Cour de cassation 1re chambre civile du 29 mai 2019, no 18-18.823.

Le régime de l'attribution préférentielle fait l'objet d'un contentieux nourri. La décision du 29 mai 2019 vient éclairer la distinction qu'il y a lieu d'opérer entre la renonciation à la demande d'attribution préférentielle et la renonciation à l'attribution préférentielle obtenue. Tant que l'héritier demandeur à l'attribution ne l'a pas obtenue, il peut librement renoncer à sa demande.

 

En revanche, une fois qu'il l'a obtenue, il ne s'agit plus de renoncer à sa demande, mais bien à l'attribution en elle-même. Dans ce cas, la renonciation n'est plus libre, mais conditionnée par l'article 834, alinéa 2 du Code civil, issu de la réforme du 23 juin 2006 (L. no 2006-728, 23 juin 2006), qui dispose « Jusqu'à cette date [celle du partage définitif], il [le bénéficiaire de l'attribution préférentielle] ne peut renoncer à l'attribution que lorsque la valeur du bien, telle que déterminée au jour de cette attribution, a augmenté de plus du quart au jour du partage indépendamment de son fait personnel ».

Il en résulte que pour distinguer ces deux cas de renonciation, il faut déterminer avec précision la date de l'attribution préférentielle. Si elle a lieu à la suite d'un accord amiable (possibilité prévue à l'article 832-3 du Code civil), sa date est fixée au jour de cet accord. Mais quelle date retenir lorsque l'attribution préférentielle est décidée en justice, comme le prévoit aussi l'article 832-3 ? La date de la décision ?

 

La date à laquelle la décision est passée en force de chose jugée ? Ou la date à laquelle elle devient irrévocable ? C'est précisément sur ce point qu'a statué assez finement la Cour de cassation dans l'arrêt commenté. En effet, en l'espèce, un héritier avait demandé l'attribution préférentielle de l'exploitation viticole et l'avait obtenue en première instance.

Mais ne pouvant payer la soulte correspondant à la différence entre la valeur de la propriété et ses droits dans la succession (le TGI ayant évalué l'exploitation plus du double de la valeur estimée par l'héritier), ce dernier interjette appel en renonçant à l'attribution et en demandant la licitation du bien.

La Cour d'appel fait droit à sa demande estimant qu'il était libre de renoncer à sa demande d'attribution. Les cohéritiers forment un pourvoi en cassation en invoquant à son soutien la violation de l'article 834 : selon eux, l'attribution préférentielle ayant été obtenue par le jugement, la renonciation n'était plus libre, mais encadrée par ce dernier texte.

La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif qu'« ayant relevé que le jugement, qui avait accueilli la demande d'attribution préférentielle, était frappé d'un appel général, de sorte qu'il n'y avait pas force de chose jugée, la cour d'appel en a exactement déduit que le bénéficiaire pouvait y renoncer même si les conditions édictées par le texte n'étaient pas remplies ».

En d'autres termes, lorsque l'attribution préférentielle a lieu par décision judiciaire, elle n'acquiert toute sa reconnaissance juridique qu'une fois que la décision est passée en force de chose jugée, c'est-à-dire « lorsque, n'étant plus susceptible d'une voie de recours suspensive, elle est (ou devient) exécutoire (CPC, art. 500) ».

Ainsi tant que la décision n'est pas passée en force de chose jugée, l'héritier peut toujours renoncer librement à sa demande, ce qui explique le rejet du pourvoi en l'espèce. Il faut en déduire a contrario qu'une fois la décision passée en force de chose jugée, l'héritier ne peut renoncer à l'attribution que dans les conditions prévues à l'article 834.

La Cour choisit en effet de retenir la date à laquelle la décision acquiert force de chose jugée. Cela signifie que si un arrêt d'appel se prononce sur l'attribution préférentielle et qu'il fait l'objet d'un pourvoi en cassation, l'attribution sera considérée comme acquise à la date de l'arrêt, le pourvoi étant une voie de recours extraordinaire sans effet suspensif en principe (CPC, art. 579) et l'arrêt d'appel ayant force exécutoire immédiate.

En d'autres termes, si l'attribution est décidée par un arrêt d'appel, l'héritier ne pourra plus renoncer qu'à cette attribution selon les termes de l'article 834 du Code civil. Il est curieux que la Cour n'ait pas préféré retenir que la décision d'attribution soit devenue irrévocable, ce qui vise le cas où elle « ne peut plus être attaquée par une voie extraordinaire de recours, du fait que ces recours ont été exercés ou que les délais de recours sont expirés ».

D'ailleurs des auteurs précisent que c'est après que la décision d'attribution est « devenue irrévocable » que « le bénéficiaire peut y renoncer, sous la condition introduite par la loi de 2006 ». On en vient à se demander si après avoir dissipé une confusion (entre renonciation à la demande d'attribution et renonciation à l'attribution), la Cour n'en a pas commis une à son tour (entre force jugée et irrévocabilité des décisions).

 

SOURCES :

 

  1. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000038629402&fastReqId=748651502&fastPos=1
  2. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007030605&fastReqId=1078591899&fastPos=1
  3. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007026273&fastReqId=1731991681&fastPos=1
  4. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000006988974&fastReqId=841342179&fastPos=1
  5. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007043288&fastReqId=1484685181&fastPos=1
  6. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007036071&fastReqId=875026358&fastPos=1
  7. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000006983408&fastReqId=917674464&fastPos=1
  8. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007619116&fastReqId=2115428786&fastPos=1