Le droit de préemption est la faculté donnée à une collectivité publique ou à un organisme, d'acquérir par priorité, dans certaines zones préalablement définies, les biens mis en vente, dans le but de réaliser des opérations d'intérêt général. Il existe plusieurs types de préemption, le plus connu étant le droit de préemption urbain. La mise en œuvre de la préemption suppose, évidemment, le respect de certains conditions.
Pour autant, lorsqu'une administration use de ce droit, le vendeur et l'acquéreur sont, par ricochet, contraints d'abandonner leur projet puisque la vente intervient au bénéfice du titulaire du droit de préemption et emporte transfert de propriété à ce dernier. A ce titre, le vendeur comme pour l'acquéreur évincé peuvent agir, dès qu'ils ont connaissance de la décision de préemption pour empêcher la prise de possession par l'autorité administrative et obtenir la réparation de leur préjudices.
Les voies et délais de recours
Le délai pour contester la décision de préemption, qui prend habituellement la forme d'un arrêté, s'élève à deux mois et commence à courir à la date où cette décision a été notifiée au propriétaire du terrain et à l'acquéreur évincé. La décision elle-même doit comporter la mention des voies et délais de recours, faute de quoi la décision peut être contestée pendant une durée d'une année.
Avant tout recours contentieux, il est aussi possible de demander à l'autorité préemptrice de retirer sa décision au moyen d'un recours gracieux, ce recours étant obligatoire dans l'hypothèse où le demandeur entend obtenir une indemnisation financière. Concrètement, le recours gracieux prend la forme d'une lettre recommandée avec accusé réception adressée directement à l'auteur de l'acte, qui dispose à son tour de deux mois pour répondre. En l'absence de réponse à l'issue de ce délai, le demandeur est en possession d'une décision tacite de rejet et pourra dès lors saisir le tribunal administratif compétent dans un nouveau délai de deux mois.
Dans cette perspective, il peut agir en référé (procédure d'urgence) mais surtout demander l'annulation de la décision, c'est-à-dire sa disparition de l'ordonnancement juridique de manière rétroactive, ainsi qu'à titre complémentaire, la réparation de ses préjudices directement causés par la préemption.
L'action devant le juge des référés
Devant le juge administratif, le référé permet d'obtenir dans un court délai des mesures provisoires ou conservatoires qui assurent la sauvegarde des droits du requérant. Le vendeur et l'acquéreur évincé peuvent notamment envisager une action en référé suspension, qui permet, en cas de succès, de faire obstacle à la prise de possession du bien préempté par l'administration et sa revente à un tiers. L'action en référé peut même permettre au vendeur et à l'acquéreur évincé de mener à son terme la vente dont ils avaient convenu dans le cadre d'une promesse.
Le contrôle du juge administratif saisi en excès de pouvoir
Saisi en annulation de la décision de préemption, le juge administratif vérifie, outre les aspects procéduraux, que le droit de préemption est bien exercé en vue de la réalisation des objets définis par la loi (CE, 26 févr. 2003, n° 231558). Ce contrôle porte notamment sur le caractère adapté du bien préempté et sur les conditions financières de l'opération, à travers la notion d'intérêt général suffisant (CE, 25 févr. 2015, n° 371079).
Le sort du bien illégalement préempté
Lorsque le juge administratif conclut à l'illégalité de la décision de préemption, trois situations se distinguent :
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Si le jugement intervient avant le transfert de propriété du bien à l'autorité préemptrice, le droit de préemption est « gelé » pendant un an (à compter de la décision juridictionnelle devenue définitive). Pendant cette période, l'administration ne pourra pas exercer à nouveau son droit de préemption sur le bien et le propriétaire pourra le vendre librement, y compris à des conditions et à un prix différents de ceux de la déclaration d'intention d'aliéner initiale (art. L. 213-8, al. 5 du code de l'urbanisme).
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Si l'annulation intervient après le transfert de propriété du bien préempté à l'autorité préemptrice et qu'il est encore en sa possession, il lui est interdit de le revendre à un tiers (CE, 26 fév. 2003, n°231558). L'administration a alors l'obligation de proposer le bien au propriétaire initial puis à l'acquéreur évincé si le propriétaire renonce (art. L. 213-11-1 du code de l'urbanisme). Le prix de la rétrocession ne doit pas conduire à un enrichissement sans cause de sa part et, en cas de désaccord, il peut être fixé par le juge de l'expropriation (tribunal judiciaire).
En cas de manquement, le propriétaire initial et l'acquéreur évincé peuvent saisir le juge administratif pour contraindre l'administration à rétrocéder (injonction) ou le juge judiciaire d'une action en dommages et intérêts.
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Si l'annulation intervient après que l'autorité préemptrice ait revendu le bien préempté à un tiers, il y aura lieu de faire constater la nullité de cette vente devant le juge civil.
La responsabilité de l'administration et l'indemnisation des préjudices
Si la décision de préemption est jugée illégale pour un motif de fond, l'acquéreur évincé comme le vendeur sont fondés à solliciter la réparation des préjudices qu'ils ont subis du fait de cette illégalité puisque par principe, toute illégalité affectant une décision de préemption constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration. Dit autrement, le vendeur ou l'acquéreur évincé qui s'estime lésé n'a droit à indemnisation qu'à la condition d'avoir démontré au préalable l'illégalité de la préemption.
Quant aux préjudices susceptibles d'être indemnisés, ils doivent avoir été causés de façon directe et certaine par la décision de préemption illégale.
Pour le propriétaire du terrain, dans l'hypothèse d'une préemption illégale n'ayant pas abouti, et lorsque, d'une part, le titulaire du droit de préemption illégal y renonce, d'autre part, l'acquéreur évincé ne souhaite plus acquérir le bien, le propriétaire qui retrouve la propriété de son bien et désire le remettre en vente peut solliciter l'indemnisation des postes de préjudices suivants :
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Manque à gagner lié à une diminution du prix de revente de son bien par rapport à celui fixé dans la promesse initiale (voir notamment CE, 10 mars 2010, n°323443) ;
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Perte financière liée à l'immobilisation du bien entre la date de cession prévue dans la promesse de vente initiale et la date de la vente effective ou la renonciation à préempter (CE, 10 mars 2010, n°323543) ;
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Préjudice moral et troubles dans les conditions d'existence (CE, 19 juin 2013, n°350715), par exemple en raison du retard causé au projet de déménagement de la famille alors que le père de famille venait de perdre son emploi (CAA Versailles, 21 nov. 2013, n°11VE03116).
L'acquéreur évincé peut, pour sa part, demander la réparation du préjudice résultant de l'exercice du droit de préemption dans la mesure où il a été empêché de devenir propriétaire du fait de la préemption (CE, 8 déc. 2000, n°188046) :
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Répétition des loyers versés en raison de la prise à bail d'autres locaux motivée par la préemption du bien (CE, 17 déc. 2007, n°304626)) ;
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Frais exposés pour la constitution des dossiers relatifs aux projets de construction envisagés, dont par exemple les honoraires d'études en vue d'obtenir une autorisation de lotir (CE, 28 juill. 1999, n°186409) ou les frais engagés pour la constitution du dossier de permis de construire (CAA Versailles, 1er oct. 2009, n°08VE01115).
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Plus rarement, indemnisation de la privation des bénéfices raisonnablement escomptés et du manque à gagner, sous réserve de démontrer l'existence du préjudice (CAA Nantes, 15 fév. 2019, n°17NT01808 ; CE, 28 juill. 1999, n°186409).
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