Vente immobilière - devoir d'information - dol

Voir note F. Viney, D 2014, p. 1751.

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mercredi 7 mai 2014
N° de pourvoi: 13-15.073
Non publié au bulletin Rejet

M. Terrier (président), président
Me Rémy-Corlay, SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat(s)

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Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 8 novembre 2012), que la société La Montagne a, suivant promesse du 11 octobre 2007, vendu un immeuble de rapport à la société X... ; qu'invoquant l'insalubrité de plusieurs logements, la société X... a refusé de signer l'acte authentique ; que la société La Montagne l'a assignée en constatation du transfert de propriété de l'immeuble aux conditions prévues dans la promesse de vente et en paiement de la clause pénale ; que la société X... a sollicité à titre reconventionnel la nullité de la promesse pour dol ;

Attendu que la société X... fait grief à l'arrêt de rejeter la demande en nullité pour dol du « compromis » de vente du 11 octobre 2007, de constater le transfert de propriété de l'immeuble moyennant un prix de 626 440 euros, de condamner la société X... à payer à la société La Montagne cette somme ainsi que celle de 28 250 euros au titre de la clause pénale et de dire que le jugement sera publié à la conservation des hypothèques aux frais de la société X... alors, selon le moyen :

1°/ que la validité du consentement, et donc notamment l'existence d'un dol, doit être appréciée au moment de la formation du contrat ; que, de même que la loi, un acte administratif réglementaire ne dispose que pour l'avenir ; il n'a point d'effet rétroactif ; que les dispositions d'un règlement sanitaire départemental demeurent en vigueur tant qu'elles n'ont pas été abrogées explicitement ou implicitement ; qu'elles ne sont pas abrogées implicitement et demeurent applicables même en cas d'édiction d'une réglementation nationale si les dispositions du règlement sanitaire départemental n'enfreignent pas la réglementation nationale et sont plus rigoureuses que celle-ci ; qu'en l'espèce, comme elle l'avait déjà fait en première instance, la société X... faisait valoir dans ses conclusions d'appel que la société La Montagne s'était rendue coupable à son égard d'une réticence dolosive lors de la signature du compromis de vente du 11 octobre 2007 en lui dissimulant le fait qu'après avoir acquis l'immeuble en 2005, elle y avait effectué, pour créer un immeuble locatif de rapport optimal, des travaux de transformation en méconnaissance de la réglementation en vigueur concernant l'insalubrité des logements, ce qu'elle n'ignorait pas puisque l'acte du 11 avril 2005 par lequel elle avait acquis cet immeuble comportait une clause « notion de logement décent » lui rappelant les normes relatives aux dimensions minimales imposées par la réglementation en vigueur et lui précisant que ces conditions étaient obligatoires pour toute location, et qu'ainsi la société La Montagne avait parfaitement connaissance du caractère insalubre de certains des logements de l'immeuble qu'elle revendait à la société X... par le compromis de vente du 11 octobre 2007 ; que pour débouter néanmoins la société X... de sa demande en nullité de ce compromis de vente pour dol, la cour d'appel a, par motifs propres et adoptés, retenu que si, « au jour où ce compromis a été signé », le règlement sanitaire départemental du 3 février 1982, « alors en vigueur », prévoyait des normes auxquelles, « effectivement, au moment de la signature du compromis, certains logements n'étaient pas conformes », cette réglementation avait été modifiée par le décret du 30 janvier 2002 pris pour l'application de la loi SRU du 13 décembre 2000, que cette réglementation nationale l'emportait sur le règlement sanitaire départemental qu'elle avait abrogé implicitement, qu'en outre la disposition du règlement sanitaire départemental relative aux normes de dimensions minimales d'un logement avait été ultérieurement abrogée par arrêté préfectoral du 7 juillet 2008, et qu'ainsi, au jour prévu (8 juillet 2008) pour réitérer par acte authentique le compromis de vente, plus aucun obstacle ne s'opposait à la signature de l'acte de vente ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu tout à la fois le principe selon lequel l'existence d'un dol doit s'apprécier au moment de la formation du contrat, le principe de la non-rétroactivité des actes administratifs réglementaires, et le principe selon lequel un règlement sanitaire départemental demeure applicable tant qu'il n'a pas été abrogé explicitement ou implicitement, une abrogation implicite ne pouvant résulter de l'édiction de normes réglementaires nationales moins rigoureuses que celles d'un règlement sanitaire départemental, violant ainsi l'article 1116 du code civil, ensemble l'article 2 du même code, l'article 251-4 du règlement sanitaire départemental du 3 février 1982, par refus d'application, et, par fausse application, les articles 1 et 4 du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 pris pour l'application de l'article 187 de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, et l'arrêté préfectoral précité du 7 juillet 2008 ;

2°/ que les juges ne peuvent dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, en affirmant que, lors de la conclusion du compromis de vente du 11 octobre 2007, la société X... « loin d'être un acquéreur profane et inexpérimenté », était, comme la société La Montagne, une « professionnelle avisée et expérimentée des transactions immobilières » parce que la société X... indiquait « avoir pour activité « l'acquisition d'investissements immobiliers destinés à la location » », quand celle-ci, dans ses conclusions d'appel, indiquait seulement que c'était l'objet en vue duquel avait été créée cette « société familiale », par acte du 20 septembre 2006, constituée entre « M. Etienne X... et Mlle Bérangère Y... qui ne sont pas professionnels de l'immobilier », la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société X... et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

3°/ que le dol peut être constitué par le silence d'une partie qui, manquant à son devoir de contracter avec bonne foi, dissimule à son cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait déterminé à ne pas contracter ou à contracter à un moindre prix ; qu'une réticence dolosive du vendeur qui a provoqué l'erreur de l'acquéreur rend toujours excusable l'erreur ainsi provoquée ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande de la société X... en nullité pour dol du compromis de vente du 11 octobre 2007 et, en conséquence, constater le transfert de propriété de l'immeuble et condamner la société X... à en payer le prix à la société La Montagne ainsi qu'à payer à celle-ci une somme au titre de la clause pénale, l'arrêt retient que la société La Montagne et la société X... sont l'une et l'autre des professionnelles avisées et expérimentées des transactions immobilières, qu'il était indiqué au compromis que l'acquéreur déclarait avoir « vu et visité » l'immeuble et qu'ainsi, ayant « visité les logements situés dans l'immeuble vendu, il a pu procéder à toute constatation utile et a signé le compromis en toute connaissance de cause » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs qui ne permettent pas d'exclure l'existence d'une réticence dolosive, quand une réticence dolosive du vendeur, si elle est établie, rend toujours excusable l'erreur provoquée de l'acquéreur, la cour d'appel a violé l'article 1116 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu sans dénaturation que la société X... n'était pas un acquéreur profane et inexpérimenté et relevé qu'elle avait visité les logements situés dans l'immeuble vendu, qu'elle avait pu procéder à toute constatation utile et qu'elle avait signé le « compromis » en toute connaissance de cause, la cour d'appel a pu déduire de ces seuls motifs que la demande en nullité pour dol devait être rejetée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;