Le préambule

En tous temps, j’ai toujours redouté l’aigrissement : l’aigrissement du cœur, celui des yeux, celui des sens en général, celui de l’émerveillement d’une nature qui renait, d’une fleur qui s’ouvre, d’une senteur qui s’offre, d’un oiseau qui vole, d’un renard qui s’arrête, d’un chien qui s’émeut, d’un crapaud qui coasse, d’un criquet qui bondit, d’un arbre qui reste.

Contre toute attente, le 27 mars 2020 soit en cours de confinement où les attentes de tous sont principalement de trois ordres : famille, santé, économie, un dispositif qui rôde depuis 2017 a indécemment vu le jour.

 

L’entrée en matière

Le Décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 vient de porter création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DataJust ».

D’où ce questionnement préalable.

 

L’indécence

Il est indiqué que ce décret autorise le ministre de la justice à mettre en œuvre, pour une durée de deux ans, un traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé « DataJust », ayant pour finalité le développement d'un algorithme devant servir à :

  • La réalisation d’évaluations rétrospectives et prospectives des politiques publiques en matière de responsabilité civile et administrative,
  • l'élaboration d'un référentiel indicatif d'indemnisation des préjudices corporels,
  • l'information des parties et l'aide à l'évaluation du montant de l'indemnisation à laquelle les victimes peuvent prétendre afin de favoriser un règlement amiable des litiges, ainsi que l'information ou la documentation des juges appelés à statuer sur des demandes d'indemnisation des préjudices corporels.

 

Les catégories de données à caractère personnel et informations enregistrées dans le traitement prévu à l'article 1er sont extraites des décisions de justice rendues en appel entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2019 par les juridictions administratives et les formations civiles des juridictions judiciaires dans les seuls contentieux portant sur l'indemnisation des préjudices corporels.

 

L’épouvante

1°) Ces données sont constituées par les noms et prénoms des personnes physiques mentionnées dans les décisions de justice, à l'exception de ceux des parties.

Mais quels noms peuvent bien figurer dans une décision de justice sinon ceux des magistrats, des avocats des greffiers ? à quoi cela peut-il servir de collecter ce genre de nom sinon pour contrôler l’activité des « mis en cause ».

2°) Les éléments d'identification des personnes physiques qui seront collectés seront la date de naissance, le genre, le lien de parenté avec les victimes et le lieu de résidence.

3°) Les données et informations relatives aux préjudices subis, notamment, ce qui signifie que la liste n’est pas exhaustive :

- la nature et l'ampleur des atteintes à l'intégrité, à la dignité et à l'intimité subies, en particulier la description et la localisation des lésions, les durées d'hospitalisation, les préjudices d'agrément, esthétique, d'établissement, d'impréparation ou sexuel, les souffrances physiques et morales endurées, le déficit fonctionnel, ainsi que le préjudice d'accompagnement et d'affection des proches de la victime directe ;      
- les différents types de dépenses de santé (notamment frais médicaux, paramédicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation) et d'aménagement (notamment frais de logement, d'équipement et de véhicule adaptés) ;           
- le coût et la durée d'intervention des personnes amenées à remplacer ou suppléer les victimes dans leurs activités professionnelles ou parentales durant leur période d'incapacité ;
- les types et l'ampleur des besoins de la victime en assistance par tierce personne ;
- les préjudices scolaires, universitaires ou de formation subis par la victime directe ;
- l'état antérieur de la victime, ses prédispositions pathologiques et autres antécédents médicaux ;

4°) Les données relatives à la vie professionnelle et à la situation financière, notamment la profession, le statut, les perspectives d'évolution et droits à la retraite, le montant des gains et pertes de gains professionnels des victimes, ainsi que des responsables ou personnes tenues à réparation ;  

5°) Les avis des médecins et experts ayant examiné la victime et le montant de leurs honoraires ;    

6°) Les données relatives à des infractions et condamnations pénales ;

7°) Les données relatives à des fautes civiles.

 

 

L’adversité

Les points 3 et 4 amènent plusieurs interrogations.

Grâce au référentiel DINTILHAC, aux méthodes de calculs, tableaux graphiques barèmes de capitalisation élaborés selon l’âge le taux d’incapacité, il était possible de connaître les montants estimés de l’indemnisation des postes de préjudice corporels. Ainsi étaient quantifiables au plus juste sans data :

  • les préjudices esthétiques,
  • les souffrances physiques et morales endurées,
  • le déficit fonctionnel, ainsi que le préjudice d'accompagnement et d'affection des proches de la victime directe,         
  • le préjudice d’affection,

 

Ensuite, sous réserve d’en justifier, étaient également mesurables sans data :

  • les différents types de dépenses de santé (notamment frais médicaux, paramédicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation) et d'aménagement (notamment frais de logement, d'équipement et de véhicule adaptés) ;      
  • le coût et la durée d'intervention des personnes amenées à remplacer ou suppléer les victimes dans leurs activités professionnelles ou parentales durant leur période d'incapacité ;           

 

Plus encore, en ce qui concerne les types et l'ampleur des besoins de la victime en assistance par tierce personne, le préjudice sexuel, le préjudice d’agrément, le rapport d’expertise pouvait les mettre en évidence, à charge pour les parties d’argumenter et de chiffrer.

           
Les préjudices scolaires, universitaires ou de formation subis par la victime directe devaient être justifiés.

 

Quant au préjudice d’impréparation, s’il a récemment été créé, il n’atteint jamais des sommes extravagantes et je n’ose penser qu’une telle usine à gaz n’a pas été conçue pour évaluer des préjudices certes incontestables, mais à la marge par rapport au préjudice corporel subi et retentissement financier qui l’accompagne. On peut rajouter dans cette catégorie le préjudice d’agrément laissé à l’appréciation des juges qui savent très bien le faire et qui n’ont pas besoin de datajust pour cela.

La collecte des données personnelles sur l'état antérieur de la victime, ses prédispositions pathologiques et autres antécédents médicaux inquiètent également dans le sens où rendre public de telles données dans un contexte de pseudonimisation préconisée par datajust est la porte ouverte à un fichage sur l’état de santé des individus qui de surcroît heurte de plein fouet le secret médical rendu grand public.

 

L’imposture

En réalité, sous couvert d’une exposition plus large des professions de justice dont l’activité est présentée comme confidentielle, qui bousculerait nos habitudes professionnelles (sic), offrant aux justiciables la possibilité de discuter les divergences de jurisprudence si tant est qu’elle soit comprise, ces nouveaux outils n’ont pour seuls objectifs que de rivaliser économiquement avec les géants du numérique.

 

Le rapport sur l’open data des décisions de Justice explique en page 27 que l’avantage acquis par les géants du numérique chinois, russes et américains repose largement sur la capacité qu’ils ont eue de collecter d’importantes masses de données, sur des marchés domestiques de très grande taille. La possibilité pour la France d’être en avance dans le domaine de l’ouverture des données juridiques pourrait donc être de nature à lui conférer un avantage sur ses concurrents, indéterminé à ce stade, dans le développement de solutions appliquées au droit.

 

La boucle est bouclée

Vu ce que les chinois nous ont apporté en 2020, le mimétisme n’est-il pas une stupidité crasse ?A prendre et les avocats et les magistrats pour des imbéciles, tel est pris qui croyait prendre et il se pourrait que nous puissions voir grâce à cet outil futuriste du tonnerre de Brest quelles sont les indemnisations obtenues contre qui de droit par toutes les familles de victimes du Covid devant tous les tribunaux administratifs ou judiciaires.

 

Et là me revient à l’esprit mon préambule et sa sempiternelle question.

 

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