Au décours de contentieux pendants devant les juridictions du fond, l’on constate que l’ONIAM en défense soutient qu’il y a lieu de déduire du calcul des pertes de revenus, non seulement les indemnités journalières, mais également les indemnités de licenciement et les Allocations Retour à l’Emploi (ce qui se révèle contraire à la jurisprudence habituelle).

 

C’est ainsi qu’il indique, aux termes de ses écritures, que : « les maintiens de salaires, indemnités de licenciement, indemnités journalières et ARE perçus doivent être déduits de l’indemnisation de ce poste de préjudice ».

 

 

> S’agissant de l’Allocation Retour à l’Emploi (ARE) :

 

 

L’ONIAM soutient que « ces aides doivent effectivement être prises en compte pour évaluer les pertes de gains professionnels ».

 

 

Pour ce faire, il entend produire un arrêt ancien rendu par la Cour de cassation le 3 juin 2010.

 

 

Il sera néanmoins relevé que cette décision n’est pas transposable souvent aux espèces soumises aux juridtcions. En effet, l'imputation de l'Allocation de retour à l'emploi dans le cadre des indemnisations offertes par l’ONIAM reposait sur un texte spécial le permettant, à savoir l’article L.3122-5 du Code de la santé Publique. En outre, cette décision reposait sur les articles L. 351-1 et L.351-3 du Code du travail, dispositions abrogées depuis lors…

 

 

En tout état de cause, l’analyse de l’ONIAM se révèle manifestement contraire aux dispositions de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985.

 

 

L’article 29 prévoit que :

 

 

« Seules les prestations énumérées ci-après versées à la victime d'un dommage résultant des atteintes à sa personne ouvrent droit à un recours contre la personne tenue à réparation ou son assureur :

1. Les prestations versées par les organismes, établissements et services gérant un régime obligatoire de sécurité sociale et par ceux qui sont mentionnés aux articles 1106-9, 1234-8 et 1234-20 du code rural ;

2. Les prestations énumérées au II de l'article 1er de l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'État et de certaines autres personnes publiques ;

3. Les sommes versées en remboursement des frais de traitement médical et de rééducation ;

4. Les salaires et les accessoires du salaire maintenus par l'employeur pendant la période d'inactivité consécutive à l'événement qui a occasionné le dommage ;

5. Les indemnités journalières de maladie et les prestations d'invalidité versées par les groupements mutualistes régis par le code de la mutualité, les institutions de prévoyance régies par le code de la sécurité sociale ou le code rural et les sociétés d'assurance régies par le code des assurances ».

 

L'article 33 de la même loi stipule :

 

« Hormis les prestations mentionnées aux articles 29 et 32, aucun versement effectué au profit d'une victime en vertu d'une obligation légale, conventionnelle ou statutaire n'ouvre droit à une action contre la personne tenue à réparation du dommage ou son assureur.

Toute disposition contraire aux prescriptions des articles 29 à 32 et du présent article est réputée non écrite à moins qu'elle ne soit plus favorable à la victime ».

 

 

Seules doivent donc être imputées sur l'indemnité réparant l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, les prestations versées par des tiers payeurs qui ouvrent droit, au profit de ceux-ci, à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation.

 

 

Or, il est constant que l’Allocation de Retour à l’Emploi (ARE) servie par Pôle Emploi ne correspond pas à une prestation gérée par un organisme gérant un régime obligatoire de sécurité sociale.

 

 

L’Allocation Retour à l’Emploi n’est pas mentionnée par l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985.

 

 

Elle ne peut donc être considérée comme indemnisant le préjudice subi par la victime suite à l'accident donnant lieu à indemnisation.

 

 

Elle ne donne donc pas lieu à recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation.

 

 

Et si la prestation n’est pas imputée dans le cadre du recours des tiers payeurs, elle ne peut être déduite dans le calcul du préjudice de la victime.

 

 

C’est donc à tort que l’ONIAM entend déduire cette allocation du calcul des pertes de gains professionnels de la victime.

 

 

La jurisprudence est particulièrement abondante en la matière, et abonde en ce sens :

 

 

Voir notamment :

 

 

  • Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 26 mars 2015, 14-16.011 :

 

« Attendu que seules doivent être imputées sur l'indemnité réparant l'atteinte à l'intégrité physique de la victime les prestations versées par des tiers payeurs qui ouvrent droit, au profit de ceux-ci, à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ;

Attendu que, pour évaluer le préjudice concernant la perte de gains professionnels actuels de M. X..., l'arrêt déduit de son montant celui des allocations d' aide au retour à l'emploi perçues par la victime ;

Qu'en statuant ainsi, alors que de telles allocations non mentionnées par l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985 ne donnent pas lieu à recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».

 

  • CA Bordeaux 24 janvier 2017 n°15/03590 :

 

« Les sommes versées par l'ASSEDIC, notamment l'aide de retour à l'emploi (ARE), ne font pas partie des prestations visées à l'article 29 ouvrant un recours subrogatoire, de sorte qu'elles ne peuvent être considérées comme indemnisant le préjudice subi par la victime suite à l'accident donnant lieu à indemnisation.

Le principe de la réparation intégrale et son corollaire, le principe de l'absence de cumul des réparations au delà du préjudice, ne peuvent faire échec à l'absence de déduction de l'allocation de retour à l'emploi dans la mesure où les articles 29 et 32 susmentionnés constituent des textes spéciaux permettant de déroger à un texte et un principe ayant une portée générale (…).

Dès lors, même si l'allocation de retour à l'emploi n'est pas une prestation d'assistance dépourvue de caractère indemnitaire, l'interdiction figurant aux articles 29 et 32 de la loi du 5 juillet 1985 s'oppose à la déduction du montant de la somme de 17.144,86 € versée par l'ASSEDIC des pertes de gains permettant de fixer le montant des pertes de revenus actuels revenant à X…. ».

 

 

 

  • Cour de cassation, Chambre Criminelle, 29 octobre 2013 n°12-83754 :

 

« Attendu qu'après avoir chiffré à 502 131,31 euros la perte de gains professionnels futurs subie par M. X..., la cour d'appel en déduit notamment les allocations-chômage, soit 22 124,48 euros, outre la somme de 42 948,36 euros correspondant à la rente trimestrielle de 3 067,74 euros servie par une compagnie d'assurances volontaires, rente dont la cour d'appel a énoncé préalablement qu'elle est servie sans référence au préjudice réparable et n'a pas de caractère indemnitaire ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que ces diverses prestations ne revêtent pas un caractère indemnitaire et ne donnent pas lieu à recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».

 

  • Cour de cassation, 2ème chambre civile, 12 juin 2014 n°13-18.459 :

 

« Vu les articles 29 et 33 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;

Attendu que seules doivent être imputées sur l'indemnité réparant l'atteinte à l'intégrité physique de la victime les prestations versées par des tiers payeurs qui ouvrent droit, au profit de ceux-ci, à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation (…) ;

Attendu que pour évaluer le préjudice concernant la perte de gains professionnels actuels de Mme X..., l'arrêt déduit de son montant celui des allocations d'aide au retour à l'emploi perçues par la victime à la suite de la détérioration de son état de santé ;

Qu'en statuant ainsi, alors que de telles allocations non mentionnées par le premier de ces textes ne donnent pas lieu à recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation, la cour d'appel a violé les textes susvisés » ;

 

 

Force est de constater que le Conseil d’État retient la même approche : voir notamment CE 23 septembre 2013 n°350.799.

 

 

> S’agissant des indemnités de licenciement :

 

 

De la même manière, l’ONIAM entend déduire la somme de 1 232,50 € perçue par la victime au titre de ses indemnités de licenciement, en totale méconnaissance de la jurisprudence habituelle.

 

 

Il est pourtant admis que l’indemnité de licenciement est dépourvue de tout caractère indemnitaire et constitue ni plus ni moins que la contrepartie du droit de résiliation unilatérale de l’employeur.

 

 

La jurisprudence est claire en la matière ;

 

 

Voir en ce sens :

 

 

  • Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 11 octobre 2007, 06-14.611

 

« Mais attendu que l'indemnité de licenciement est la contrepartie du droit de résiliation unilatérale de l'employeur ; que c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé qu'elle avait pour cause la rupture du contrat de travail et qu'elle n'avait pas à être prise en compte pour évaluer la perte des gains professionnels de la victime ».

 

 

Dès lors, ces sommes ne sauraient être déduites du calcul des pertes de gains.