Dans une décision récente (28 mai 2024 / n° 469089), les 4e et 1ère chambres réunies du Conseil d'état ont jugé qu'un médecin traitant pouvait valablement constater l'existence d'un syndrome d'épuisement professionnel - autrement dit "burn-out" - sans nécessairement risquer d'être accusé d'avoir rédigé un certificat médical "tendancieux" ou "de complaisance".

La délicate question des certificats médicaux liés au syndrome anxiodépressif au travail est un thème récurrent du contentieux en matière de droit du travail.

Il faut savoir que jusqu'alors nombre de médecins ont fait l'objet de poursuites disciplinaires pour avoir oser - ou avoir eu le courage - d'attester par certificat médical qu'il suivaient leurs patients pour syndrome anxiodépressif lié à des difficultés au travail ou un conflit avec leur employeur.

La plupart du temps, ces certificats médicaux étaient rédigés par les praticiens en toute bonne foi, dans l'ignorance qu'il pourrait leur être reproché par la suite un manque d'objectivité, pouvant faire l'objet de sanction.

D'aucuns considéraient, et considèrent encore aujourd'hui, que le caractère tendencieux de ces certificats médicaux résulterait du fait que le médecin traitant (contrairement au médecin du travail) n'est pas l'observateur des conditions de travail et qu'il n'a aucune connaissance - si ce n'est de manière indirecte - de la réalité de la surcharge de travail à laquelle est exposé son patient ou du lien de causalité avec la dégradation de son état de santé.

En effet, l'article R 4127-28 du Code de la santé publique dispose que la délivrance d'un rapport tendancieux ou d'un certificat de complaisance est interdite.

Le Conseil national de l’ordre des médecins avait ainsi pris le soin de rappeler dans un rapport intitulé « Les certificats médicaux, règles générales d’établissement » que « la rédaction d’un certificat demande attention et rigueur car il constitue un mode de preuve qui entre dans la catégorie juridique des témoignages écrits. Il fait foi jusqu’à preuve contraire. L’établissement et la délivrance d’un certificat médical exposent le médecin à une responsabilité particulière dont la sévérité est la contrepartie de l’importance revêtue, en droit comme en fait, par ce document ».

Il est vrai, comme le note le Conseil d'état dans sa décision, que ces professionnels de santé ne disposent pas toujours (et même rarement) de "l'analyse des conditions de travail du salarié émanant notamment du médecin du travail".

Pour autant, leur diagnostic n'en est pas moins précieux et reste fondé sur leur expertise, la connaissance du dossier médical et l'état de santé de leur patient (qu'ils connaissent bien souvent depuis plusieurs années).

Cette décision ouvre donc la voie vers une reconnaissance accrue du rôle du médecin traitant dans la prise en charge des risques psychosociaux au travail.

Le diagnostic du médecin de famille peut également être complété par l'avis du médecin du travail, lequel est seul compétent pour juger de l'aptitude médicale du salarié à se maintenir dans ses fonctions, en lien avec l'employeur. Cependant, même si les services de santé au travail (médecin du travail, infirmière, psychologue...) sont les seuls a avoir une connaissance précise de l'environnement de travail et peuvent effectuer une étude de poste, ou formuler par exemple des préconisations à l'intention de l'employeur en vue d'aménager le poste, l'arrêt du 28 mai 2024 redonne au médecin traitant sa place dans le parcours de soin du salarié (car il ne faut pas oublier qu'il est souvent le premier à constater les symptômes lors de la délivrance du premier arrêt de travail et qu'il connaît l'environnement familial et social du patient...).

Si le médecin traitant doit rester prudent dans son analyse, il reste légitime à pouvoir attester de l'évolution de l'état de santé de son patient lorsque ce dernier fait état d'une situation de souffrance au travail et qu'il présente des symptômes caractérisant un surmenage professionnel.

Dès lors, il semble juste et souhaitable que les poursuites qui étaient initiées à l'encontre de ces médecins au motif de prétendus manquements déontologiques (sur le fondement de l'article R. 4127-28 du code de la santé publique) prennent aujourdhui fin, à la faveur de cette nouvelle jurisprudence qui facilitera l'administration de la preuve et l'office du juge en matière de contentieux liés aux risques psychosociaux.