A la suite de l'épidémie, et des mesures sanitaires imposées par le gouvernement, l'exploitant d'un local commercial peut-il invoquer la force majeure ?


 

Les contrats peuvent légalement définir, aménager et exclure la force majeure. 

A défaut, et selon l’article 1218 du Code civil, pour invoquer la force majeure, celui qui invoque la force majeure (le preneur pour un bail commercial) doit démontrer trois éléments cumulatifs :

-    un événement échappant au contrôle du débiteur (critère extériorité) ;

-    et qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat (critère imprévisibilité) ;

-    et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées (critère irrésistibilité).

En ce qui concerne l’épidémie de COVID 19, l’extériorité ne fait pas débat.

L’imprévisibilité est peu discutable, et encore.

Un arrêt de la Cour d'appel de Besançon du 8 janvier 2014 (2ème Chambre commerciale, RG nº 12/02291) a jugé au sujet de l’épidémie H1N1 ne constituait pas un cas de force majeure. 

« Il convient de rappeler, en droit, que le cas de force majeur s'entend d'un événement imprévisible, irrésistible et insurmontable qui rend l'exécution de l'obligation impossible. Telle n'est pas le cas de l'épidémie de grippe H1N1 qui a été largement annoncée et prévue, avant même la mise en œuvre de la réglementation sanitaire derrière laquelle la SARL ATN 25 tente de se retrancher.»

 

On peut considérer que l’épidémie de COVID 19 a été largement annoncée et prévue depuis janvier 2020. L’évènement était donc prévisible.

La grande difficulté pour le preneur sera au surplus d’établir l’irrésistibilité car le preneur a pour obligation principale, à l’égard du bailleur, le paiement d’une somme d’argent.

On peut considérer que rien ne rend « irrésistible » la constitution d’une trésorerie, l’obtention d’une ligne de crédit ou d’une autorisation de découvert, la vente d’actifs, voire du fonds de commerce pour payer ses dettes locatives. 

Les Tribunaux, Cours d’Appel, et dans quelques années la Cour de Cassation, seront vraisemblablement amenés à préciser les contours du critère d’irrésistibilité.

La force majeure est appréciée au cas par cas par les Tribunaux et c’est logique, une pharmacie sera mal fondée à soutenir que l’épidémie en cours serait pour elle un cas de force majeure.

En matière de paiement de cotisations sociales, et alors que le débiteur, du secteur hôtelier, invoquait une baisse d’activité en raison de l’épidémie de virus EBOLA en Afrique, la Cour d'appel de Paris (Pôle 6, Chambre 12, Arrêt du 17 mars 2016, Répertoire général nº 15/04263) met en exergue les difficultés probatoires et  a jugé que :

«  le non paiement des cotisations est imputée, par la société appelante qui n'en justifie pas, à une absence de trésorerie dont la société appelante indique, sans en justifier là encore, qu'elle serait imputable à la baisse d'activité de deux de ses filiales relevant du secteur hôtelier à la suite de l'épidémie du virus EBOLA ; Considérant néanmoins que le caractère avéré de l'épidémie qui a frappé l'Afrique de l'Ouest à partir du mois de décembre 2013, même à la considérer comme un cas de force majeure, ne suffit pas à établir ipso facto que la baisse ou l'absence de trésorerie invoquées par la société appelante, lui serait imputable, alors d'une part qu' aucun bilan concernant la Holding et ses filiales n'est produit et, d'autre part, que l'attestation de Z… de l'une des sociétés citées en tant que filiales, fait précisément état du versement des redevances en 2014 et en 2015 à la société appelante à hauteur d'un montant total de 45 109 euros, somme couvrant largement le montant des cotisations appelées au titre du 3ème trimestre 2014 ; Qu'il s'en suit que la société HOLDING S…. ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, que le non paiement des cotisations est la conséquence de la force majeure »

La force majeure apparaît donc très aléatoire, et, contrairement à ce que l’on peut lire ça et là sur internet, il me semble assez maladroit de se placer trop vite et à titre principal ou même exclusivement, sur ce terrain. 

Pour ma part, je réserverai l’exception de  force majeure pour une argumentation subsidiaire, avec des preuves factuelles, des expertises, ou alors pour certaines activités uniquement,  très impactées par l’épidémie en cours, je pense par exemple aux bars, aux restaurants, aux discothèques, avec une trésorerie en difficulté, qui ne peuvent carrément pas ouvrir pendant le confinement.

L’irrésistibilité me parait en ce cas pouvoir être retenue, et encore, il faudra démontrer que les démarches pour un report des charges, pour un prêt de trésorerie , etc. n’ont pas abouti.

Heureusement, d'autres arguments existent et stratégies (Imprévision, révision, renouvellement, résiliation, modifications conventionnelles) peuvent être mises en place, avec l'aide d'un professionnel.