Port du masque en extérieur : pas en tout lieu, pas en tout temps (CE)

 

 

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 décembre 2021 et 6 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... E... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de constater le consensus scientifique sur le caractère inutile sur le plan sanitaire du port du masque en extérieur dans le cadre de la lutte contre la transmission de la covid-19 et l'absence de tout élément tiré de ce que le variant Omicron changerait ce consensus ;

2°) de constater que nonobstant ce consensus, la conférence de presse donnée par le Premier ministre le 27 décembre 2021 a abouti à affirmer que des consignes seraient données aux préfets pour reprendre des arrêtés de port du masque en extérieur, consignes qui trouvent matérialisation progressive au gré des divers arrêtés pris depuis lors ;

3°) à titre principal, d'enjoindre au gouvernement de prendre un décret, portant obligation du port du masque sur la voie publique et l'espace public en fonction des lieux extérieurs où il est difficile de garder une distance physique compte tenu de leur fréquentation ainsi que de la densité de population de chaque commune ou quartier de ville en fixant des critères objectifs en lien avec l'objectif de diminution de la transmission du virus, dont l'application reviendra aux préfets ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au gouvernement de fixer par circulaire communiquée aux préfets les critères d'application pour le port du masque en extérieur, en fonction de critères objectifs tirés des dispositions propres aux lieux fréquentés, conformément à l'évolution des connaissances scientifiques ;

5°) en tout état de cause, d'une part, d'enjoindre au gouvernement de préciser les modalités de sa politique d'obligation du port du masque en extérieur et, d'autre part, d'enjoindre au ministre des solidarités et de la santé de reconsidérer sa politique d'incitation faite aux préfets de prendre des arrêtés portant obligation du port du masque sur la voie publique et l'espace public au vu des données scientifiques stables et non-contestées qui affirment l'inutilité de l'obligation du port du masque en extérieur, sauf zone de particulière densité.



Il soutient que :
- le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort pour connaître de sa requête ;
- il justifie d'un intérêt à agir ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'obligation du port du masque en extérieur, qui intervient dans le contexte de la crise sanitaire, constitue une restriction aux libertés fondamentales ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté individuelle, la liberté d'aller et venir, la liberté de réunion et au droit à la protection de la santé ;
- l'obligation du port du masque en extérieur porte une atteinte disproportionnée à ces libertés dès lors que, à l'exception des événements pour lesquels la distanciation physique n'est pas possible, les cas de transmission de la covid-19 en extérieur sont faibles ;
- les instructions données par le Premier ministre sont insuffisantes, les conditions d'une obligation générale de port du masque en extérieur n'étant pas encadrées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 janvier 2022, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;
- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. E..., et d'autre part, le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 7 janvier 2022, à 10 heures :

- Me Mégret, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. E... ;

- M. E... ;

- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clôt l'instruction ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 janvier 2022, présentée par le ministre des solidarités et de la santé ;



Considérant ce qui suit.

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". La liberté individuelle, la liberté d'aller et de venir et la liberté de réunion, qui impliquent en particulier que chacun ne puisse subir de contraintes excédant celles qu'imposent la sauvegarde de l'ordre public ou le respect des droits d'autrui, constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de cet article.

2. Aux termes du I de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de la crise sanitaire, le Premier ministre peut " à compter du 2 juin 2021 et jusqu'au 31 juillet 2022 inclus, (...), par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 (...) 1° Réglementer (...) la circulation des personnes ". Selon le III du même article, il peut, lorsqu'il a pris une mesure mentionnée au I, habiliter le représentant de l'Etat territorialement compétents à " à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d'application de ces dispositions ". Lorsque ces dernières doivent s'appliquer dans un champ géographique qui n'excède pas le territoire d'un département, le représentant de l'Etat dans le département doit prendre ces mesures après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, qui est rendu public, et après consultation des exécutifs locaux ainsi que des parlementaires concernés. Le IV du même article exige que toutes les " mesures prescrites en application (de cet article soient) strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu " et qu'il y soit " mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ".

3. Selon l'article 1er du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire : " I. - Afin de ralentir la propagation du virus, les mesures d'hygiène définies en annexe 1 au présent décret et de distanciation sociale, incluant la distanciation physique d'au moins un mètre entre deux personnes, dites barrières, définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance. II. - Les rassemblements, réunions, activités, accueils et déplacements ainsi que l'usage des moyens de transports qui ne sont pas interdits en vertu du présent décret sont organisés en veillant au strict respect de ces mesures. Dans les cas où le port du masque n'est pas prescrit par le présent décret, le préfet de département est habilité à le rendre obligatoire, sauf dans les locaux d'habitation, lorsque les circonstances locales l'exigent. III. - En l'absence de port du masque, et sans préjudice des règles qui le rendent obligatoire, la distanciation mentionnée au I est portée à deux mètres. "

4. M. E... doit être regardé comme demandant la suspension de l'exécution de la décision du Premier ministre de donner instruction aux représentants de l'Etat territorialement compétents de mettre en œuvre l'obligation du port du masque en extérieur prévue au II de l'article 1er du décret du 1er juin 2021. Il soutient qu'il n'est pas établi que le port du masque en plein air en toute circonstance soit nécessaire en l'état actuel des connaissances scientifiques et du taux de vaccination de la population et que les conditions d'application de cette obligation ne sont pas suffisamment encadrées.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le virus de la covid-19 peut se transmettre par gouttelettes respiratoires, par contacts et par voie aéroportée et que les personnes peuvent être contagieuses sans le savoir, notamment pendant la phase pré-symptomatique de l'infection. Si le risque de contamination est, de façon générale, moins élevé en plein air, il ne résulte pas de l'instruction que, au regard des données et recommandations scientifiques disponibles à la date de la présente décision, puisse être exclue la possibilité qu'un aérosol contenant le virus soit inhalé avec une charge infectante suffisante ou qu'une transmission par gouttelettes puisse avoir lieu en cas de forte concentration de population dans un lieu de plein air, le port du masque pouvant alors contribuer à réduire le risque de contamination. Dans ce contexte, une obligation de porter le masque à l'extérieur, lorsque la situation épidémiologique localement constatée le justifie, en cas de regroupement ou dans les lieux et aux heures de forte circulation de population ne permettant pas le respect de la distanciation physique, n'apparaît pas, à la date de la présente ordonnance, manifestement dénuée de nécessité.

6. En second lieu, il résulte des dispositions citées au point 2, notamment du IV de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021, que les mesures générales ou individuelles que le représentant de l'Etat territorialement compétent peut prendre, en application du II de l'article 1er du décret du 1er juin 2021, pour réglementer la circulation des personnes aux fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Par suite, des dispositions rendant obligatoire le port du masque en extérieur doivent être justifiées par la situation épidémiologique constatée sur le territoire concerné. Elles ne peuvent être proportionnées que si elles sont limitées aux lieux et aux heures de forte circulation de population ne permettant pas d'assurer la distanciation physique et aux lieux où les personnes peuvent se regrouper, tels que les marchés, les rassemblements sur la voie publique ou les centres-villes commerçants, les périodes horaires devant être appropriées aux risques identifiés. Le préfet, lorsqu'il détermine, pour ces motifs, les lieux et les horaires de port obligatoire du masque en plein air, est en droit de délimiter des zones suffisamment larges pour que la règle soit compréhensible et son application cohérente.

7. Dès lors que le Premier ministre s'est borné à donner instruction aux préfets de prendre les mesures prévues au II de l'article 1er du décret du 1er juin 2021, dont la mise en œuvre doit respecter, sous le contrôle du juge, les principes énoncés au point 5 et 6 de la présente ordonnance, il n'a pas, ce faisant et eu égard à la portée de cette décision, porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté individuelle ainsi qu'en tout état de cause, à la liberté d'aller et venir, à la liberté de réunion et au droit à protection de la santé invoqués par M. E....

8. Il reviendra au Premier ministre d'adapter ses instructions à l'évolution des connaissances scientifiques et notamment, ainsi que le requiert le IV de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021, de mettre fin sans délai aux mesures dont la nécessité ne serait plus établie.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de M. E... ne peuvent qu'être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence prévue à l'article L. 521-2 du code de justice administrative.




O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. D... E... et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 janvier 2022 où siégeaient : M. A... F..., président-adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. B... C... et M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat, juges des référés.
Fait à Paris, le 11 janvier 2022
Signé : Rémy F...

ECLI:FR:CEORD:2022:460002.20220111