Le 4 avril 2012, la Cour d’Appel de Toulouse a été amenée à préciser la compatibilité des règles issues du décret Magendie avec la notion de procès équitable tirée de l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme et encore avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Une société toulousaine a vu son appel, ou plus exactement sa déclaration d’appel, frappé de caducité par application des dispositions des articles 902 et 911 du code de procédure civile pour avoir tardivement procédé à la signification de sa déclaration d’appel et de ses conclusions, tandis que la partie intimée était défaillante.

Un déféré fut formé par la société appelante ainsi sanctionnée.

Dans le cadre de ce recours particulier, prévu par les dispositions de l’article 916 du code de procédure civile qui tend à obtenir de la Cour d’appel elle-même que l’ordonnance du conseiller de la mise en état déférée soit mise à néant, un certain nombre de moyens étaient soutenus, essentiellement appuyés sur les droits communautaire et européen.

Ainsi :

En premier lieu, sur le droit européen, que les dispositions du décret du 9 décembre 2009 modifiées par le décret du 28 décembre 2010, et plus particulièrement l'article 911 du code de procédure civile, sont contraires à l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme,

Et au soutien de cet argument, d’une part, que la multiplication des causes d'irrecevabilité d'office et/ou de caducité et l'emploi systématique de cette sanction aux différentes étapes de la procédure deviennent un obstacle à un accès effectif au juge d'appel, et, d’autre part, qu’un emploi systématique et sans aucune différenciation de la même sanction constitue une atteinte à la proportionnalité,

En outre, que le procès civil restant dans un Etat démocratique la chose des parties, l'autorité réglementaire ne peut prononcer de sanction définitive et irrémédiable privant une partie de l'accès au juge et à la voie de recours légale dans le seul but d'accélérer la procédure ;

En second lieu, sur le droit communautaire, les sanctions prévues par l'article 911 du code de procédure civile doivent être écartées et l'appel doit être jugé recevable, au motif que les dispositions du décret du 9 décembre 2009 modifiées par le décret du 28 décembre 2010, et plus particulièrement l'article 911 du code de procédure civile, sont contraires aux articles 47 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ce second article visant notamment le principe de proportionnalité.

Il était demandé à la Cour d’Appel, si elle devait ne pas s'estimer compétente pour vérifier cette atteinte, de poser une question préjudicielle.

Il sera rappelé que selon l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, intitulé « droit à un procès équitable », toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

L’article 6 § 1 de la convention n'astreint cependant pas les Etats contractants à créer des cours d'appel ou de cassation. Néanmoins, un Etat qui se dote de juridictions de cette nature a l'obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d'elles des garanties fondamentales dudit article.

La Cour d’Appel de TOULOUSE ne retient évidemment pas l’argumentaire habilement présenté devant elle.

Il faut tout de même relever que les plaideurs font un usage intensif et parfois abusif de l'article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, usage qui lasse le plus souvent les magistrats du second degré de juridiction qui écartent l’argument avec une belle régularité.

La Cour d’Appel de TOULOUSE, sur le déféré, estime que « Le « droit à un tribunal » n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment en ce qui concerne les conditions de la recevabilité d'un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'Etat, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation. Cette réglementation relative aux formalités et aux délais à respecter pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Néanmoins, les limitations appliquées ne doivent pas restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. En outre, ces limitations ne se concilient avec l'article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. »

La Cour d’Appel s’attache ensuite à rechercher si la sanction automatique de la caducité prévue par l'article 911 du code de procédure civile contrevient aux dispositions de l'article 6 § 1 précité.

La Cour considère naturellement que « Les délais de procédure impartis par la loi à peine d'irrecevabilité, de forclusion, de déchéance ou de caducité sont nécessaires au bon déroulement des procédures et contribuent au procès équitable, dès lors qu'ils assurent la sécurité juridique, le respect des droits de la défense et le principe de la contradiction et du délai raisonnable ; les défaillances des auxiliaires de justice, chargés de délivrer les actes, si elles justifient des actions en responsabilité ne peuvent pas atteindre l'efficacité des sanctions attachées à la méconnaissance de ces délais. »

Elle ajoute cependant que « l'impossibilité pour le magistrat chargé de la mise en état de relever de caducité dans le cadre de l'article 911 du code de procédure civile, par une appréciation de l'existence d'un motif légitime pouvant justifier le dépassement du délai, pourrait caractériser une atteinte disproportionnée au principe du procès équitable au regard du but poursuivi, soit la célérité de la procédure. »

Pour conclure assez sèchement que « Cependant, les circonstances du présent litige excluent l'existence d'une telle atteinte » (…) en présence de l’acte de signification tardif, lequel doit « se suffire à lui-même pour en apprécier la régularité et en tirer un motif légitime pour décider éventuellement d'un relevé de caducité ».

Enfin, la Cour d’Appel de TOULOUSE rejette l’argument tiré de la violation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et plus précisément des articles 47, intitulé « droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial » et 52 intitulé « portée et interprétation des droits et des principes » estimant que cette charte ne s'applique aux Etats membres que lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union, ce qui n'est pas le cas des droits invoqués par la société appelante.

Ainsi pour la Cour d’Appel de TOULOUSE, nul espoir pour l’appelant qui avait omis de faire signifier ses conclusions à l’intimé défaillant dans le délai prévu par l’article 911 du code de procédure civile : les droits européen et communautaire ne lui permettaient pas de critiquer utilement l’automatisme des sanctions prévues par les dispositions décret n°2009-1524 du 9 décembre 2009.

C’était à prévoir…

Toutefois, sa motivation laisse à penser que la sanction prévue à l’article 911 du code de procédure civile n’est cependant pas parfaitement automatique puisque la Cour d’Appel fait état d’un « motif légitime pour décider éventuellement d'un relevé de caducité ».Ainsi, c’est peut-être bien là qu’il faut voir l’originalité de cette décision qui ne semble pas fermer totalement la porte au plaideur qui pourrait se voir frapper de caducité. Reste à cerner maintenant le fameux « motif légitime » salvateur.

Me Alexis Devauchelle

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