La rupture conventionnelle, créée par la loi du 25 juin 2008, séduit les salariés qui y voient un départ négocié et sécurisé. Du côté de l’entreprise, l’enjeu diffère : préserver l’organisation, gérer la masse salariale, contenir le risque prud’homal. L’employeur peut‑il refuser plusieurs fois ?

 

Oui, car le dispositif, fondé sur le libre consentement, n’impose aucun plafond. Toutefois, chaque refus doit respecter la loyauté contractuelle, l’interdiction de discrimination et la cohérence stratégique de l’entreprise. Ce guide, rédigé à l’usage des directions RH et des dirigeants de PME, décrit pas à pas la marche à suivre pour refuser sans exposer la société à un contentieux futur.

 


Les bases légales du refus

La liberté contractuelle, principe directeur

Les articles L 1237‑11 à L 1237‑16 du Code du travail subordonnent la rupture conventionnelle à un « accord commun ». La Cour de cassation l’a confirmé le 23 mai 2013 (n° 12‑13.865) : aucune partie ne peut imposer l’autre. Un employeur conserve donc le droit de refuser aussi souvent qu’il l’estime nécessaire.

 

L’obligation de bonne foi tempère cette liberté

L’article L 1222‑1 rappelle que le contrat de travail s’exécute « de bonne foi ». Dans l’arrêt du 19 mai 2021 (n° 19‑20.526), la Haute Juridiction précise que le refus devient fautif lorsqu’il poursuit un dessein illicite : discrimination (art. L 1132‑1) ou représailles syndicales (art. L 2141‑5). La répétition de « non » n’est donc licite qu’à condition d’être motivée par un impératif objectif.

 


Sécuriser sa décision de refus

Motifs légitimes et documentation interne

Un refus prudent s’appuie sur des arguments clairs :

 

  • réorganisation imminente rendant le poste indispensable ;

 

  • compétence rare difficile à remplacer dans le délai imparti ;

 

  • projet stratégique à court terme mobilisant la ressource.

 

Chaque motif doit être tracé : note d’opportunité, tableau comparatif de charges, mail interne validé par la direction. Cette traçabilité constituera la première ligne de défense si le salarié conteste la loyauté du refus.

 

Vérification antidiscrimination

Avant toute réponse négative, le service RH contrôle :

 

  • origine ethnique, sexe, grossesse, handicap, activité syndicale ;

 

  • retours d’arrêt maladie ou déclarations de harcèlement moral.
    Un refus concomitant à l’un de ces facteurs ferait peser une présomption lourde ; il convient de bâtir un argumentaire factuel qui exclut toute corrélation.

 


Anticiper le dialogue social

Communiquer avec le CSE

Selon l’article L 2312‑8, le CSE doit être informé des réorganisations impactant l’emploi. Même si la loi n’impose pas de saisir les élus pour chaque rupture conventionnelle, une information volontaire renforce la transparence et limite les tensions.

 

Proposer des alternatives au salarié

Un employeur peut :

 

  • formuler une mobilité interne ;

 

  • négocier un calendrier de départ plus lointain ;

 

  • offrir une formation pour une évolution de poste.

 

Cette démarche prouve la bonne foi et désamorce l’argument d’un refus arbitraire.

 


Prévenir le contentieux

Contrôle de proportionnalité

Refuser systématiquement chaque trimestre peut révéler un abus d’autorité. La direction devra démontrer que chaque « non » correspond à une situation particulière : lancement d’un projet, pic d’activité, difficulté de recrutement.

 

Audit RH annuel

La mise en place d’un audit interne répertoriant : nombre de demandes, taux d’acceptation, motifs de refus, profil des salariés concernés, permet d’anticiper toute accusation de discrimination systémique.

 

Gestion des preuves

En cas de saisine du conseil de prud’hommes :

 

  • verser les emails de refus motivés ;

 

  • produire les plannings de charge ;

 

  • présenter les fiches de poste faisant apparaître la technicité du salarié.

 


Alternatives à la rupture conventionnelle

Rupture conventionnelle collective (RCC)

Fondée sur l’article L 1237‑19, la RCC sécurise le départ de plusieurs volontaires. L’employeur fixe un quota, négocie un accord majoritaire, offre une indemnité au moins égale au licenciement. Avantage : visibilité budgétaire, zéro conflit individuel.

 

Mobilité volontaire sécurisée

Dans les entreprises de plus de 300 salariés, l’article L 1222‑12 permet à un salarié d’expérimenter un nouvel emploi externe tout en conservant, sous condition, la faculté de revenir. L’employeur répond positivement ou refuse pour motif économique. Solution élégante pour éviter la rupture immédiate.

 

Licenciement économique ou pour motif personnel

Quand le refus aboutit à une impasse et que le poste disparaît ou que le collaborateur accumule des insuffisances objectives, le licenciement reste envisageable. Avantage : procédure balisée. Inconvénient : risque prud’homal si le motif manque de sérieux.

 

Démission sécurisée du salarié

Depuis la réforme du 1ᵉʳ novembre 2019, la démission avec projet de reconversion ouvre, sous conditions, le droit aux ARE. L’employeur peut accompagner le collaborateur dans cette voie, limitant ainsi le risque de contestation.

 


Questions fréquentes (FAQ) centrées employeur

Un refus doit‑il être motivé?
La loi n’exige pas un écrit, mais un mail succinct énonçant l’argument principal protège l’entreprise.

 

Nombre de refus raisonnable?
Aucun plafond. Toutefois, au‑delà de trois refus en deux ans, un audit de situation s’impose.

 

Quand parler d’abus?
Si les refus sont dépourvus de toute justification ou s’ils visent exclusivement une catégorie protégée.

 

Le salarié peut‑il forcer un licenciement?
Provoquer une faute grave reste rare. L’employeur doit alors appliquer la procédure disciplinaire ; à lui de prouver la réalité des griefs.

 

Le refus bloque‑t‑il toute nouvelle demande?
Non. Chaque demande est autonome. L’employeur réexamine la situation au regard des besoins actualisés.

 

Quels risques prud’homaux?
Discrimination : dommages et intérêts illimités. Abus de droit : indemnité sur le fondement de l’article 1240 C. civ. Dans les deux cas, l’absence de preuves internes pénalise la défense.

 


Conclusion : instaurer une gouvernance du refus

Refuser une rupture conventionnelle est un droit, mais un droit sous conditions : clarté des motifs, consistance de la preuve, anticipation du dialogue social. L’employeur éclairé adoptera une démarche structurée : grille d’analyse des postes, comité interne de validation, traçabilité numérique, information régulière des représentants du personnel. Une telle gouvernance réduit le risque contentieux, sécurise la réputation de l’entreprise et, in fine, maintient la cohésion des équipes.

 

 

Source : https://www.lebouard-avocats.fr/post/refus-rupture-conventionnelle-limites