Le débat n'est pas nouveau mais il doit persister et être nourri au regard de la jursiporudence actuelle de la Cour de cassation, tant les enjeux sont forts pour les victimes.

 

Seront donc successivement soumises aux débats deux séries d’observations sur la problématique de la rente et de son imputation sur les sommes allouée à la victime et qui peuvent être soumises aux jurdictions du fonds qui vont bien finir par entrer en résistance:

 

  1. A titre principal, sur l’absence de versement préalable d’une prestation indemnisant un préjudice personnel

 

Il résulte des dispositions de l’article L.376-1 du code de la sécurité sociale que :

 

« Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel.

Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice.

ARTICLE L 376-1 CSS

 

Il s’en évince donc que la caisse peut exercer son recours sur un poste de préjudice personnel uniquement au titre d’une prestation préalablement versée à la victime, ce qui, par principe et par nature, n’est pas le cas pour une rente capitalisée pour l’avenir et donc non encore versée.

 

 

Certes la caisse va faire état de l’arrêt notamment rendu par la cour de cassation le 22 octobre 2009 [N°08-18755] qu’il faut donc traiter pour au final observer son champ d'application limité.

 

 

En effet, par cet arrêt, la Cour de Cassation considère que la condition tenant au versement préalable du versement doit être tenue comme remplie MAIS ceci en présence d’une décision d’attribution DEFINITIVE de cette prestation.

 

Citons l’arrêt :

 

« Lorsque la décision d'attribution de la rente d'invalidité prise en application de l'article R. 434-32 du code de la sécurité sociale est définitive, la caisse est tenue sous peine d'astreinte en cas de retard injustifié du versement de cette prestation, de sorte que tant pour les arrérages à échoir que pour les arrérages échus, la condition tenant au versement préalable et effectif de la prestation est remplie »

 

 

Or, il résulte des dispositions de l’article L.341-9 du code de la sécurité sociale que la pension d’invalidité « est toujours attribuée à titre temporaire ».

 

 

C’est d’ailleurs dans ces conditions que la notification d’invalidité adressée par la Caisse à la victime, placée par exemple en invalidité catégorie 1 et bénéficiant à ce titre d'une rente, indique formellement que cette rente est « attribuée à titre temporaire ».

 

 

Cette rente n’est donc pas en l’espèce définitive ; la jurisprudence précitée ne trouve par conséquent pas à s’appliquer et partant il ne peut donc être valablement retenu que la caisse justifie d’un versement préalable d’une prestation, laquelle ne saurait donc venir s’imputer sur un poste de préjudice personnel.

 

 

Il en est d’autant mieux ainsi que non seulement cette rente n’est pas définitive dans son principe mais elle ne l’est pas non plus dans son montant qui peut varier au gré du temps, ce d’autant pour une personne placée en invalidité catégorie 1 c’est-à-dire considérée comme invalide mais encore capable d’exercer une activité rémunérée.

 

En effet, en fonction des circonstances (modification de l’état d’invalidité du bénéficiaire, capacité de gain de l’invalide pensionné devenant supérieure à 50 %, reprise d’une activité professionnelle - voir ci-dessous, etc.), elle peut être diminuée, suspendue ou supprimée.

 

Pendant les 6 premiers mois d’une reprise d’activité professionnelle salariée ou non salariée, il est possible de cumuler intégralement les revenus tirés de cette activité professionnelle et la pension d’invalidité. Au-delà, il ne faut pas percevoir en invalidité plus qu’en activité : si la somme des revenus tirés de l’activité professionnelle reprise et de la pension d’invalidité dépasse le salaire trimestriel moyen perçu au cours de la dernière année civile précédant l’arrêt de travail suivi d’invalidité, le montant de la pension est réduit à concurrence du dépassement constaté au cours du trimestre précédent. Le versement de la pension peut s’en trouver suspendu, mais il sera rétabli dès que le plafond de cumul ne sera plus dépassé.

 

 

Autrement dit la somme versée au titre de la rente peut être diminuée voire être supprimée au gré des évolutions de santé ou professionnelle de la bénéficiaire de sorte que cette rente se révèle être tout sauf définitive, ni dans son principe ni dans son quantum.

 

 

Aussi, imputer une telle rente de manière capitalisée et à échoir pour une rente en réalité temporaire dans son principe et fluctuante dans son quantum conduirait à imputer une somme aléatoire et incertaine au préjudice de la victime et méconnaitrait ainsi le principe de réparation intégrale de ses préjudices.

 

 

Les arrérages à échoir ne sauraient donc venir s’imputer sur un préjudice personnel.

 

 

  1. A titre subsidiaire, sur la limitation de l’imputation aux seuls postes de préjudices patrimoniaux

 

 

Personne n’ignore ici la jurisprudence de la Cour de Cassation mais après tout il participe aussi du rôle des victimes en matière contentieuse que de proposer aux juridictions du fond au gré des particularités des espèces et des évolutions jurisprudentielles des autres ordres de juridictions d’avancer vers une harmonisation des solutions dans un souci salutaire d’égalité entre les victimes et de prévisibilité du droit.

 

 

En effet, le Conseil d’État a eu l’occasion d’affirmer à maintes reprises et de manière très nette et sans ambages la nature purement patrimoniale et professionnelle des rentes versées par la Caisses de sécurité sociale aux victimes d’accidents du travail ou de maladie professionnelle.

 

 

Il considère notamment que l’objet « exclusif » de cette rente est de « contribuer à la réparation du préjudice subi par la victime dans sa vie professionnelle du fait du handicap », c’est-à-dire ses pertes de gans professionnels et l’incidence professionnelle de son incapacité.[1]

 

 

La Haute Juridiction administrative a eu l’occasion de réitérer et de motiver la nature purement professionnelle de cette rente dans un avis rendu le 8 mars 2013, en explicitant les raisons qui tiennent à la finalité de la rente ainsi qu’à son mode de calcul :

 

 

« Eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée par l'article L. 431-1, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini par l'article L. 434-2, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité.


Dès lors, le recours exercé par la caisse au titre d'une rente d'accident du travail ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice. En particulier, une telle rente ne saurait être imputée sur un poste de préjudice personnel ». [2]

 

 

Plus récemment, le Conseil d’État a étendu sa position aux rentes civiles d’invalidité de droit commun, dans un arrêt du 17 avril 2013, dont il résulte expressément que :

 

 

« La pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité ; que, dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une pension d'invalidité ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice ».[3]

 

 

La Cour administrative d’appel de MARSEILLE dans un arrêt très récent du 28 janvier 2021 abonde très exactement dans le même sens :

 

« eu égard à la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui lui est assignée par les dispositions de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale et à son mode de calcul, en fonction du salaire, fixé par l'article R. 341-4 du même code, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de son incapacité. Dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une pension d'invalidité ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice. »[4]

 

 

Plus récemment encore La Cour administrative d’appel de VERSAILLES dans un arrêt du 18 mars 2021 juge que la rente « doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité. Dès lors, le recours subrogatoire exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une rente d'accident du travail ne saurait, pour l'application des règles résultant de l'article 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue du IV de l'article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, s'exercer que sur ces deux postes de préjudice. En particulier, une telle rente ne saurait être imputée sur un poste de préjudice personnel. »[5]

 

 

Force est de constater que cette position se révèle tout à la fois conforme à la lettre de la loi ainsi qu’à l’esprit de la rente : celle-ci est classiquement conçue comme réparant des préjudices économiques, à l’exclusion de tout préjudice personnel.

 

 

Ses conditions d’octroi et modalités de calcul dépendent d’ailleurs des conditions économiques de la victime.

 

 

L’on peine donc à comprendre le raisonnement de la Cour de cassation consistant à accorder aux rentes forfaitaires versées par les Organismes de sécurité sociale, une nature hybride ou mixte, réparant tout à la fois des postes de préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, et permettant ainsi l’imputation de la créance des tiers payeurs sur le déficit fonctionnel permanent[6].

 

 

Cette jurisprudence, qui n’emporte au demeurant pas la conviction de la doctrine, est d’ailleurs tantôt considérée comme « une interprétation contra legem", tantôt comme une « confusion des genres » ou encore une « aberration juridique et humaine » et « régression ».

 

 

Il est en effet constant que : « la position de la Cour de cassation est défavorable aux victimes en ce qu’elle autorise les tiers payeurs à exercer leur recours sur le DFP réduisant d’autant les droits de celles-ci contre le responsable ». [10]

 

 

Il est encore admis que : « établir une concordance immédiate entre ce poste de préjudice [déficit fonctionnel permanent] et les allocations versées par la caisse, comme le fait la deuxième chambre civile de la cour de cassation, a de quoi surprendre. Il est, en effet, difficilement concevable de faire le lien entre ces prestations et, par exemple, « les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence personnelles, familiales et sociales ». En présence d’un écart entre la rente et la perte de gain professionnel, il semble pour le moins raisonnable de faire peser sur la caisse la preuve qu’elle a effectivement pris en charge un tel poste de préjudice. Imputer automatiquement les prestations versées par les caisses sur un poste de préjudice personnel n‘est donc pas convaincant et prive les victimes de leur recours sur ce poste de poste de préjudice alors que la loi le leur avait réservé ».[11]

Maître Vincent RAFFIN, Avocat associé au sein du cabinet BRG Avocats (Nantes-Paris), et responsable du département droit médical et dommages corporels, vous conseille, vous assiste et vous accompagne sur toute la France concernant vos litiges.

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[1] CE 5 mars 2008 n°272447.

[2] CE 8 mars 2013 n°361273.

[3] CE 17 avril 2013 n°346334

[4] CAA MARSEILLE, 28.01.2021, N°19MA01821

[5] CAA VERSAILLES, 18 mars 2021 N°17VE01646

[6] Voir par exemple : Cass. 2ème civ 22 octobre 2009 n°08-18-755

10] Recueil Dalloz 2013 p.2658 Dommage Corporel – M. BACACHE, A. GUEGAN, S. PORCHY-SIMON (précité)

[11] Le recours des tiers payeurs : la Cour de cassation se fait juge et partie. Revue Le Lamy Droit Civil n°79 1er février 2011 – A. DEJEAN DE LA BATIE