Par arrêt n° 453391 du 9 juin 2022, le Conseil d’Etat a précisé, dans un sens sans doute restrictif, les conditions dans lesquelles un étranger peut demander au juge administratif des référés d’enjoindre au préfet de lui fixer rendez-vous pour le dépôt d’une demande de titre de séjour, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, qui dispose, relativement au référé-mesures utiles, qu’en « cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative. »

Il rappelle qu’eu « égard aux conséquences qu'a sur la situation d'un étranger, notamment sur son droit à se maintenir en France et, dans certains cas, à y travailler, la détention du récépissé qui lui est en principe remis après l'enregistrement de sa demande et au droit qu'il a de voir sa situation examinée au regard des dispositions relatives au séjour des étrangers en France, il incombe à l'autorité administrative, après lui avoir fixé un rendez-vous, de le recevoir en préfecture et, si son dossier est complet, de procéder à l'enregistrement de sa demande, dans un délai raisonnable » (cf. CE Avis 1er juillet 2020, n° 436288), comme l’avait déjà énoncé l’arrêt n° 435594 du 10 juin 2020.

Suivant ce dernier, « lorsque le rendez-vous ne peut être obtenu qu'en se connectant au site internet de la préfecture, (…) si l'étranger établit qu'il n'a pu obtenir une date de rendez-vous, malgré plusieurs tentatives n'ayant pas été effectuées la même semaine, il peut demander au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L 521-3 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de lui communiquer, dans un délai qu'il fixe, une date de rendez-vous. Si la situation de l'étranger le justifie, le juge peut préciser le délai maximal dans lequel ce rendez-vous doit avoir lieu. Il fixe un délai bref en cas d'urgence particulière. »

En application de ces principes, il était arrivé au Conseil d’Etat d’enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de communiquer, pour le dépôt de sa demande de titre de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la notification de son arrêt, une date de rendez-vous à un requérant qui justifiait « d’une part, de cent-quarante-neuf captures d'écran, datées précisément par un système informatique, attestant de son incapacité à obtenir un rendez-vous en ligne sur le site de la préfecture entre les 10 juin et 11 juillet 2020, puis entre les 28 août et 11 septembre 2020 et enfin entre le 22 septembre et le 1er octobre 2020, d'autre part, de soixante-dix-neuf copies d'écran supplémentaires datées du 29 novembre au 16 décembre 2020 » (CE 21 avril 2021, n° 448178).

L’urgence semblait ici tenir au simple fait qu’il n’avait pas été possible au requérant d’accomplir dans un délai raisonnable les formalités nécessaires à l’obtention d’un rendez-vous pour sa demande de titre de séjour.

Evoquant, dans ses conclusions, près de 7600 référés-mesures utiles traités par les juges des référés des tribunaux administratifs sur un an, le rapporteur public de l’affaire du 9 juin 2022 relevait à la fois que « cette voie de recours joue pleinement son rôle de garantie de l’accès à la procédure de demande de titre de séjour » et que « la cause du problème persiste, c’est-à-dire l’organisation et le dimensionnement du système de prise de rendez-vous en ligne pour ces demandes, et (que) la charge d’en assurer la régulation, voire d’en corriger les dysfonctionnements, est d’une certaine manière déportée vers le juge. »

Dans ce contexte, l’arrêt du 9 juin 2022 reformule légèrement le principe qu’avait posé celui du 10 juin 2020, à savoir que le référé mesures-utiles est ouvert, « lorsque le rendez-vous ne peut être demandé qu'après avoir procédé en ligne à des formalités préalables, (…) si l'étranger établit n'avoir pu les accomplir, notamment lorsque le site ne permet pas de sélectionner la catégorie de titre à laquelle la demande doit être rattachée, ce dysfonctionnement ayant été constaté à l'occasion de plusieurs tentatives n'ayant pas été effectuées la même semaine ».

Mais la possibilité de satisfaire à la condition d’urgence paraît se restreindre, dès lors qu’il appartiendrait désormais « au juge des référés d'apprécier et de motiver l'urgence compte tenu de l'incidence immédiate du dysfonctionnement sur la situation concrète de l'intéressé. La condition d'urgence est ainsi en principe constatée dans le cas d'une demande de renouvellement d'un titre de séjour. Dans les autres cas, il appartient au requérant de justifier de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui d'obtenir rapidement ce rendez-vous. Si la situation de l'étranger le justifie, le juge peut préciser le délai maximal dans lequel celui-ci doit avoir lieu. Il fixe un délai bref en cas d'urgence particulière. »

En cela, le Conseil d’Etat a préféré faire « intervenir la situation personnelle dans la définition de l’urgence, (…) plus conforme à la logique générale du référé-mesures utiles, et peut-être plus à même de modérer l’effet de déport de charge vers le juge dans la régulation de l’accès à la procédure », à une appréciation « davantage dans la continuité des préoccupations à l’origine de la décision (du 10 juin 2020) », « centrée sur les difficultés d’obtention du rendez-vous », qui aurait pu « se prévaloir d’une plus grande simplicité de mise en œuvre », selon les termes du rapporteur public de l’affaire du 9 juin 2022, qui avait exprimé sa préférence pour la seconde de ces solutions.

Il a pu être sensible à la nécessité de mieux réguler ce qui avait pu devenir un « contentieux de masse » (conclusions du rapporteur public de l’affaire du 9 juin 2022).

En l’espèce, le Conseil d’Etat a jugé que le juge des référés du tribunal administratif de Melun n’avait pas commis d’erreur de droit en prenant en considération un refus de titre de séjour du 8 novembre 2017, assorti d'une obligation de quitter le territoire français à laquelle le demandeur n'avait pas déféré, « pour apprécier l'urgence au regard de la situation concrète de l'intéressé ».

Il en a jugé de même quant à une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montreuil ayant « relevé que la requérante se bornait à invoquer, pour justifier de l'urgence de la mesure sollicitée, l'impossibilité d'accéder aux soins, à un établissement bancaire, à une place de crèche, de passer son permis de conduire et, de manière peu détaillée, à d'autres droits » (CE 22 juin 2022, n° 461563).

Il paraît donc nécessaire de produire des justificatifs aussi précis que possibles de l’urgence invoquée, à tout le moins en dehors du cas de renouvellement d’un titre de séjour.