Après quelques hésitations, la Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu 4 arrêts le 24 septembre 2008 aux termes desquels elle a précisé les règles méthodologiques que les juges doivent suivre dans la recherche de la preuve de l'existence d'une situation de harcèlement dans l'entreprise. Ainsi, interprétant l'article L. 122-49 du code du travail, devenu L. 1152-1, à la lumière de la directive du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, elle a affirmé que, « dès lors que le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».

La chambre sociale en a déduit que s'il appartient au salarié d'établir la matérialité des faits qu'il invoque, les juges doivent, quant à eux, appréhender ces faits dans leur ensemble et rechercher s'ils permettent de présumer l'existence du harcèlement allégué. En ce cas, alors, il revient à l'employeur d'établir qu'ils ne caractérisent pas une situation de harcèlement.

La cour de cassation précise dans son arrêt du 30 avril 2009 que le juge ne peut rejeter la demande d'un salarié au seul motif de l'absence de relation entre l'état de santé et la dégradation des conditions de travail. Dans cette affaire, l'employé avait produit en justice une attestation d'un ancien collègue et s'était prévalu des avis du médecin du travail qui évoquait un état dépressif. S'agissant de ces derniers documents, l'employeur n'a pas manqué de relever que les avis du médecin du travail ne faisaient état d'aucun lien avec les conditions de travail.

Les juges d'appel avaient repris cet argument en rejetant la demande de harcèlement moral présentée par le salariée au motif donc que le médecin n'avait pas relié la dépression constatée (suivie d'ailleurs d'une inaptitude) aux conditions de travail. C'est ce que reproche la cour de cassation aux juges d'appel puisque, selon la haute juridiction, « le salarié n'est tenu que d'apporter des éléments qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral », ce qui obligeait donc les juges a examiner les autres éléments du dossier.

Cette décision est logique, non seulement parcequ'il est difficile pour un médecin de pointer avec certitude l'origine de la dépression (car il n'est pas témoin des faits dénoncés par son patient), mais aussi parce que le harcèlement ne se manifeste pas qu'au travers l'altération de la santé physique ou mentale du salarié ; il peut en effet se matérialiser par une atteinte aux droits, à la dignité ou à l'avenir professionnel du salarié (article L1152-1 du code du travail). Les constatations sont dans ce cas matérielles avant d'être éventuellement médicales.

Jean-Philippe SCHMITT

Avocat à DIJON (21)

Spécialiste en droit du travail

03.80.48.65.00

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Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du jeudi 30 avril 2009

N° de pourvoi: 07-43219

Publié au bulletin Cassation

Mme Collomp, président

Mme Capitaine, conseiller rapporteur

M. Allix, avocat général

SCP Baraduc et Duhamel, SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... été engagé en qualité de peintre compagnon professionnel le 1er octobre 2001 par la société MB Peinture ; que le 19 décembre 2003, il a informé son employeur de ce qu'il était victime de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique ; qu'il a été en arrêt de travail pour maladie à compter du 19 janvier 2004 jusqu'au 2 février 2004 ; que, par avis du 6 février 2004 le médecin du travail a conclu à " une inaptitude à tous les postes de l'entreprise, selon l'article R. 241-51-1 du code du travail. Danger pour lui-même et pour les autres. " ; que le salarié, de nouveau en arrêt de travail pour maladie à compter du 9 février 2004, a été licencié le 20 février 2004 pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Mais sur le deuxième moyen :

Vu l'article L. 1226-2 du code du travail ;

Attendu que selon ce texte, lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail ;

Attendu que pour décider que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouter le salarié de ses demandes en paiement d'indemnités, l'arrêt se borne à relever que l'employeur a discuté avec un délégué du personnel du problème de reclassement de M. X... et qu'il n'a pas été trouvé de solution, et que la mise en oeuvre de la procédure de licenciement trois jours après l'avis d'inaptitude ne peut établir que l'employeur n'avait pas tenté de mettre en oeuvre l'obligation de reclassement ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, d'une part, le seul entretien avec un délégué du personnel ne suffisait pas à établir que l'employeur se soit conformé à ses obligations susvisées et que, d'autre part, la brièveté du délai écoulé après l'avis d'inaptitude démontrait, à lui seul, qu'il n'y avait eu aucune tentative sérieuse de reclassement, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le troisième moyen :

Vu l'article L. 1154-1 du code du travail, applicable à l'article L. 1152-1 en matière de harcèlement moral ;

Attendu que pour débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts à titre de harcèlement moral, la cour d'appel, après avoir relevé que le salarié produit une attestation selon laquelle M. Y... " était constamment sur le dos de M. X... et le harcelait continuellement pour des raisons injustifiées ainsi que nous autres, contrôle permanent des heures d'arrêt et de reprise de travail, ne nous laissant même pas le temps pour se laver les mains ou aller aux toilettes le local sanitaire vestiaires et local déjeuner se trouvant à dix minutes de notre lieu de travail ", et que l'employeur produit l'attestation d'un collègue du salarié aux termes de laquelle celui-ci supportait mal les remarques de M. Y... qui semblaient justifiées et ne constituaient pas un harcèlement et l'attestation d'un délégué du propriétaire de l'immeuble où se déroulaient les travaux n'ayant à aucun moment constaté un comportement de la part de M. Y... s'apparentant à du harcèlement, retient que si les certificats médicaux font mention d'un état dépressif, ils ne précisent cependant pas sa relation avec les conditions de travail et que l'avis du médecin du travail ne contient non plus aucun élément établissant une relation entre l'inaptitude et l'existence d'un harcèlement moral ;

Qu'en statuant ainsi alors que le salarié n'est tenu que d'apporter des éléments qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel qui ne pouvait rejeter la demande du salarié au seul motif de l'absence de relation entre l'état de santé et la dégradation des conditions de travail, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 mai 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société MB Peinture aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société MB Peinture à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente avril deux mille neuf.