Cet arrêt est commenté par :

- M. MAYAUX, SJ G, 2013, p. 689.

- M. KULLMANN, REVUE GENERALE DU DROIT DES ASSURANCES RGDA, 2013, p. 693.

Cour de cassation

chambre civile 2

Audience publique du jeudi 7 février 2013

N° de pourvoi: 11-24.154

Non publié au bulletin Cassation partielle

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que la société Total a souscrit auprès de la société Gan assurances, apéritrice, et des sociétés XL Insurance Compagny limited, Allianz et Chartis Europe, co-assureurs (les assureurs), un contrat d'assurance de responsabilité civile couvrant les conséquences pécuniaires de ses activités ainsi que celles de ses filiales, les sociétés Hutchinson et Le Joint français (les sociétés) ; qu'un avenant n° 11 du 1er janvier 2000, a défini le sinistre comme toute réclamation amiable ou judiciaire d'un tiers susceptible d'entraîner l'application d'une garantie du contrat ; que le contrat a été résilié à compter du 30 avril 2000, l'avenant précité prévoyant que les garanties seraient maintenues en cas de résiliation pour tous les préjudices dont le fait générateur serait antérieur à cette date et dont les réclamations se manifesteraient avant le 30 avril 2002 ; que les sociétés ayant fait l'objet de réclamations formulées avant et après la résiliation du contrat par d'anciens salariés victimes d'une maladie professionnelle due à leur exposition à l'amiante et tendant à la reconnaissance d'une faute inexcusable, elles ont assigné, les 26 et 27 décembre 2006, les assureurs en garantie ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu que les assureurs font grief à l'arrêt de les condamner à garantir les sociétés des conséquences pécuniaires des réclamations découlant du sinistre sériel et notamment celles de MM. X..., Y..., Z... et A..., alors, selon le moyen :

1°/ que le fait générateur qui, au sens du point 4 du chapitre I de la police d'assurance responsabilité civile litigieuse entraîne l'application de la garantie du contrat, est constitué, lorsque la responsabilité civile de l'assuré est engagée à raison de la faute inexcusable de ce dernier, par cette faute inexcusable, laquelle est caractérisée en matière de maladie professionnelle liée à l'exposition à l'amiante par la conscience chez l'employeur du danger encouru par le salarié et l'absence de mesure de nature à en préserver ce dernier ; que dès lors, en considérant que le fait générateur entraînant l'application de la garantie du contrat aurait été constitué par l'exposition à l'amiante, la cour d'appel a dénaturé les stipulation claires et précises du point 4 du chapitre premier de la police d'assurance applicable, en violation de l'article 1134 du code civil et de l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause ;

2°/ que la faute inexcusable, fait générateur qui au sens du point 4 du chapitre I de la police d'assurance responsabilité civile litigieuse entraîne l'application de la garantie du contrat, est caractérisée en matière de maladie professionnelle liée à l'exposition à l'amiante par la conscience chez l'employeur du danger encouru par le salarié et l'absence de mesure de nature à en préserver ce dernier, de sorte qu'elle ne peut s'apprécier qu'au cas par cas selon les circonstances, notamment de temps et de lieu, propres à chaque espèce ; que dès lors, en considérant que le fait générateur entraînant l'application de la garantie du contrat ne devrait pas s'entendre des circonstances de temps et de lieu propres à chaque réclamation, la cour d'appel a dénaturé les stipulation claires et précises du point 4 du chapitre premier de la police d'assurance applicable, en violation de l'article 1134 du code civil et de l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause ;

3°/ que la faute inexcusable, fait générateur qui au sens du point 4 du chapitre I de la police d'assurance responsabilité civile litigieuse entraîne l'application de la garantie du contrat est, en matière de maladie professionnelle liée à l'exposition à l'amiante, incompatible avec la notion de dommage sériel au sens de cette même stipulation contractuelle ; que dès lors, en estimant que les réclamations litigieuses pour fautes inexcusables, notamment les réclamations X..., Y..., Z... et A..., découleraient d'un "sinistre sériel" la cour d'appel a dénaturé les stipulation claires et précises du point 4 du chapitre I du contrat d'assurance applicable, en violation de l'article 1134 du code civil et de l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que l'avenant n° 11 du 11 janvier 2000 du contrat d'assurance stipule que l'ensemble des réclamations qui sont la conséquence d'un même fait générateur, quels que soient leur nombre et le délai dans lequel elles sont présentées, constituent un seul et même sinistre imputé à l'année d'assurance au cours de laquelle la première réclamation a été formulée, l'arrêt retient que le fait générateur doit s'entendre non des circonstances de temps et de lieu propres à chaque réclamation mais de la cause technique qui est commune et qui est constituée, en l'espèce, par l'exposition des salariés aux fibres d'amiante, de sorte que les assureurs sont tenus de garantir les sociétés des conséquences pécuniaires des réclamations découlant de ce sinistre sériel et notamment des réclamations X..., Y..., Z... et A... ;

Que de ces constatations et énonciations, procédant de son interprétation souveraine de la clause litigieuse que ses termes ambigus rendaient nécessaire, la cour d'appel a pu déduire, hors de toute dénaturation, que les assureurs étaient tenus de garantir les sociétés des conséquences pécuniaires des réclamations d'anciens salariés victimes de maladies professionnelles résultant de leur exposition à l'amiante et causées par la faute inexcusable de ces sociétés ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident :

Vu l'article L. 114-1 du code des assurances ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, lorsque l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier ;

Attendu que pour déclarer prescrite l'action portant sur les conséquences pécuniaires de la réclamation de M. B..., l'arrêt énonce que les sociétés répondent que leur courtier a adressé le 19 juin 2006, dans les deux ans suivant l'avis du recours en faute inexcusable reçu de M. B... par la société Le Joint français le 30 juin 2004, une lettre à l'apériteur de la coassurance; que les assureurs ne peuvent donc soutenir que cette lettre n'aurait pas constitué la déclaration de sinistre en ce qu'elle ne contenait pas "mention de ce que le risque de réclamation s'est réalisé et de sa date" ; qu'en effet, préalablement à cette lettre, leur avait été notifiée, par lettre du 30 avril 2002, la liste de l'ensemble des maladies professionnelles qui étaient survenues, dont celle de M. B... ; que l'article L. 113-2, 4° du code des assurances impose à l'assuré "de donner avis à l'assureur, dès qu'il en a eu connaissance et au plus tard dans le délai fixé par le contrat, de tout sinistre de nature à entraîner la garantie de l'assureur" ; que par ailleurs, l'article 7 des conditions générales de la police d'assurance stipule que "dès qu'il sera possible, le service de l'assuré chargé de la gestion du sinistre avisera l'assureur de la survenance de tout sinistre susceptible de déclencher l'application des garanties du présent contrat" ; qu'en transmettant le 30 avril 2002 à la société apéritrice, conformément aux dispositions contractuelles, un courrier intitulé déclaration de sinistre RC du 16 septembre 2002 visant M. B... comme auteur à l'encontre de la société Le Joint français d'une possible action en recherche de faute inexcusable amiante par un ancien employé sans date ni lieu où cette contamination se serait produite, le courtier de l'assuré n'a pas transmis une déclaration de sinistre valable ; que l'envoi au même co-assureur le 19 juin 2006 d'une lettre, dont le texte mentionnant le nom de M. B... se limitait à dire que l'objet de ce courrier était d'interrompre la prescription sans préciser les éléments permettant d'indiquer la date et le lieu du sinistre, ne saurait pas plus valoir déclaration ; qu'il s'ensuit qu'aucune déclaration de sinistre régulière n'ayant été faite le 26 décembre 2006, jour de l'assignation, la prescription était acquise ;

Qu'en statuant ainsi par des motifs inopérants, après avoir constaté que M. B... avait exercé un recours contre son employeur, la société assurée, sur le fondement de la faute inexcusable à la date du 30 juin 2004, et que le courtier avait adressé à cette société une lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 19 juin 2006 lui notifiant l'effet interruptif de la prescription biennale au titre du dossier de M. B..., la cour d'appel, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré prescrite l'action en garantie des conséquences pécuniaires de la réclamation de M. B..., l'arrêt rendu le 21 juin 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne les sociétés Gan assurances, XL Insurance compagny limited, Allianz et Chartis Europe aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer aux sociétés Hutchinson SNC et SA et Le Joint français la somme globale de 2 500 euros ;