Pour en savoir plus : voir « Traité de la responsabilité des constructeurs », par A. CASTON, F.-X. AJACCIO, R. PORTE et M. TENDEIRO, 7ème édition (960 pages), sept. 2013, éd. « Le Moniteur », page 223.

Conseil d'État

N° 349107

ECLI:FR:CESSR:2012:349107.20121115

Mentionné dans les tables du recueil Lebon

7ème et 2ème sous-sections réunies

lecture du jeudi 15 novembre 2012

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 mai et 5 août 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la commune de Dijon, représentée par son maire ; la commune demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 10LY01600 du 3 mars 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, à la suite de la décision n° 314089 du 5 juillet 2010 du Conseil d'Etat qui a annulé l'arrêt n° 03LY01660-03LY01671 du 27 décembre 2007 de cette cour en tant qu'il avait rejeté ses conclusions d'appel en garantie dirigées contre les sociétés Arquitectonica, Séchaud et Bossuyt, Copibat, Eiffage construction, Fougerolle, Compagnie Eiffel construction métallique et M. Martinet et renvoyé l'affaire devant la cour, a rejeté ces conclusions ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel en garantie ;

3°) de mettre solidairement à la charge des sociétés appelées en garantie la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Dieu, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Defrenois, Levis, avocat de la commune de Dijon, de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la compagnie française Eiffel construction métallique, de la société Eiffage construction Bourgogne venant aux droits de la société Pouletty, de la société Eiffage construction venant aux droits des sociétés SAE et SAEE et de la société Fougerolle, de la SCP Laugier, Caston, avocat de la société Iosis management venant aux droits de la société Copibat et de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Arquitectonica,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Defrenois, Levis, avocat de la commune de Dijon, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la compagnie française Eiffel construction métallique et autres, à la SCP Laugier, Caston, avocat de la société Iosis management venant aux droits de la société Copibat et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Arquitectonica ;

1. Considérant qu'il ressort du dossier soumis aux juges du fond que la société Omnipierre, aux droits de laquelle est venue la société Rocamat Pierre Naturelle, s'est vu attribuer le lot n° 6 " revêtements de pierre " dans le cadre du marché conclu par la commune de Dijon pour l'édification d'un auditorium ; qu'à l'issue des travaux, la commune a notifié à l'entreprise un décompte général comportant l'application de pénalités de retard ; que la société Omnipierre ayant contesté ce décompte et demandé l'indemnisation du préjudice subi par elle à raison de l'absence de conformité d'une partie de l'ouvrage et de l'allongement du chantier, le tribunal administratif de Dijon a, par un jugement du 15 juillet 2003, mis à la charge de la commune une somme de 132 010,58 euros au titre de l'allongement de la durée du chantier et rejeté les conclusions de la collectivité tendant à l'appel en garantie des maîtres d'oeuvre et des titulaires du lot " gros oeuvre " ; que sur appel des deux parties, la cour administrative d'appel de Lyon a, par un arrêt du 27 décembre 2007, porté à 238 637,36 euros TTC la somme due par la commune à la société Omnipierre et rejeté les appels en garantie présentés par la commune ; que, par une décision du 5 juillet 2010, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt en tant seulement qu'il avait rejeté les conclusions d'appel en garantie de la commune de Dijon dirigées contre les sociétés Arquitectonica, Séchaud et Bossuyt, Copibat et M. Richard Martinet, maîtres d'oeuvre, ainsi que contre les sociétés Eiffage construction Bourgogne, Eiffage construction, Fougerolle et Eiffel construction métallique, titulaires du lot n° 3 du marché ; que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Lyon, saisie du litige comme juge du renvoi, a rejeté ces conclusions ;

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions d'appel en garantie relatives à l'allongement de la durée du chantier :

2. Considérant que la cour a jugé qu'en se bornant à se référer au rapport d'expertise enregistré le 23 mai 2002 au greffe du tribunal administratif de Dijon, qui ne se prononçait que sur l'origine et la responsabilité des retards d'exécution des travaux du lot n° 3 " gros oeuvre / charpente métallique " du marché, la commune de Dijon ne démontrait ni l'existence de fautes contractuelles commises par les appelés en garantie ni le lien de causalité entre ces supposées fautes et les retards qu'elle avait été condamnée à indemniser au profit de la société Omnipierre chargée de l'exécution du lot n° 6 " revêtement pierre " ; que, ce faisant, la cour administrative d'appel de Lyon, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit et a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine qui, dès lors qu'elle est exempte de dénaturation, n'est pas susceptible d'être discutée devant le juge de cassation ; que, par suite, la commune de Dijon n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à ce que les sociétés Arquitectonica, Séchaud et Bossuyt, Copibat, Eiffage construction, Fougerolle et Eiffel construction métallique et la société Mandataires associés MJA en qualité de liquidateur de la société MR Architectes venant aux droits de M. Martinet, la garantissent de sa condamnation à verser à la société Omnipierre une somme de 289 041,30 francs hors taxe, soit 44 064 euros hors taxe, au titre des conséquences de l'allongement de la durée du chantier ;

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions d'appel en garantie relatives à la réintégration dans le solde du marché de la somme de 132 670, 78 euros :

3. Considérant qu'aux termes du 7 de l'article 41 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés litigieux, dont les dispositions sont reprises dans le nouveau cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux approuvé par arrêté du 8 septembre 2009 : " Si certains ouvrages ou certaines parties d'ouvrages ne sont pas entièrement conformes aux spécifications du marché, sans que les imperfections constatées soient de nature à porter atteinte à la sécurité, au comportement ou à l'utilisation des ouvrages, la personne responsable du marché peut, eu égard à la faible importance des imperfections et aux difficultés que présenterait la mise en conformité, renoncer à ordonner la réfection des ouvrages estimés défectueux et proposer à l'entrepreneur une réfaction sur les prix. / Si l'entrepreneur accepte la réfaction, les imperfections qui l'ont motivée se trouvent couvertes de ce fait et la réception est prononcée sans réserve. / Dans le cas contraire, l'entrepreneur demeure tenu de réparer ces imperfections, la réception étant prononcée sous réserve de leur réparation " ; qu'il résulte de ces dispositions que, si la personne responsable du marché peut proposer à l'entreprise dont les travaux ne sont pas entièrement conformes aux spécifications du marché une réfaction sur le prix de ces travaux et la dispenser en conséquence de l'obligation d'effectuer les travaux destinés à réparer ces imperfections, elle n'y est pas tenue et peut choisir d'assortir la réception des travaux de réserves ; que l'intervention d'une réception avec réserves fait obstacle à l'application d'une réfaction sur les prix, dès lors que l'entreprise concernée est alors tenue d'effectuer les travaux qui sont la condition de la levée des réserves ;

4. Considérant, par suite, que la cour administrative d'appel de Lyon ne pouvait, sans commettre d'erreur de droit, juger qu'en l'absence de proposition de réfaction du prix du marché émanant de la personne responsable du marché, les maîtres d'oeuvre n'étaient pas tenus de donner à la société Omnipierre l'ordre de service de procéder à la reprise des malfaçons relevées dans la réception avec réserves des travaux ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune de Dijon est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant seulement qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation des sociétés Arquitectonica, Séchaud et Bossuyt et de la société Mandataires associés MJA, en qualité de liquidateur de la société MR Architectes venant aux droits de M. Martinet, à la garantir de la somme de 870 263,28 francs (132 670,78 euros) hors taxe réintégrée dans le solde du marché dû à la société Omnipierre et mise à la charge de la commune ;

6. Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par le groupement de maîtrise d'oeuvre :

7. Considérant, en premier lieu, que la circonstance que la commune de Dijon, maître de l'ouvrage, était liée aux maîtres d'oeuvre par un contrat distinct de celui sur lequel se fonde le présent litige ne fait pas obstacle à ce que la commune soit recevable à présenter à leur encontre des conclusions à fin de garantie ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée de l'existence d'un tel contrat doit être écartée ;

8. Considérant, en second lieu, que la circonstance que le décompte général intervenu entre le groupement de maîtrise d'oeuvre et la commune de Dijon est définitif ne saurait davantage faire obstacle à la recevabilité des conclusions d'appel en garantie de la commune ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée de l'intervention de ce décompte doit également être écartée ;

Sur les conclusions d'appel en garantie de la commune de Dijon :

9. Considérant que, dans son arrêt du 27 décembre 2007 devenu définitif sur ce point, la cour administrative d'appel de Lyon a réintégré dans le solde du marché dû par la commune de Dijon à la société Omnipierre la somme de 132 670,78 euros, correspondant aux pénalités appliquées par la commune en raison du retard de la société dans la réalisation des travaux de levée des réserves ; que, par le même arrêt, la cour a estimé que ce retard avait eu pour seule cause l'absence de notification à la société Omnipierre, par les maîtres d'oeuvre, de l'ordre de service d'effectuer les travaux destinés à remédier aux malfaçons constatées par le maître de l'ouvrage lors de la réception des travaux prononcée avec réserves le 29 octobre 1998 ;

10. Considérant toutefois que, si les maîtres d'oeuvre ont manqué à leurs obligations contractuelles en ne notifiant pas cet ordre de service, rien ne permet de présumer que la société Omnipierre, bien que régulièrement avertie par un ordre de service notifié par les maîtres d'oeuvre de procéder aux travaux de levée des réserves, aurait dépassé le délai fixé par l'ordre de service pour effectuer ces travaux et aurait ainsi pu se voir régulièrement infliger des pénalités de retard par la commune de Dijon ; qu'ainsi, la commune ne saurait se prévaloir de ce manquement pour demander leur condamnation à lui verser la somme correspondant aux pénalités qu'elle avait appliquées à la société Omnipierre, et dont le montant a été réintégré dans le solde du marché dû à cette dernière, ni donc pour demander que soit indemnisé par les maîtres d'oeuvre le préjudice, éventuel, résultant de la privation de la possibilité d'infliger de telles pénalités ; que, par suite, la commune de Dijon n'est pas fondée à demander la condamnation solidaire des sociétés Arquitectonia et Séchaud et Bossuyt et de M. Martinet à la garantir de l'intégralité du paiement de la somme de 132 670,78 euros à la société Omnipierre ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune de Dijon n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon a, par son jugement du 15 juillet 2003, rejeté ses appels en garantie ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge des sociétés Iosis Management venant aux droits de la société Copibat, Eiffage construction, Fougerolle, Eiffel construction métallique, Arquitectonica et Séchaud et Bossuyt, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, la somme que demande la commune de Dijon au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche, en application des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la commune une somme de 2 000 euros à verser, d'une part, aux sociétés Eiffage construction, Fougerolle et Eiffel construction métallique et, d'autre part, à la société Arquitectonica, au titre de la procédure suivie devant le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel de Lyon et une somme de 1 000 euros à verser aux sociétés Iosis Management venant aux droits de la société Copibat et Séchaud et Bossuyt au titre de la procédure suivie devant cette cour ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 3 mars 2011 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la commune de Dijon tendant à la condamnation des sociétés Arquitectonica, Séchaud et Bossuyt et de la société Mandataires associés MJA, en qualité de liquidateur de la société MR Architectes venant aux droits de M. Martinet, à la garantir de la somme de 132 670,78 euros hors taxe, réintégrée dans le solde du marché dû à la société Omnipierre et mise à la charge de la commune.

Article 2 : Le surplus des conclusions du pourvoi et les conclusions d'appel de la commune de Dijon sont rejetés.

Article 3 : La commune de Dijon versera une somme de 2 000 euros aux sociétés Eiffage construction, Fougerolle et Eiffel construction métallique, une somme de 2 000 euros à la société Arquitectonica et une somme de 1 000 euros à chacune des sociétés Séchaud et Bossuyt et Iosis Management venant aux droits de la société Copibat en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Dijon, à la société Eiffage Construction venant aux droits des sociétés SAE et SAEE, à la société Eiffage Construction Bourgogne venant aux droits de la société Pouletty, à la société Fougerolle, à la Compagnie française Eiffel Construction Métallique, à la société Arquitectonica, à la société Séchaud et Bossuyt venant aux droits du groupe Sofresid Séchaud et Bossuyt, à la société Iosis Management venant aux droits de la société Copibat, à M. Richard Martinet et à la société Rocamat Pierre Naturelle.