Une diplomatie prudente:

La France avait jusqu'à présent une diplomatie remarquablement prudente, s'attachant à ne pas se fâcher et à peser ses mots et ses actions.

 

Hélas, dans les remous de l'Affaire Snowden (l'américain qui a dénoncé les écoutes illégales des USA portant sur 34 pays dont la France, et qui, en fuite, s'est réfugié à Moscou d'où il supplie tous les pays de lui accorder l'asile politique) la diplomatie française a commis un impair qui montre les limites du principe posé par la Convention de Washington de 1944 sur la liberté de circulation pacifique des aéronefs en circulation internationale (la liberté de survoler un territoire). Les limites de la "Première liberté de l'air" - droit ou privilège accordé par un État à un ou plusieurs autres États, dans le contexte de services aériens internationaux réguliers, de survoler son territoire sans y atterrir (également appelé droit de première liberté par l'OACI).

 

Les faits:

M. Snowden, américain travaillant indirectement pour la NSA, et convaincu que la liberté doit primer toute action de l'Etat, a dénoncé publiquement l'espionnage permanent réalisé par les USA au détriment de 34 pays, dont la France en bonne position.

 

Pourchassé par son pays, pour avoir « trahi » cet acte d'espionnage de pays alliés qui aurait pû être assimilé à un acte de guerre, M. Snowden est actuellement réfugié à Moscou, d'où il demande l'asile politique à ces pays qui affichent leur soutient à la liberté. Dont la France et la Bolivie.

 

La France a courageusement exprimé son refus d'accorder le moindre asile politique à M. Snowden.

 

C'est dans ce contexte que le président Evo Moralles, président de Bolivie, en visite diplomatique officielle à Moscou, se retournait chez lui hier le 3 juillet 2013, à bord du Falcon 50 présidentiel.

 

C'est dans ce contexte que les affaires étrangères françaises ont cru que M. Sowden était ou serait présent à bord de l'avion, en route pour la Bolivie où il avait demandé asile politique, et où cet asil lui aurait probablement été accordé.

 

C'est dans ce contexte que la France a décidé de retirer à l'avion présidentiel bolivien son autorisation de survol du territoire, à l'instar de trois autres pays de la même zone aéronautique. Contraignant l'avion bolivien à se dérouter en urgence sur Vienne.

 

Or, de Snowden il n'y avait pas plus que de beurre en broche ! Réalisant la gaffe commise et son incongruïté, tant Laurent Fabius, ministre de Affaires étrangères, que le Président François Hollande, se sont ensuite confondus d'excuses tout aussi pitoyables au sens politique que mal fondées juridiquement. François Hollande allant même jusqu'à faire accroire publiquement au président bolivien qu'il ne savait pas que son homologue était à bord!

 

Homo Politicus!

Sous l'angle politique, cette excuse est un constat désespérant d'incompétence du gouvernement actuel, en matière de Droit International Public comme en matière de Diplomatie.

 

D'une part parceque cette réponse montre que ni François Hollande ni Laurent Fabius ni personne dans leurs administrations ne connaît rien à la Convention de Chicago de 1944 qui prévoit la liberté de passage des aéronefs et la liberté de traverser l'espace aérien national.

Venant d'un homme politique français, celà pourrait presque être excusable au vu de l'extrême indigence de nos politiques, et de leur manque caractérisé de connaissances juridiques. Cette incompétence a été constaté à plus d'une reprise, si l'on se réfère notamment à l'indigence des négociations des droits de pêche à Terre Neuve, ou des négociations territoriales sur certains ilôts de la Manche...

 

Que notre président ignore la Convention de Chicago de 1944, texte fondateur du transport aérien moderne, on pouvait s'en douter, connaissant l'individu et son passé professionnel très éloigné des conventions internationales et du monde aéronautique. Mais que dans son administration il n'y eu personne pour le détromper, celà pourrait être inquiétant à plus d'un titre.

 

En toute hypothèse, le président Hollande aurait pu trouver mieux qu'une excuse de cours de récréation, pour rattraper l'incident diplomatique. Car il a tout de même affirmé au président bolivien qu'il ignorait que le président était dans l'avion...! Comme si un avion transportant le président d'un pays (donc présentant nécessairement un identifiant spécifique), pouvait être pris pour une bétaillère à touristes! A ce niveau là, il eu mieux vallu qu'il se taise pluôt qu'il ne donna la confirmation de sa grave incompétence! "Pire qu'un crime, c'est une faute!" disait déjà Fouché à Napoléon à propos de l'assassinat du Dur d'Enhgiens! Peut-on plus stigmatiser la faute politique?

 

Quid Jure?

La force du droit étant d'exploiter les erreurs et misères pour en faire son miel, cet épisode a du moins un mérite incontestable : celui de mettre en évidence la limite du droit de passage pacifique des aéronefs dans l'espace aérien territorial.

 

Sources du droit: Aux sources du droit, il y a nécessairement le principe de libre passage pacifique des navires dans les eaux territoriales des détroits et passages maritimes. Au nom de ce principe, un pays ne peut interdire le passage d'un navire "pacifique" dans ses eaux territoriales. Bien naturellement, avec le développement de l'aviation, ce principe a tenté d'être transposé au droit aérien.

 

Convention de Chicago de 1944

L'article 5 de la Convention de Chicago de 1944 pose,au chapitre II, Vol au dessus du territoire des Etats contractants, le principe de la liberté de passage et de survol des vols occasionels.

  • Article 5 : Droits des aéronefs n'assurant pas de service régulier
  • Chaque État contractant convient que tous les aéronefs des autres États contractants qui n'assurent pas de services aériens internationaux réguliersont le droit, à condition que soient respectés les termes de la présente Convention, de pénétrer sur son territoire, de le traverser en transit sans escale et d'y faire des escales non commerciales sans avoir à obtenir une autorisation préalable, sous réserve du droit pour l'État survolé d'exiger l'atterrissage. Néanmoins, pour des raisons de sécurité de vol, chaque État contractant se réserve le droit d'exiger que les aéronefs qui désirent survoler des régions inaccessibles ou dépourvues d'installations et services de navigation aérienne adéquats suivent les itinéraires prescrits ou obtiennent une autorisation spéciale.

 

Plus spécifiquement, l'article 2 de la convention de Chicago prévoit également que les vols accomplis par des aéronefs d'Etat (aéronefs militaires, douaniers ou de police) ne bénéficient pas de cette convention et qu'ils sont soumis à des autorisations spécifiques d'Etat à Etat.

 

Au vu de ces deux dispositions contradictoires (art.5 : liberté de passage pacifique des aéronefs civils en vol international - et art.2 : régime d'autorisation pour les aéronefs d'Etat), le comportement de la France était-il licite?

 

Statut de l'aéronef du président Morales : Tout dépend de la question de savoir quel était le statut de l'aéronef qui ramenait le président bolivien.

 

Habituellement, l'aéronef du chef de l'Etat est un aéronef à commandement militaire, dès lors que le chef de l'Etat est également le chef des armées. Il est très improbable que l'aéronef du président ait été un aéronef civil, mais le cas est concevable, soit que l'avion ait été loué à une entreprise civile, soit qu'il ait tout simplement été affecté en propriété au patrimoine privé de la présidence ou à un ministère qui ne soit ni l'armée ni les douanes ni la police. Affreté au profit du ministère des transports, il resterait civil, par exemple.

 

Dès lors, deux questions se posent:

Si le falcon 50 transportant le président bolivien est arrêté en cours de vol, c'est qu'il est considéré comme un avion d'Etat, donc soumis à autorisation révocable de la France pour son survol.

Mais alors c'est que la France savait pertinamment que ce Falcon transportait le président bolivien et qu'un incident diplomatique en découlerait naturellement.

 

Et si le falcon 50 n'est pas considéré comme transportant le président bolivien, c'est qu'il ne s'agit pas d'un appareil d'Etat, et qu'il bénéficie donc du droit de survol pacifique de l'article 5 de la convention internationale de Chicago. Que M. Snowden soit ou non à bord, la France ne pouvait pas lui interdire le survol de son territoire.

 

Aussi, dans les deux cas, l'aéronef aurait dû être autorisé à survoler le territoire français, soit parceque les services de l'aviation civile avaient connaissance de son statut d'avion de l'Etat bolivien, lequel avait nécessairement déclaré son plan de vol et avait de même été autorisé à traverser l'espace territorial français, soit parce qu'en tant qu'avion civil, il était nécessairement et automatiquement autorisé à traverser l'espace civil aérien français.

 

Limites du droit de libre survol du territoire: la souveraineté aérienne

La Convention de Chicago de 1944 pose en introduction liminaire le principe de la Souveraineté aérienne.

  • Article premier : Souveraineté - Les États contractants reconnaissent que chaque État a la souveraineté complète et exclusive sur l'espace aérien au-dessus de son territoire.

 

Ce principe de souveraineté autorise chaque Etat contractant à limiter ou interdire le survol de certaines zones de son territoire (art.9 Convention Chicago, Zones interdites). Cette limitation ou interdiction portant sur l'ensemble des aéronefs, sans distinction de nationalité.

 

Enfin, les "règles de l'air" d'un Etat contractant considéré sont applicables à tout aéronef qui survole le territoire national.

 

Dans ce cadre spécifique, les accords bilatéraux prévalent encore sur les accords multilatéraux, et notamment pour ce qui concerne le projet européen de "ciel ouvert" prévu pour faire disparaître les zones aériennes territoriales, ce qui limitera de fait le pouvoir de chaque Etat contractant. (accords de Ciel unique européen, visant à réduire les 65 zones nationales à 9 zones de survol aérien (accord européen Ciel Unique II) - les "espaces aériens fonctionnels (FAB - Functional Airspace Blocks).

La France participe depuis 2010 au FAB-EC (europe centrale) en association avec l'Allemagne, les pays du Benelux et la Suisse, entré en fonction fin 2012.

 

Dans ce cadre spécifique, l'interdiction de survol donnée par la France impliquait un accord des autres pays visés, et notamment la Belgique et le Luxembourg.

Dans le cas de l'avion présidentiel bolivien, l'interdiction de survol a été unanime, ce qui laisse à penser qu'elle se serait inscrite dans ce cadre réglementaire.

 

Toutefois, l'interdiction visant le Falcon présidentiel bolivien ne peut pas légalement relever de ce cadre, puisque l'interdiction de survol aurait dû être générale et viser l'ensemble des aéronefs pour la période considérée, en application de l'article 9 §b de la convention de Chicago de 1944.

  • art.9 (b) Chaque État contractant se réserve également le droit, dans des circonstances exceptionnelles, en période de crise ou dans l'intérêt de la sécurité publique, de restreindre ou d'interdire temporairement et avec effet immédiat les vols au-dessus de tout ou partie de son territoire, à condition que cette restriction ou interdiction s'applique, sans distinction de nationalité, aux aéronefs de tous les autres États.

 

La rédaction de cet article exclut en effet qu'une telle disposition ait été appliquée, car elle aurait signifié la fermeture de l'espace aérien français à tous les aéronefs, et non uniquement à celui du président Morales.

 

Or précisément, les déclarations officielles du Ministère des Affaires Etrangères français sont terriblement contradictoires. Pour le MAE, le retrait de l'autorisation de survol de l'avion d'Evo Morales aurait été levée très rapidement, lorsque le statut de l'occupant aurait été confirmé.

 

Mais cette explication implique nécessairement deux situations toutes deux illégales:

1- que le Falcon 50 ait été considéré comme un avion d'Etat emportant un passager diplomatiquement génant, ce qui aurait motivé le retrait de l'autorisation de survol délivrée plusieurs jours auparavant (l'autorisation de survol aurait été délivrée le 27 juin selon l'Ambassade de Bolivie). Or le retrait d'une autorisation de ce niveau ne peut certainement pas se faire sans avoir été notifiée au préalable à son destinataire;

2- que le Falcon 50 ait été considéré à tort comme un avion civil, auquel cas l'interdiction de survol était purement et simplement illégale au regard de la Convention de Chicago, 

 

Toutefois, le droit interne français, Code des Transports, en dispose autrement.

  • Article L6211-1 : Tout aéronef peut circuler librement au-dessus du territoire français. Toutefois, l'aéronef de nationalité étrangère ne peut circuler au-dessus du territoire français que si ce droit lui est accordé par une convention diplomatique ou s'il reçoit, à cet effet, une autorisation dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

 

Ainsi, le Code des Transports dérogerait à la Convention Internationale, alors même que celle-ci lui serait antérieure. Situation étrange qui, à bien la considérer, signifie que la liberté de circulation aérienne pacifique n'est pas un principe si confortablement installé dans le droit international.

 

Ariel DAHAN

Avocat