Nous avons pu le constater : la jurisprudence rendue en matière d’année lombarde est devenue particulièrement hétéroclite, avec une large tendance dernièrement à un durcissement au détriment de l’emprunteur.

En octobre dernier, la Cour d’appel de Besançon a encore élargi le panel des solutions, en sanctionnant la Banque sur le terrain cette fois des clauses abusives.

La question de l’année lombarde a fait, et fait encore, beaucoup parler d’elle.

D’une jurisprudence particulièrement favorable à l’emprunteur, condamnant strictement le recours à l’année de 360 jours dite année lombarde pour le calcul des intérêts conventionnels d’un contrat de prêt, à un durcissement des décisions, puis finalement un éclatement des principes retenus en la matière, il devient très difficile de s’y retrouver.

Les décisions diffèrent, selon les cas, selon les juridictions, selon les juges, ...

Point de départ du délai de prescription (jour de la conclusion du contrat, jour de la reddition d’un rapport d’expertise, jour de la décision de principe de la Cour de cassation même,...), sanction (nullité de la stipulation d’intérêts, déchéance du droit aux intérêts,...) et ses effets (substitution du taux légal au taux conventionnel, seul remboursement des intérêts trop versés, ...), autant de points qui ont donné lieu à pléthore de jugements et d’arrêts divergents.

Se dessine désormais, fin 2019 et maintenant début 2020, une tendance à un peu plus de clémence en faveur des emprunteurs.

La Cour d’appel de Besançon l’a montré notamment en permettant d’assigner sur un nouveau fondement.

Comme on le sait pour l’avoir lu à plusieurs reprises, déjà en 2005, la Commission des Clauses Abusives, dans une recommandation du 14 avril, avait indiqué que la clause contractuelle prévoyant un calcul des intérêts conventionnels sur la base d’une année lombarde de 360 jours était abusive et encourait dès lors l’annulation :
"8 - Considérant qu’une clause prévoit le calcul des intérêts conventionnels sur la base d’une année de 360 jours ; qu’une telle clause, qui ne tient pas compte de la durée réelle de l’année civile et qui ne permet pas au consommateur d’évaluer le surcoût qui est susceptible d’en résulter à son détriment, est de nature à créer un déséquilibre significatif au détriment du consommateur".

Ainsi, cette recommandation, qui concernaient les comptes courants, recommandait que soient éliminées des conventions de compte de dépôt souscrites par des consommateurs ou non-professionnels les clauses de ce type.

Les banques, dans les affaires relatives à l’année lombarde dans des prêts immobiliers, affirmaient alors pour se défendre que cette recommandation, qui concernait strictement les comptes de dépôt, ne pouvait être applicable aux crédits immobiliers.

Cela étant, le Tribunal de Grande Instance de Metz, dans un arrêt du 21 février 2019, a jugé que cette recommandation devait s’appliquer aux crédits immobiliers [1].

Les Juges de Besançon sont encore allés plus loin le 8 octobre 2019 [2], en s’exprimant très clairement sur cette question et en indiquant, sans équivoque possible que "si cette recommandation vise les contrats d’ouverture de comptes de dépôt, elle est nécessairement transposable aux calculs d’intérêts faisant intervenir un taux quotidien, tels que les intérêts intercalaires des prêts immobiliers."

"Attendu qu’il n’est pas contesté que M. X est un emprunteur non-professionnel ; qu’il est admis de façon constante par la haute juridiction au visa des articles 1907 alinéa 2 du code civil et L313-1, L313-2 et R313-1 du Code de la consommation que le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l’intérêt légal, être calculé sur la base de l’année civile ;

Qu’il importe peu que l’appelante tente de se prévaloir de l’absence de surcoûts d’intérêts ou de l’équivalence des calculs au motif que les intérêts contractuels seraient dans les deux cas, 360 ou 365 jours, calculés sur une base de 1/12°, lorsque le contrat précise dans ses conditions générales que les intérêts seront calculés sur le montant du capital restant dû, au taux fixé aux conditions particulières sur la base d’une année bancaire de 360 jours, dès lors que c’est la clause elle-même qui, en privant l’emprunteur de la capacité de calculer le surcoût clandestin qu’induit cette référence à l’année lombarde, a créé un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties."

Ainsi, les Juges considèrent ici que la seule présence de la clause lombarde au contrat de prêt souscrit doit conduire à la condamnation de la Banque sans qu’elle puisse justifier par des calculs le prétendu défaut d’incidence de cette clause.

La Cour considère alors que le taux annuel conventionnel n’a pas été valablement stipulé, à défaut de mode de calcul valide le définissant.

La sanction retenue par la Cour d’appel consiste en la substitution du taux d’intérêt légal à l’intérêt conventionnel, depuis l’origine du contrat et pour les échéances à venir jusqu’à la fin du prêt, et en la condamnation subséquente de la banque à rembourser aux emprunteurs les sommes indûment perçues par elle au titre de l’intérêt conventionnel invalidé.

Cette solution reprend ainsi une tendance qui s’était déjà dégagée sur la base du formalisme, mais cette fois sur le fondement précisément des clauses abusives.

Mais surtout, cet arrêt ouvre une voie particulièrement intéressante au profit des emprunteurs, et non des moindres..., les juges rappellent en effet aux termes de cette décision que l’action qui tend à faire constater le caractère abusif d’une clause contractuelle en application des dispositions de l’article L132-1 du Code de la consommation (qui vise les clauses abusives), et à la voir en conséquence déclarée non écrite, donc rétroactivement inexistante, ne s’analyse pas en une demande en nullité de ladite clause, de sorte que n’étant pas soumise à la prescription quinquennale, elle est imprescriptible.

Ainsi, par ce recours au caractère abusif de la clause lombarde pour emporter la substitution de l’intérêt légal à celui conventionnel, la Cour permet une action des emprunteurs au-delà de toute question de prescription.

Ce détail est loin d’en être un car il concerne donc les affaires dans lesquelles le recours à l’année lombarde apparaît noir sur blanc dans le contrat de prêt, cas dans lesquels la jurisprudence considérait alors majoritairement (sauf quelques décisions dissidentes soulignant le caractère profane des emprunteurs) que le délai de prescription de 5 ans devait commencer à courir au jour de la conclusion du contrat, le recours à l’année de 360 jours étant décelable par l’emprunteur à la seule lecture de son contrat.

Cette solution restreignait beaucoup les actions des emprunteurs.

Ce moyen devient donc un moyen judicieux, et juridiquement fondé, pour agir en justice à l’encontre des banques dans le cas de contrats de prêt contenant la fameuse clause lombarde prohibée, et quand bien même le délai de 5 ans serait-il expiré.

Malheureusement, cet arrêt demeure un cas isolé et les juridictions de Besançon, comme d’autres de province, sont plutôt favorables à l’emprunteur, faveur qui n’emporte cependant pas la conviction de toutes les juridictions françaises, notamment les juridictions parisiennes, qui demeurent à ce jour assez dures vis-à-vis des emprunteurs.

Reste donc à savoir si cette position intéressante et audacieuse de la Cour d’appel de Besançon sera suivie par la Cour suprême, qui n’a pas eu pour l’instant, l’occasion de s’exprimer sur la question de l’année lombarde au regard des clauses abusives.