Dans cet arrêt du 13 septembre 2023 (n°22-10.529 et 22-11.106), la Cour de cassation affirme que la prescription du droit à congé payé ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile.

1) Faits et procédure (pourvois n°22-10.529 et 22-11.106)

Madame G a collaboré au sein de l'Institut des métiers du notariat d'[Localité 3] devenu l'Institut national des formations notariales (INFN).

La relation contractuelle a été rompue par lettre du 20 juin 2018.

S'estimant liée avec l'Institut par un contrat de travail, l'intéressée a saisi, le 28 septembre 2018, la juridiction prud'homale de diverses demandes à caractère salarial et indemnitaire.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 26 novembre 2021, a débouté Madame G de sa demande en paiement de l'indemnité financière correspondant aux congés payés pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015 inclus, au motif que l'action en paiement de l'indemnité de congés payés était soumise à la prescription triennale, applicable aux salaires.

L’INFN et Madame G ont formé un pourvoi contre cet arrêt.

2) Moyens

Madame G fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation de l'employeur au titre des congés payés pour les périodes 2015-2016 et 2016-2017 et de la débouter de ses demandes en paiement des indemnités de congés payés pour les périodes de référence 2005-2006 à 2014-2015, alors que :

  • le salarié tire son droit aux congés payés directement de l'article 31 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et de l'article 7 de la Directive 2003/88 de l'Union Européenne ;
  • la CJUE a dit pour droit que ces dispositions s'opposent à ce que puisse être opposé au salarié l'extinction de son droit aux congés payés dès lors que l'employeur n'établit pas avoir tout mis en œuvre pour mettre le salarié en mesure d'exercer ses droits aux congés payés, que dans le cas où la relation de travail a pris fin, le droit aux congés payés acquis par le salarié mais non pris du fait de l'employeur prend la forme d'une indemnité financière de congés payés.

3) Solution

La chambre sociale casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel en ce qu’il a limité la condamnation de l’INFN au paiement de rappels d'indemnité de congé payé pour les années 2015/2016 à 2016/2018.

La Cour de cassation rappelle que selon jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne le droit européen s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur au titre d'une période de référence est prescrit à l'issue d'un délai de trois ans qui commence à courir à la fin de l'année au cours de laquelle ce droit est né, lorsque l'employeur n'a pas effectivement mis le travailleur en mesure d'exercer ce droit.

En conséquence :

« Il y a donc lieu de juger désormais que, lorsque l'employeur oppose la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le point de départ du délai de prescription de l'indemnité de congés payés doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l'employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé ».

4) Analyse

L’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, prévoit que :

« 1.    Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.

2.    La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail.»

Le délai de transposition de la directive 2003/88/CE, qui codifie la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 dont le délai de transposition expirait le 23 novembre 1996, a expiré lui-même le 23 mars 2005.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (notamment de l’arrêt du 26 juin 2001 C 173/99 Broadcasting, Entertainment, Cinematographic and Theatre Union) que la directive doit être interprétée en ce sens que :

  • Elle fait obstacle à ce que les États membres limitent unilatéralement le droit au congé annuel payé conféré à tous les travailleurs, en appliquant une condition d'ouverture dudit droit qui a pour effet d'exclure certains travailleurs du bénéfice de ce dernier ;
  • Elle s’oppose à des dispositions ou à despratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé est subordonné à une période de travail effectif minimale pendant la période de référence.

Cette directive n’est toutefois pas invocable dans un litige entre particuliers (Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-22.285).

Elle produit effet uniquement à l’égard des employeurs de droit public ou assimilés. Les salariés de ces employeurs peuvent donc s’en prévaloir (Cass. soc., 13 avril 2023, n°21-23.054).

En revanche, depuis le traité de Lisbonne entré en vigueur en décembre 2009, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a la même valeur juridique que les traités de l’Union européenne.

La charte peut donc être invoquée dans un litige entre particuliers.

Or, le droit au congé payé est consacré par l’article 31 paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui prévoit que :

« Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés ».

La France a déjà été sanctionnée à plusieurs reprises par la Cour de Justice de l’Union Européenne en raison de la non-conformité de sa législation relative aux congés payés vis-à-vis du droit européen.

La Cour de cassation, quant à elle, a suggéré à de nombreuses reprises au législateur de mettre le droit français en conformité avec le droit européen, au sein de ses rapports annuels.

Le 13 avril 2023 (n°21-23.054), la Cour de cassation avait déjà écarté les dispositions françaises contraires à la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, dans un litige opposant un salarié à un employeur assimilé à un organe étatique. La chambre sociale avait alors considéré que le salarié avait droit à des congés payés d'au moins quatre semaines du seul fait de sa qualité de travailleur, peu important qu'il ait été absent à raison d'un arrêt de travail pour maladie.

Ainsi, la Cour de cassation assume pleinement son rôle de juge de droit commun de l’application du droit de l’Union européenne, chargé de veiller à l’application des conventions internationales (arrêt Jacques Vabre, chambre mixte, 24 mai 1975, n°73-13.556).

Cette série d’arrêt du 13 septembre 2023 laisse toutefois de nombreuses questions sans réponses.

Ce véritable bouleversement au cœur du droit du travail français n’est donc pas terminé.

Sources

. Communiqué de la Cour de cassation : Congé payé et droit de l’Union européenne

https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2023/09/13/communique-conge-paye-et-droit-de-lunion-europeenne

c. cass. 13 septembre 2023, n° 22-10.529

https://www.courdecassation.fr/decision/65015d56ee1a2205e6581652?search_api_fulltext=2210529

 

 

Frédéric CHHUM avocat et ancien membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

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