Photovoltaïque et responsabilité décennale

 

 

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 septembre 2023




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 619 F-D

Pourvoi n° Y 22-12.989







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 SEPTEMBRE 2023

La société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6], a formé le pourvoi n° Y 22-12.989 contre l'arrêt rendu le 13 janvier 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-3), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Enfinity PV, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à M. [S] [T], domicilié [Adresse 7], mandataire judiciaire, pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Enfinity France,

3°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, société anonyme,

4°/ à la société MMA IARD, société anonyme,

toutes deux ayant leur siège [Adresse 3], prise en leur qualité d'assureur des sociétés Eden Energy et Energy Prod,

5°/ à la société Kilowattsol, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],

6°/ à la société Allianz IARD, dont le siège est [Adresse 1],

7°/ à la société QBE Insurance Europe Limited, dont le siège est [Adresse 5] (Royaume-Uni),

8°/ à la société QBE Europe NV/SA, société anonyme, dont le siège est [Adresse 8],

défendeurs à la cassation.

La société QBE europe venant aux droits de la société QBE Insurance Europe Limited et la société Kilowattsol ont formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation ;

Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation ;

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Axa France IARD, de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Enfinity PV, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés Kilowattsol, QBE Insurance Europe Limited et de QBE Europe NV/SA, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Allianz IARD, après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt. Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 janvier 2022, rectifié par arrêt du 24 novembre 2022), la société Enfinity PV a confié la conception et la construction de quatre centrales photovoltaïques en toiture de bâtiment à la société Enfinity France, assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa), laquelle a sous-traité une partie des prestations aux sociétés Eden Energy et Energy Prod, assurées auprès des sociétés MMA IARD assurances et MMA IARD (les sociétés MMA).

2. La société Kilowattsol, investie par la société Enfinity PV d'une mission de conseil, a sous-traité l'assistance lors de la réception à la société Top Bis, ces deux sociétés étant assurées auprès de la société QBE europe venant aux droits de la société QBE Insurance Europe Limited (la société QBE).

3. Se plaignant de désordres et dysfonctionnements, la société Enfinity PV a, après expertise, assigné M. [T], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Enfinity France, et les sociétés Axa et MMA en indemnisation de ses préjudices. Les sociétés Kilowattsol, QBE et Top Bis ont été appelées en intervention.

Examen des moyens

Sur les troisième, quatrième et sixième branches du premier moyen du pourvoi principal, le second moyen du pourvoi principal, les troisième et quatrième branches du moyen du pourvoi incident

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur les premières branches du premier moyen du pourvoi principal et du moyen du pourvoi incident, rédigées en termes similaires et la deuxième branche du premier moyen du pourvoi principal, réunies

Enoncé du moyen

5. Par son moyen, la société Axa fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Enfinity France certaines sommes dont in solidum avec les sociétés Kilowattsol et QBE la somme de 61 257,72 euros, avec application du plafond de garantie et de la franchise, alors :

« 1°/ que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en affirmant, par reprise des conclusions de l'expert, que « le montage des centrales sur les toitures a été réalisé de façon parfois hasardeuse mais sans désordre structurel important et que toutefois quelques abergements, relevés d'étanchéités, faîtes et rives en tôle sont défectueux et provoquent quelques infiltrations d'eau (de niveau secondaire par rapport à celles infiltrant par les chéneaux existants) », sans relever une atteinte à la solidité de l'ouvrage ou constater que les dommages rendaient l'ouvrage impropre à sa destination, relevant au contraire seulement « quelques infiltration d'eau, de niveau secondaire », la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1792 du code civil ;

2°/ que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en retenant que l'absence de traitement anti-condensation des bacs pour les centrales Eden U1 et Filav constitue un désordre de nature décennale dès lors que des phénomènes de condensation « peuvent se manifester selon la destination des locaux » et affecter les plaques des faux plafonds qui, risquant de tomber, représentent un danger pour les occupants, et générer des écoulements à l'intérieur des locaux, sans préciser la destination des locaux à la date des travaux, ou celle que le maître de l'ouvrage entendait leur donner, partant convenue entre les parties, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1792 du code civil. »

6. Par leur moyen, les sociétés Kilowattsol et QBE font le même grief, alors « que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en ordonnant l'indemnisation, sur le fondement de la responsabilité décennale, du coût de reprise des toitures au motif qu'elles seraient atteintes d'anomalies engendrant des infiltrations, sans relever une atteinte à la solidité de l'ouvrage ou constater que les dommages rendaient l'ouvrage impropre à sa destination, mais en retenant au contraire seulement « quelques infiltration d'eau, de niveau secondaire », la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. La cour d'appel a relevé que les panneaux photovoltaïques formaient avec les bacs en acier un ensemble indissociable constituant la toiture du bâtiment et assurant son étanchéité, et que le matériel nécessaire à la réalisation des quatre centrales en toiture avait été défini et fourni, sans considération de l'usage des locaux situés au-dessous.

8. Puis elle a constaté que la réalisation défectueuse du montage des centrales en toiture avait provoqué quelques infiltrations d'eau, de niveau secondaire par rapport à celles provenant des chéneaux, et que l'absence de traitement anti-condensation des bacs posés sur deux des centrales avait entraîné des phénomènes de condensation pouvant affecter les plaques de faux-plafonds qui, risquant de tomber, présentaient un danger pour les occupants, ou généré des écoulements d'eau à l'intérieur des locaux.

9. En l'état de ces constations et appréciations, procédant aux recherches prétendument omises, elle a souverainement retenu que les infiltrations et les risques de condensation compromettaient l'usage du bâtiment à destination de stockage ainsi que la sécurité des personnes en raison de la dégradation et des risques de chute des dalles des faux-plafonds.

10. Ayant ainsi caractérisé l'impropriété du bâtiment à sa destination, quel que soit l'usage des locaux situés en-dessous, elle a légalement justifié sa décision.

Enoncé du moyen

Sur la cinquième branche du premier moyen du pourvoi principal et la deuxième branche du moyen unique du pourvoi incident, réunies

11. Par son moyen, la société Axa fait le même grief, alors « que viole l'article 1792 du code civil, la cour d'appel qui retient que « les défauts affectant le câblage portent atteinte à la solidité du bâtiment en raison des risques d'incendie », après avoir constaté que selon l'expert, aucun désordre portant sur les raccordements électriques des sites n'a été constaté ».

12. Par leur moyen, les sociétés Kilowattsol et QBE font le même grief, alors « que la responsabilité décennale ne s'applique qu'aux désordres graves apparus dans le délai décennal ; qu'en retenant que « les défauts affectant le câblage portent atteinte à la solidité du bâtiment en raison des risques d'incendie », après avoir constaté que selon l'expert « aucun désordre portant sur les raccordements électriques des sites n'a été constaté », la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

13. Ayant relevé, d'une part, que si aucun désordre portant sur les raccordements électriques des sites n'avait été constaté, un local technique avait été en surchauffe, d'autre part, que la non-conformité du câblage aux normes, l'absence de protection des câbles et leur dégradation étaient susceptibles de provoquer des surtensions et des surchauffes évoluant en départ d'incendie, la cour d'appel en a souverainement déduit qu'en raison des risques d'incendie, les défauts affectant le câblage portaient atteinte à la solidité du bâtiment.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société Axa France IARD aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes