Une société civile immobilière avait confié à un cabinet spécialisé la gestion d’un sinistre relatif à des désordres de construction.
Le contrat prévoyait un honoraire de résultat équivalant à 50 % des sommes versées par l’assureur dommages-ouvrage et les constructeurs, au-delà du coût des travaux de reprise.
Peu avant la résolution du litige, la société décide de résilier unilatéralement la convention, privant le cabinet de toute perspective de rémunération.
Celui-ci réclame alors des dommages-intérêts équivalents à l’intégralité de l’honoraire prévu, estimant qu’il aurait, à coup sûr, obtenu le résultat attendu si le contrat avait été mené à son terme.
La cour d’appel lui donne raison, considérant que la perception de l’honoraire ne faisait l’objet d’aucune incertitude.
Mais la Cour de cassation casse cette décision : le préjudice subi n’était pas un gain manqué, mais une perte de chance, car la réalisation du résultat demeurait aléatoire au jour de la rupture.
La perte de chance : un préjudice certain mais partiel
L’article 1231-1 du Code civil (ancien article 1147) impose la réparation intégrale du préjudice causé par l’inexécution contractuelle, sans qu’il en résulte ni perte ni profit pour la victime.
Ce principe s’applique de manière stricte : le dommage indemnisable doit être réel, direct et certain.
Or, dans le cas d’un honoraire de résultat, la rémunération du prestataire dépend d’un événement futur : le versement effectif d’une somme, l’obtention d’un jugement favorable, ou la conclusion d’un accord.
Si cet événement ne s’est pas encore produit au moment de la rupture, la perception de l’honoraire demeure incertaine.
La Cour en déduit que le dommage du prestataire ne peut être que la perte d’une chance d’obtenir cette rémunération.
Autrement dit, la victime n’a pas perdu un gain certain, mais l’opportunité d’en bénéficier.
Cette distinction, loin d’être théorique, a un impact direct sur le montant de l’indemnisation.
Une indemnisation proportionnée à la chance perdue
La Cour rappelle un principe constant : la perte de chance ne peut être réparée qu’à proportion de la probabilité de succès qu’elle représentait.
Ainsi, le juge doit évaluer, de manière concrète, la vraisemblance que le prestataire aurait eu d’obtenir le résultat si le contrat avait été exécuté jusqu’à son terme.
Cette probabilité dépend de plusieurs éléments :
- le degré d’avancement du dossier au moment de la résiliation ;
- la solidité juridique ou économique du dossier confié ;
- les résultats déjà obtenus ou les négociations engagées ;
- les pratiques antérieures ou les expertises en cours.
L’indemnisation sera donc partielle, car elle repose sur un pourcentage de la rémunération espérée, représentant la chance objectivement perdue.
En pratique, une évaluation à 30 % ou 40 % de la rémunération initiale est courante lorsque la réussite du contrat n’était pas acquise mais demeurait sérieusement envisageable.
L’intérêt pratique de la décision pour les entreprises
Pour les dirigeants, cette décision présente plusieurs enseignements majeurs en matière de gestion contractuelle :
- La rupture anticipée d’un contrat à honoraire variable ne dispense pas de tout paiement.
Même si la prestation n’a pas produit le résultat attendu, la partie fautive peut être condamnée à réparer la perte de chance de son cocontractant.
- L’indemnisation reste toutefois encadrée.
Elle n’est jamais équivalente à la rémunération totale prévue au contrat, mais calculée de façon proportionnelle à la probabilité du succès.
- La preuve de la chance perdue incombe au prestataire.
Il doit démontrer que la rupture fautive a fait disparaître une opportunité réelle d’obtenir le gain envisagé.
- Pour l’entreprise, l’anticipation contractuelle est essentielle.
Des clauses de résiliation bien rédigées peuvent limiter les risques financiers en cas de rupture anticipée.
Cette jurisprudence invite donc les chefs d’entreprise à sécuriser les contrats à rémunération conditionnelle et à mesurer l’impact d’une rupture avant d’y procéder.
Comment prévenir ce type de litige
La perte de chance étant une notion fondamentalement probabiliste, il est souvent difficile d’en mesurer les conséquences lors d’une rupture.
Pour réduire ce risque, plusieurs leviers peuvent être mis en place :
- Préciser dans le contrat les conditions de déclenchement de l’honoraire de résultat : définition claire du résultat attendu, modalités de calcul, échéances.
- Prévoir une clause de résiliation encadrée, précisant les conséquences financières d’une rupture avant terme.
- Documenter les étapes clés du dossier (courriels, comptes rendus, rapports d’avancement), afin de pouvoir démontrer le niveau d’avancement du travail effectué.
- Prévoir une rémunération mixte combinant un forfait fixe et une part variable, pour éviter de rendre la totalité de la rémunération dépendante du résultat.
- Anticiper les discussions de sortie : en cas de désaccord, une négociation amiable peut éviter un contentieux coûteux et incertain.
Ces bonnes pratiques permettent d’éviter une évaluation judiciaire imprévisible et souvent défavorable.
Un équilibre entre équité et sécurité juridique
La solution retenue par la Cour de cassation est équilibrée : elle protège la partie lésée d’une rupture fautive tout en évitant qu’elle ne tire un profit excessif d’un gain incertain.
Elle consacre une conception rigoureuse de la responsabilité contractuelle, fidèle à la logique de l’article 1231-1 du Code civil.
Pour les dirigeants, cette décision doit être perçue comme un rappel de vigilance.
Un contrat à honoraire de résultat ne peut être rompu à la légère : la liberté contractuelle s’accompagne d’une responsabilité, y compris lorsque la rémunération dépend d’un aléa.
À retenir
- La perte d’une chance constitue un préjudice certain, mais partiel.
- L’indemnisation n’est jamais égale au gain espéré, seulement à la probabilité de le réaliser.
- La Cour de cassation confirme une jurisprudence constante visant à éviter toute surévaluation du dommage.
- Les entreprises doivent intégrer cette logique dans la gestion de leurs contrats à honoraire de résultat.
- Une rédaction claire et préventive des clauses contractuelles demeure le meilleur outil de maîtrise du risque juridique.
LE BOUARD AVOCATS
4 place Hoche,
78000, Versailles

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