La souffrance au travail est devenue chose commune dans les professions judiciaires.

Elles n’en ont aucunement l’apanage; peut-être ont-elles été préservées plus longtemps que d’autres.

Les avocats la connaissent.

Il ne s’agit pas ici de parler des avocats qui prennent la lumière, mais des cabinets d’avocats « normaux » qui œuvrent dans les villes, petites, grandes ou moyennes et assurent des prestations judiciaires comme un certain lien social.

Le nombre exponentiel d’avocats, qui d’une certaine manière fabrique de la chair à canon pour les firmes, conduit à une forme de paupérisation financière, voire intellectuelle.

Soumis à une concurrence grandissante, comme à une évolution folle des textes de droit, les cabinets d’avocats sont contraints de veiller à la rentabilité avec des outils logiciels car s’ils ne le font, ils coulent.

Il faut d’une certaine manière faire de l’abattage, car la clientèle professionnelle ou particulière n’a pas forcément les moyens de payer le temps passé par l’avocat sur un dossier complexe.

Cela conduit le professionnel à pressurer le temps, à ne pas en perdre, a oublier les cafés d’autrefois par exemple…

Une forme de Zip cérébral.

Et pour les collaborateurs de cabinet, la pression subie peut être forte, destructrice.

Mais comment faire dans le monde professionnel actuel et quand on s’adresse à la Justice dont les délais sont devenus impossibles ?

3000 magistrats et greffiers ont signé une tribune évoquant leurs conditions de travail qui se rapprochent de celles subies à l’intérieur d’une entreprise managée au scalpel.

Cette pression-là, qui conduit à faire trop pour aller vite génère des rapports humains dégradés et génère aussi des décisions dont la qualité juridique est altérée.

Maladie, dépression, burn-out sont des mots que connaissent nos professions avec, pour les avocats, souvent la crainte financière, de surcroît.

L’humain est mis de côté, les avocats chassés des palais de justice, les portes verrouillées.

Qui paie cela ?

Le citoyen, simplement que l’institution judiciaire ne veut plus voir.

La part humaine s’étiole.

L’évidence que chacun connaît, pour peu qu’il soit honnête, est qu’il n’y a pas assez de juges et de greffiers.

Cela conduit les procédures à être engluées dans des délais honteux.

L’œuvre de justice est maltraitée.

Le budget de la justice, quand il augmente, est consacré pour l’essentiel au pénale et à l’administration pénitentiaire.

Et quelques miettes jetées en faveur du citoyen lambda, le taiseux qui toujours subit.

S’il y a une évidence, c’est que cette situation-là ne peut être considérée que comme volontaire, depuis maintenant des décennies, pour des raisons que d’autres analyseront.

Il faut un plan Marshall de recrutement dans la justice.

Soyons clairs, quand des crises arrivent, le pouvoir politique sort un plan Magendie, c’est-à-dire l’institution de procédures générant caducités irrecevabilités, responsabilité professionnelle des avocats en appel, mais évacuation des dossiers.

Chacun le sait, mais aucune réforme.

Et puis on va vanter la déjudiciarisation, c’est-à-dire d’enlever au juge des pans d’activité pour les confier à des commissions administratives ou à des médiateurs payants dans des domaines où il est criant qu’il s’agit là d’évacuer les dossiers.

Ce n’est pas simple pour un bon fonctionnement de la démocratie.

Et le plus terrible encore, qui aggrave la colère, c’est la communication qui passe avant l’honnêteté intellectuelle.

Quand le garde des Sceaux dit que la justice est réparée, soit il ment au regard de ce que les gens vivent, soit il est d’une incompétence terrible.

Cet abattage subi conduit à un certain abattement, dont on peut espérer qu’il en naîtra une colère commune de la communauté judiciaire, relayée et non point endormie, par les élus de la profession d’avocat comme par la haute magistrature.

Sans complaisance, avec courage.

Un rêve…