Prescription de l'article L. 114-1 du code des assurances ne s'applique pas à l'annulation pour dol du contrat d'assurance - Excès de pouvoir du juge statuant au fond sur une demande qu'il a dite irrecevable
Cour de cassation - Chambre civile 2
- N° de pourvoi : 22-15.769
- ECLI:FR:CCASS:2023:C201285
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du jeudi 21 décembre 2023
Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, du 08 mars 2022
Président
Mme Martinel (président)
Avocat(s)
SARL Ortscheidt, SCP Boutet et Hourdeaux, SCP Claire Leduc et Solange Vigand
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 décembre 2023
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 1285 F-D
Pourvoi n° V 22-15.769
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 DÉCEMBRE 2023
Mme [I] [P], domiciliée [Adresse 8], [Localité 4], a formé le pourvoi n° V 22-15.769 contre l'arrêt n° RG : 19/03033 rendu le 8 mars 2022 par la cour d'appel de Grenoble (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Swisslife assurance et patrimoine, société anonyme, dont le siège est [Adresse 5], [Localité 7],
2°/ à la société Axyalis patrimoine, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 2],
3°/ à la société MMA IARD, société anonyme,
4°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, société d'assurance mutuelle à cotisations fixes,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 1], [Localité 6] et venant toutes deux aux droits et obligations de la société Covea Risks,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mme [P], de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Swisslife assurance et patrimoine, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Axyalis patrimoine, des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, toutes deux venant aux droits et obligations de la société Covea Risks, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 novembre 2023 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 8 mars 2022), et les productions, Mme [P] a souscrit, le 29 avril 2011, un contrat d'assurance sur la vie multi-supports proposé par la société Swisslife assurance et patrimoine (l'assureur) nommé « Sélection R Oxygène », au titre duquel elle a versé, par l'entremise de la société Axyalis patrimoine (le courtier) une certaine somme, investie sur un support.
2. Après deux rachats partiels et un nouvel investissement sur ce support, Mme [P] a, le 28 mai 2014, réinvesti une certaine somme sur un autre support, avec effet au 17 juin 2014.
3. Les 8, 11 et 13 avril 2016, Mme [P] a assigné le courtier, les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles et l'assureur devant un tribunal de grande instance aux fins d'annulation du contrat en cause et de remboursement d'une certaine somme.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
5. Mme [P] fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il avait déclaré recevable sa demande en nullité du contrat du 2 mai 2011 et de déclarer irrecevable comme prescrite sa demande en nullité du contrat « Sélection R Oxygène » souscrit le 29 avril 2011 auprès de l'assureur par l'intermédiaire du courtier, alors « que seules les actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance ; que l'action en nullité d'un contrat d'assurance fondée sur le dol dont s'est rendu coupable l'assureur ou son représentant ne dérive pas du contrat d'assurance en ce qu'elle sanctionne un manquement à la bonne foi et à la loyauté antérieur à sa conclusion ; qu'en soumettant néanmoins à la prescription biennale l'action en nullité pour dol intentée par Mme [P], la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 114-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
6. L'assureur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que ce moyen est nouveau.
7. Cependant, le moyen de Mme [P], qui n'invoque aucun fait qui n'ait été constaté par les juges du fond, est de pur droit.
8. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 1116 et 1304 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et l'article L. 114-1 du code des assurances :
9. Aux termes du premier de ces textes, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé.
10. Selon le deuxième, dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.
11. Selon le dernier, toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance.
12. L'action en nullité du contrat d'assurance ou de ses avenants, fondée sur le dol de l'assureur ou de son mandataire, qui repose sur l'existence de manoeuvres pratiquées avant la conclusion du contrat, ne dérive pas du contrat d'assurance, au sens de ce dernier texte.
13. Pour déclarer irrecevable comme prescrite la demande de nullité du contrat d'assurance sur la vie souscrit le 29 avril 2011 par Mme [P], fondée sur le dol du courtier, l'arrêt retient que celle-ci a assigné l'assureur les 8, 11 et 13 avril 2016, soit après l'expiration du délai de prescription biennale.
14. En statuant ainsi, alors que la prescription prévue à l'article L. 114-1 du code des assurances ne s'applique pas à la demande d'annulation pour dol du contrat d'assurance, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
15. Mme [P] fait grief à l'arrêt de confirmer la disposition du jugement rejetant au fond sa demande d'annulation du contrat d'assurance, alors « que le juge qui déclare irrecevable la demande dont il est saisi excède ses pouvoirs en statuant néanmoins au fond ; qu'en confirmant le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il avait déclaré recevable la demande en nullité du contrat, la cour d'appel a maintenu le chef du jugement ayant rejeté au fond cette même demande nonobstant l'irrecevabilité qu'elle a prononcée, ce en quoi elle a excédé ses pouvoirs, en violation de l'article 122 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 122 du code de procédure civile :
16. Le juge qui décide que la demande dont il est saisi est irrecevable, excède ses pouvoirs en statuant sur le fond.
17. La cour d'appel a confirmé le jugement en ce qu'il avait rejeté la demande de nullité du contrat d'assurance dont il avait été saisi, après l'avoir infirmé en ce qu'il avait préalablement déclaré cette même demande recevable.
18. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable comme étant prescrite la demande de nullité du contrat « Sélection R Oxygène » souscrit le 29 avril 2011 par Mme [P] auprès de la société Swisslife par l'intermédiaire de la société Axyalis patrimoine, et confirme le jugement ayant rejeté la demande d'annulation relative à ce contrat, l'arrêt rendu le 8 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne les sociétés Swisslife assurance et patrimoine, Axyalis patrimoine, MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, toutes deux venant aux droits et obligations de la société Covea Risks, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Swisslife assurance et patrimoine, Axyalis patrimoine, MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, toutes deux venant aux droits et obligations de la société Covea Risks, et les condamne à payer à Mme [P] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un décembre deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C201285
Publié par ALBERT CASTON à 17:34
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Libellés : assurances , Dol , excès de pouvoir , irrecevabilité , office du juge , Prescription , Procédure
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