Cour de cassation

chambre commerciale

Audience publique du mardi 12 février 2013

N° de pourvoi: 12-13.603

Publié au bulletin Rejet

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 novembre 2011), que depuis 1996, la société EAS fret, spécialisée dans le ramassage, le transport et la livraison de colis et de documents, était le sous-traitant de la société DHL express France (la société DHL) dans la région des Côtes d'Armor, en dernier lieu en vertu d'un "contrat navette" et d'un "contrat d'opérateur intégré" ; qu'elle a été mise en redressement judiciaire le 14 février 2001 mais a pu bénéficier d'un plan de continuation ; que le 25 octobre 2004, la société DHL lui a notifié la rupture de leurs relations contractuelles avec un préavis de trois mois ; que le 22 décembre 2004, le plan de continuation a été résolu et la société EAS fret mise en liquidation judiciaire ; qu'estimant que cette liquidation était imputable à la société DHL, M. X..., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société EAS fret, et M. Y..., gérant de cette dernière, l'ont assignée en paiement de dommages-intérêts, notamment pour abus de dépendance économique ;

Attendu que M. X..., ès qualités, et M. Y..., ès qualités, font grief à l'arrêt du rejet de la demande, alors, selon le moyen :

1°/ que la relation de dépendance économique est caractérisée dès lors qu'il est établi qu'une entreprise se trouve dans l'impossibilité de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables ; que cette condition s'identifie à celle d'absence de solution alternative équivalente, qui constitue donc une condition nécessaire et suffisante à la caractérisation d'une relation de dépendance ; qu'au cas présent, la cour d'appel a considéré que la relation de dépendance économique supposait que soit établie non seulement l'absence de solution alternative équivalente mais également quatre autres conditions, à savoir "la part de l'entreprise dans le chiffre d'affaires de son partenaire, la notoriété de la marque, l'importance de la part de marché de ce partenaire, (...) et les facteurs ayant conduit à la situation de dépendance économique" (arrêt p. 5 par. 2) ; qu'en érigeant ainsi en conditions de l'état de dépendance économique ce qui ne peut s'analyser que comme des éléments d'un faisceau d'indices normalement uniquement énoncés pour appréhender la définition de la relation de dépendance, caractérisée dès l'instant où l'opérateur dépendant est privé de solution alternative équivalente, la cour d'appel a ajouté à la loi, violant ainsi l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce dans sa rédaction applicable à la cause ;

2°/ que la possibilité de disposer d'une solution équivalente s'entend de la possibilité juridique mais aussi matérielle pour l'entreprise de développer des relations contractuelles avec d'autres partenaires ; qu'ainsi, cette possibilité ne saurait être déduite de la seule absence de clause d'exclusivité liant l'entreprise sous-traitante à son donneur d'ordre, l'impossibilité de disposer d'une solution alternative pouvant naître d'une impossibilité de fait due aux conditions de travail imposées par le donneur d'ordre au sous-traitant ; qu'au cas présent, pour considérer que la condition tenant à l'absence de solution alternative équivalente de la société EAS fret n'était pas remplie, la cour d'appel s'est contentée d'affirmer qu' "aucune exclusivité n'a été exigée de la part de la société EAS fret et qu'il lui appartenait donc de diversifier sa clientèle pour anticiper une rupture toujours possible des relations commerciales" (arrêt p. 5 par. 6) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a réduit la condition d'absence de solution équivalente à la seule impossibilité juridique, violant ainsi l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce dans sa rédaction applicable à la cause ;

3°/ que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'au cas présent, les exposants avaient visé dans leurs conclusions d'appel et versé aux débats un courrier en date du 8 juin 1998 par lequel la société EAS fret exprimait son vif désaccord sur les nouvelles conditions financières qui lui étaient imposées par la société DHL ; qu'en affirmant néanmoins que la société EAS fret "n'a jamais remis en cause, de 1996 à 2004, les tarifs convenus avec DHL, la seule réclamation de son gérant, M. Y..., concernant en 2004 le tarif de 165 euros par jour et par route pour le Morbihan" (arrêt p. 5 par. 9), sans examiner ni même viser ce document qui lui était soumis, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que l'état de dépendance économique se définit comme l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise ; qu'après avoir relevé que, même si la société DHL est leader dans le domaine des transports et du fret, sa part de marché dans les Côtes d'Armor et le Morbihan n'est pas dominante, de nombreux concurrents exerçant une activité similaire dans la région et le recours à la sous-traitance s'expliquant essentiellement par le fait qu'elle n'y dispose pas d'une implantation commerciale forte, l'arrêt retient que la société EAS fret, qui avait déjà d'autres clients, pouvait encore élargir sa clientèle, aucune clause d'exclusivité ne l'en empêchant ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir l'absence d'obstacle juridique ou factuel à la faculté de diversification de la société EAS fret, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les première et troisième branches, la cour d'appel a pu retenir que cette société n'était pas en situation de dépendance économique à l'égard de la société DHL et a ainsi justifié sa décision ; que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses première et troisième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X..., ès qualités, et M. Y..., ès qualités, aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;