Cour de cassation

chambre civile 2

Audience publique du jeudi 28 février 2013

N° de pourvoi: 12-16.627

Non publié au bulletin Rejet

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 14 décembre 2011), que la SCI de Lacanau Océan (la SCILO) a acquis diverses parcelles de terrain situées sur le front de mer, dune nord, sur la commune de Lacanau Océan, classées selon le plan d'occupation des sols en zone NA, dite à urbaniser, afin de prendre part à une opération d'aménagement immobilier alors envisagée dans le cadre d'une zone d'aménagement concerté ; que le syndicat mixte de Lacanau (le syndicat), propriétaire d'un ensemble de parcelles contiguës à celles de la SCILO, a réalisé en 1987 un aménagement de la dune nord pour créer une plage, ce qui entraîné un phénomène de déplacement de la dune sur les terrains voisins appartenant à la SCILO ; qu'après avoir assigné celle-ci devant un tribunal administratif, qui s'est déclaré incompétent, la SCILO, sur le résultat d'une expertise ordonnée en référé, a assigné le syndicat en responsabilité et réparation sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil et subsidiairement, de l'article 1382 du même code ;

Sur le moyen unique, pris en ses quatre premières branches :

Attendu que la SCILO fait grief à l'arrêt, après avoir déclaré le syndicat mixte de Lacanau, aux droits duquel est venue la ville de Lacanau, responsable, sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil, du dommage causé par l'ensablement des parcelles de la SCILO, en tant que gardien de la dune, de limiter le montant de la condamnation de ce dernier, à la somme de 7 622, 45 euros et de la débouter de sa demande visant au retrait des sables ayant envahi sa propriété, alors, selon le moyen :

1°/ que la personne qui a la garde d'une dune ayant provoqué.

l'ensablement des terrains voisins est responsable des dommages résultant de cet ensablement ; que la cour d'appel, qui, après avoir énoncé que la commune de Lacanau était gardienne de la dune et comme telle responsable, sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil, de l'ensablement des parcelles contigües aux siennes, s'est fondée, pour débouter l'exposante de sa demande d'indemnisation du préjudice résultant de ce que les terrains qu'elle avait acquis étaient désormais irrémédiablement inconstructibles, sur les circonstances inopérantes que cette dernière avait connaissance du problème au moment de l'acquisition de ses terrains alors classés en zone à urbaniser, qu'elle n'avait pas un droit acquis à ce qu'ils deviennent constructibles, que la commune de Lacanau n'était pas tenue d'entreprendre des travaux pour les rendre constructibles et qu'elle n'établissait pas que si la commune avait stabilisé la dune par des travaux plus précoces les terrains seraient devenus constructibles, sans par ailleurs rechercher, si l'ensablement provoqué par la dune dont ladite commune était la gardienne n'avait pas rendu irrémédiablement inconstructibles ces terrains de sorte que cette dernière était responsable de ce préjudice, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil ;

2°/ que tout jugement doit être motivé et que les juges ne peuvent se prononcer par des motifs imprécis et généraux ; qu'en énonçant encore, pour débouter l'exposante de sa demande d'indemnisation du préjudice résultant de ce que les terrains qu'elle avait acquis étaient désormais irrémédiablement inconstructibles, que l'intervention des lois de protection du littoral et les plans de prévention des risques avaient modifié la donne et que ces éléments s'imposaient à tous sans préciser la teneur de ces textes ni dans quelle mesure ils pouvaient exonérer la gardienne de la dune de toute responsabilité liée à l'ensablement de ses terrains, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs imprécis et d'ordre général, n'a pas motivé sa décision, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ qu'en se déterminant ainsi sans vérifier si ces lois et plans de prévention des risques ne trouvaient pas eux-mêmes leur justification qu'au regard des risques liés à l'ensablement provoqué par la dune de sorte que cet ensablement constituait la cause du caractère définitivement inconstructible des terrains en question, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil ;

4°/ que dans ses conclusions d'appel, la SCILO faisait état d'une déclaration du maire de la commune de Lacanau qui, en 1998, reconnaissait l'importance de la restructuration de la dune Nord, que la ville avait pris la précaution de zoner cette zone pour être urbanisée sous forme de ZAC, qu'un problème financier rendait en l'état impossibles ces travaux, d'une autre de ses déclarations, en 1999, relatant toujours ces problèmes financiers, seul obstacle à la viabilisation des terrains pour les rendre constructibles et se prévalait également des dispositions du règlement du POS qui, en son chapitre 1er, relatif à la zone à urbaniser, précisait que cette zone pourra être ouverte à l'urbanisation lorsque les conditions de stabilisation de la dune Nord auront été rétablies (pièce 24 produite) ; qu'en se contenter d'énoncer que la SCILO n'établissait pas que des travaux plus précoces de stabilisation de la dune auraient permis un classement des parcelles en zone constructible, sans se prononcer ni sur cette déclaration du maire, ni davantage sur les dispositions du règlement du POS, la cour d'appel n'a pas motivé sa décision et a ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt retient par motifs adoptés que le préjudice subi par la SCILO ne saurait consister en la constructibilité de ses terrains ; qu'en effet, à la date de son acquisition le 18 septembre 1991, la constructibilité des parcelles litigieuses était déjà compromise avec une avancée moyenne de la dune de cinq mètres par an donnée par un professeur dès 1986, et, en l'absence de tout travaux depuis cette date, étant rappelé que lesdites parcelles étaient classées en zone NA du plan d'occupation des sols, donc non constructibles ; qu'ainsi, dès 1991, le projet d'aménagement du quartier de " la chapelle " sous forme de zone d'aménagement concertée de l'architecte urbaniste X..., décrit dans une étude du 17 novembre 1986 pour le compte de la SCILO, précédent propriétaire, n'était plus envisageable ; que d'ailleurs M. X... indiquait déjà en préambule que le premier souci était de " traiter la dune Nord non entretenue depuis 1939 " afin de rendre ce quartier propre à l'urbanisation, précisant ensuite qu'il existait une contrainte technique importante consistant dans le remodelage et la stabilisation de la dune nord, dont il chiffrait les travaux d'aménagement à 3 600 000 francs (548 816, 56 euros) ; que le prix payé ne correspond pas à celui de parcelles constructibles ; qu'en procédant à cet achat, la SCI du Grand Théâtre devenue la SCILO, qui espérait que les parcelles litigieuses deviendraient constructibles après les travaux de stabilisation de la dune, a pris un risque qu'elle ne peut faire supporter aujourd'hui au syndicat mixte de Lacanau ; qu'elle ne peut se prévaloir d'aucun droit acquis à la possibilité de rendre constructibles des terrains classés en zone NA lors de son achat et qui n'ont jamais été déclarés constructibles par la suite ; qu'aucune obligation ne pèse sur la commune de faire des travaux pour rendre ces terrains privés constructibles ; que la SCILO les a achetés à bas prix en 1991, dans l'espoir de voir leur classement en zone constructible et faire ainsi une opération financière avantageuse ; que les terrains étant restés inconstructibles, il n'est pas établi que si la commune avait stabilisé la dune par des travaux plus précoces, cela aurait permis le classement des parcelles concernées en zone constructible ; qu'il faut souligner en outre que l'intervention des lois de protection du littoral et les plans de prévention des risques ont modifié la donne à cet égard, ces éléments s'imposant à tous ;

Que de ces constatations et énonciations procédant de son appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve, la cour d'appel, répondant aux conclusions par une décision motivée, sans être tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a pu apprécier comme elle l'a fait le préjudice de nature à réparer intégralement le préjudice subi ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique, pris en sa cinquième branche, telle que reproduit en annexe :

Attendu que la SCILO fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande visant au retrait des sables ayant envahi sa propriété ;

Mais attendu que, sous le couvert du grief non fondé de violation de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil et de violation du principe de réparation intégrale du préjudice de la victime, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation l'appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve par la cour d'appel, qui, par une décision motivée, a pu en déduire que la prétention subsidiaire de la SCILO à obtenir la condamnation de la commune à procéder au retrait des sables n'était pas fondée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la SCI de Lacanau Océan aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la commune de Lacanau la somme de 2500 euros ;