Il était une fois, dans un cabinet parisien un avocat qui reçut une mission singulière.
Un collectif de citoyens, lassés des beaux discours climatiques et des contradictions de l’action publique, lui demanda de « faire quelque chose » contre le régime fiscal et réglementaire scandaleusement favorable au transport aérien. Leur constat était simple : comment prétendre sauver le climat en exonérant presque totalement le kérosène de taxe, en ignorant les effets hors-CO₂, et en limitant le système des quotas carbone aux seuls vols intra-européens ?

L’avocat savait que la bataille serait inégale. Mais il décida d’ouvrir le dossier comme on ouvre une procédure : méthodiquement, avec la froide lucidité du praticien… et une bonne dose de combativité.


acte I – dresser l’acte d’accusation réglementaire

Dans son étude préliminaire, il nota les fondements de ce « régime d’exception » :

  • Directive 2003/96/CE : exonération du carburant aérien international (art. 14 §1 b).

  • Code des douanes français : pas de TICPE sur le kérosène commercial (art. 265 et 265 bis).

  • Code général des impôts : TVA exonérée pour les vols internationaux (art. 262-II).

  • Directive 2008/101/CE et son intégration à l’EU ETS : quotas gratuits jusqu’en 2023, limitation aux vols intra-EEE.

Tout y était : le législateur européen et national avaient bâti un sanctuaire réglementaire autour de l’aviation. L’avocat décida de construire son argumentaire sur l’égalité devant les charges publiques et le principe pollueur-payeur.


acte II – choisir les armes juridiques

  1. La QPC – attaquer devant le Conseil constitutionnel les articles du code des douanes et du CGI, en invoquant la rupture d’égalité devant l’impôt (art. 13 DDHC) et l’objectif de protection de l’environnement.

  2. Le recours pour excès de pouvoir – cibler les décrets de transposition de la directive 2003/96/CE, en soulevant la disproportion manifeste entre les objectifs climatiques affichés et les exemptions maintenues.

  3. La plainte auprès de la Commission européenne – faire valoir que ces exonérations constituent des aides d’État faussant la concurrence avec le rail, contraire aux articles 107 et 108 TFUE.

  4. L’action de groupe environnementale – utiliser l’outil introduit par la loi Climat et résilience pour viser la carence fautive de l’État dans la réduction des émissions du secteur aérien.


acte III – se heurter aux murailles du droit

L’avocat le savait : chaque voie comportait ses limites.

  • Les accords internationaux (Convention de Chicago, OACI) sanctuarisaient l’exonération du kérosène.

  • La marge d’appréciation du législateur en matière fiscale restait large : le Conseil constitutionnel pouvait estimer que l’intérêt économique du secteur justifiait ces régimes.

  • La recevabilité des recours serait un champ de mines : prouver un intérêt à agir direct et certain n’était pas gagné, surtout devant la CJUE.

  • Les contentieux européens prenaient des années, alors que l’urgence climatique se comptait en mois.


acte IV – la stratégie parallèle

Conscient que la bataille judiciaire ne suffirait pas, l’avocat ajouta des cordes à son arc :

  • Multiplier les saisines symboliques (Défenseur des droits, Parlement européen) pour médiatiser l’iniquité du régime.

  • Publier des tribunes fondées sur les constats de Jancovici et les rapports de Carbone 4, afin de nourrir le débat public.

  • S’appuyer sur les contentieux climatiques existants (Grande-Synthe, Affaire du siècle) pour exiger l’intégration du transport aérien dans les budgets carbone.


acte V – plaider dans l’opinion

« Ce que le droit ne peut pas imposer immédiatement, l’opinion peut le rendre inévitable », se dit-il.
Dans sa plaidoirie – réelle ou fictive – il dressa ce constat :

« Tant que l’aviation restera une zone franche climatique, le droit de l'environnement sera une façade décorée pour masquer une politique incohérente. L’égalité devant l’impôt est un principe cardinal. Si le citoyen paie sa taxe carbone en plein hiver pour se chauffer, alors que les jets privés traversent le ciel exonérés de tout, ce n’est plus du droit : c’est du privilège. »

Et, dans un sourire ironique, il ajouta :

« Si la Constitution ne suffit pas à corriger cela, c’est que le problème n’est pas juridique… mais politique. »