenu un régime plus avantageux que celui dont auraient bénéficié les autres bénéficiaires n’est pas une circonstance de nature à la faire échapper au champ d’application de la décision 2009/402 (pt. 40).

Pour le reste, la Cour confirme que les aides versées par FranceAgriMer au bénéficiaire procédait de la même finalité que celle poursuivit par les autres « plans de campagne » (pt. 41-42).

La seconde décision émane, quant à elle, du Tribunal de l’Union européenne (TUE, 18 juin 2019, European Food S.A, Micula et a., aff. T-624/15, T-694/15 et T-704/15). Dans cette affaire, la question était la suivante :  le versement d’une somme due au titre d’une sentence arbitrale par un État doit-elle être considérée comme une aide d’État.

En l’espèce, la Roumanie avait été condamnée par un tribunal arbitral à payer à deux entreprises la somme de 82 millions d’euros en raison d’un traitement injuste et inéquitable suite à des investissements. La Commission a considéré que le versement de cette sentence constituait une aide incompatible avec le marché.

Les entrepreneurs ont contesté cette décision devant le TUE. En premier lieu, le Tribunal fait droit à leur argumentation et retient que la Commission était incompétente pour juger d’une aide dont l’application était antérieure à l’adhésion de la Roumanie. Il considère en effet que la loi applicable était celle de l’époque des faits et ce, peu importe, que la Roumanie ait adhéré avant que ne soit rendue la sentence.

Le second moyen des requérants d’articuler autour de la contestation de ce qu’une sentence arbitrale puisse être considérée comme une aide d’État. Sur cette question de fond, le Tribunal a d’abord rappelé que l’indemnisation d’un préjudice ne peut être considérée comme une aide à moins qu’elle ait pour objet d’indemniser le retrait d’une aide illégale ou incompatible. Puis, rappelant que la sentence arbitrale n’a pas eu pour effet de déclencher l’applicabilité du droit de l’Union et de la compétence de la Commission, elle juge que les dommages et intérêts alloués ne pouvaient être considérés comme l’indemnisation du retrait d’une aide illégale ou incompatible : l’indemnisation en cause ne pouvait donc être qualifiée d’avantage. :

« Sur cette question de fond, le Tribunal a d’abord rappelé que l’indemnisation d’un préjudice ne peut être considérée comme une aide à moins qu’elle ait pour objet d’indemniser le retrait d’une aide illégale ou incompatible. Puis, rappelant que la sentence arbitrale n’a pas eu pour effet de déclencher l’applicabilité du droit de l’Union et de la compétence de la Commission, elle juge que les dommages et intérêts alloués ne pouvaient être considérés comme l’indemnisation du retrait d’une aide illégale ou incompatible : l’indemnisation en cause ne pouvait donc être qualifiée d’avantage. »

Le TUE indique donc qu’une sentence arbitrale peut être considérée comme une aide d’État si elle a pour effet d’indemniser le retrait d’une telle aide, cette question reste donc en suspens. Dans le cas d’espèce, le TUE juge que ce ne peut être le cas car le préjudice indemnisable est antérieur à l’adhésion de la Roumanie à l’UE.