Pour obtenir une indemnisation par l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) au titre de la solidarité nationale, la victime d’un accident médical doit remplir (parmi d'autres) la condition légale de l’anormalité du préjudice.
A cet égard, un arrêt rendu le 6 avril 2022 par la Cour de cassation montre que le temps y joue un rôle important (Civ. 1e, 06 avril 2022, n° 21-12825).
I. Rappel des textes
Pour mémoire, le II de l’article L1142-1 du code de la santé publique dispose :
« Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, de la durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire ».
L'interprétation de ce texte était difficile notamment quant à la condition de l’anormalité des préjudices.
Fort heureusement le Conseil d’État a élaboré une jurisprudence utile qui a réduit cette difficulté (CE 5e/4e SSR 12 déc. 2014, n° 355052) :
« Considérant que la condition d’anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l’absence de traitement ; que, lorsque les conséquences de l’acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l’absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ».
La Cour de cassation a suivi l’approche de son homologue de l’ordre administratif par un arrêt rendu le 15 juin 2016 (Civ. 1e, 15 juin 2016, n° 15-16824).
Selon cette approche, pour apprécier la condition de l’anormalité du préjudice, il convient d’abord de rechercher si les conséquences de l’acte médical sont notablement plus graves que celles de l’évolution prévisible de la pathologie de la victime. A défaut, il faut ensuite déterminer si la survenance du dommage présente une probabilité faible (inférieure ou égale à 5% suivant la jurisprudence).
Or, la notion des « conséquences notablement plus graves » peut être difficile à cerner car les troubles de l’évolution prévisible de la pathologie de la victime surviennent souvent des années après les dommages nés de l’accident médical.
Quelle est l’incidence d’un tel décalage sur la qualification des faits ?
Le Conseil d'Etat s'est déjà prononcé sur cette question et la Cour de cassation vient de prendre la même position favorable à la victime d'un accident médical par un arrêt du 6 avril 2022.
II. La position du Conseil d'Etat
En effet, le Conseil d’Etat a répondu à cette question par un arrêt rendu le 13 novembre 2020 mentionné dans les tables du recueil Lebon (CE 5e/6e CR 13 nov. 2020, n° 427750).
Après un acte médical la victime a perdu l’audition de l’oreille droite et présenté des acouphènes ainsi qu’une paralysie faciale avec des troubles oculaires, du goût et de la déglutition.
Ces conséquences sont-elles notablement plus graves que celles auxquelles la victime était exposée de manière suffisamment probable en l’absence de traitement ?
En réponse à cette question, le Conseil d’Etat approuve le second juge qui a indemnisé le préjudice subi :
« En premier lieu, en estimant, ainsi qu’il résulte des termes mêmes de son arrêt, que la radiothérapie pratiquée le 18 octobre 2005 avait, en entraînant de manière immédiate une surdité totale de l’oreille droite, une paralysie de la face ainsi que divers troubles de la sensibilité, du goût, de l’odorat et de la déglutition, compte tenu du jeune âge de M. B..., de son état de santé antérieur et de ce que les neurinomes du type de celui dont il était atteint sont d’évolution lente chez les sujets jeunes, entraîné une survenue prématurée des troubles en question, la cour n’a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis. En en déduisant que, eu égard à cette survenue prématurée, les conséquences de l’intervention devaient être regardées comme notablement plus graves que les troubles auxquels M.B... était exposé de manière suffisamment probable, alors même qu’il aurait été exposé à long terme à des troubles identiques par l’évolution prévisible de sa pathologie et que, par suite, la condition d’anormalité justifiant leur réparation par la solidarité nationale était remplie, la cour a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et n’a pas commis d’erreur de droit ».
Ce faisant la Haute juridiction administrative a décidé que le décalage entre le moment d’apparition des dommages nés de l’accident médical non fautif et celui des troubles de l’évolution prévisible de l’état de santé de la victime, notamment la survenue prématurée des premiers, permet de remplir la condition légale de l’anormalité du préjudice.
Il en va ainsi alors que lesdits dommages et troubles sont du même ordre d’importance (« identiques » selon le Conseil d’Etat).
Dorénavant, dans le cas où les autres conditions du II de l’article L1142-1 du Code de la santé publique seraient remplies, la victime peut être indemnisée par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale pour des dommages subis immédiatement après un accident médical non fautif bien que l’évolution lente de la pathologie donne lieu un jour à des troubles de même importance.
Cet arrêt a retenu l’attention de l’avocat en droit de la santé car il s’agit d’un cas de figure fréquent puisque l’évolution prévisible de l’état de santé de la victime est souvent lente.
III. La Cour de cassation emboîte le pas à son homologue administratif
En raison de l’harmonisation constante de la jurisprudence des deux ordres de juridictions dans le domaine de la responsabilité médicale, on a pu légitimement attendre à un arrêt de la Cour de cassation dans le même sens.
C'est chose faite avec son arrêt du 6 avril 2022 publié au Bulletin (Civ. 1e, 06 avril 2022, n° 21-12825).
Dans cette affaire, la victime d'un accident médical non fautif est devenue hémiplégique à la suite d'une intervention chirurgicale.
Cependant, la cour d'appel a rejeté sa demande d'indemnisation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale puisque la condition d'anormalité du dommage n'aurait pas été remplie, bien que l'intervention médicale et la survenue de l'accident neurologique aient entraîné une accélération du processus d'involution cérébrale et aient été responsables d'une aggravation significative de l'état fonctionnel de la victime plus précocement qu'elle ne serait spontanément survenue en l'absence de tout événement.
La Haute juridiction casse l'arrêt de la cour d'appel et énonce le principe selon lequel :
« Les conséquences de l'acte médical peuvent être notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l'absence de traitement si les troubles présentés, bien qu'identiques à ceux auxquels il était exposé par l'évolution prévisible de sa pathologie, sont survenus prématurément. Dans ce cas, une indemnisation ne peut être due que jusqu'à la date à laquelle les troubles seraient apparus en l'absence de survenance de l'accident médical. »
Par application de ce principe, la Cour de cassation décide :
« Pour mettre hors de cause l'ONIAM et rejeter les demandes d'indemnisation formées à son encontre, après avoir relevé que, selon les experts, l'état de santé de la victime lors de leur examen était la conséquence de l'évolution prévisible de la pathologie qu'elle présentait antérieurement, que l'hospitalisation, l'intervention et la survenue de l'accident neurologique avaient été conjointement responsables d'une accélération du processus d'involution cérébrale liée à la démence vasculaire déjà présente avant les faits, que ces événements conjoints avaient été responsables d'une aggravation significative de son état fonctionnel plus précocement qu'elle ne serait spontanément survenue en l'absence de tout événement et que la détérioration et l'incapacité fonctionnelle qui en étaient résultées avaient été accélérées d'environ trois ans par rapport à ce qu'aurait été l'évolution spontanée de la pathologie, l'arrêt retient qu'en l'absence d'ambiguïté de leurs conclusions sur l'évolution spontanée de la pathologie vasculaire dont souffrait la victime vers l'état de détérioration intellectuelle et de dépendance qui était le sien après l'intervention, la preuve de l'anormalité du dommage n'est pas rapportée.
En se déterminant ainsi, sans prendre en compte le fait que l'intervention avait entraîné de manière prématurée la survenue des troubles auxquels la victime était exposée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale. »
Aussi pour la Cour de cassation dès lors que l'accident médical non fautif accélère l'évolution spontanée de la pathologie, la preuve du caractère anormal du préjudice est-elle rapportée.
En revanche, la Cour de cassation précise que l'indemnisation est limitée jusqu'à la date à laquelle les troubles seraient apparus en l'absence de survenance de l'accident médical.
Cette solution est contraire à celle du Conseil d'Etat qui a décidé dans son arrêt précité que :
« En deuxième lieu, si l’ONIAM soutient, à titre subsidiaire, que la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit en la condamnant à indemniser des troubles au-delà de la date à laquelle ceux-ci auraient, en l’absence d’intervention, naturellement résulté de l’évolution prévisible de la pathologie, il résulte des dispositions rappelées ci-dessus de l’article L1142-1 du Code de la santé publique que celles-ci font obstacle, en l’absence de certitude quant au terme auquel ces troubles seraient apparus en l’absence d’accident, à ce que leur réparation par la solidarité nationale soit limitée jusqu’à une telle échéance ».
Le Conseil d'Etat tient compte de l'incertitude souvent constatée par les experts pour ce qui est du délai d'apparition spontanée d'une pathologie. Cette position pragmatique est favorable à la victime.
De son côté, la Cour de cassation privilégie le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit de la victime. Néanmoins, la solution de la Cour de cassation présuppose que les experts puissent déterminer avec certitude le terme auquel les troubles seraient apparus alors que c'est rarement le cas.
C'est pourquoi le dire écrit de l'avocat adressé aux experts devrait adressé cette incertitude afin que le juge puisse en tenir compte ultérieurement dans sa décision.
En effet, faute de certitude sur ce point, le juge du fond peut légitimement indemniser le préjudice dans sa totalité.
La victime peut prendre contact avec Maître Dimitri PHILOPOULOS aux coordonnées suivantes :
Dimitri PHILOPOULOS - Avocat et Docteur en médecine
22 av. de l'Observatoire - 75014 PARIS
Tél : 01.46.72.37.80
Mél : dimitri.philopoulos@gmail.com
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