Suite aux manifestations organisées par les agriculteurs, le gouvernement a annoncé, le 1er février 2024, la mise en pause du plan « Ecophyto », revendication portée par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. Cette nouvelle a provoqué une incompréhension chez les ONG, les écologistes et les scientifiques.  

 

  1. Qu’est-ce que le plan « Ecophyto » ?

 

            La directive n° 2009/128/CE institue un cadre européen permettant de concilier l’utilisation de produits phytosanitaires avec l’objectif de développement durable, lequel est mentionné à l’article 11 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « Les exigences de la protection de l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l'Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable. » « Ecophyto » est un moyen de réaliser les objectifs définis par la directive puisqu’elle prévoit la mise en place de « plans d’action nationaux visant à fixer des […] mesures, des calendriers et des indicateurs en vue de réduire les risques et les effets de l’utilisation des pesticides sur la santé humaine et l’environnement et à encourager le développement et l’introduction […] de méthodes ou de techniques de substitution » destinées à limiter « la dépendance à l’égard de [leur] utilisation ».

 

Instauré en 2008, il projette une réduction de moitié de l’usage de produits phytosanitaires dans un délai de dix ans. En 2015, face à l’impossibilité d’atteindre ce résultat en 2018, le gouvernement met en place « Ecophyto II ». Celui-ci élabore une stratégie en deux temps : il s’agirait de réduire de 25% leur utilisation d’ici 2020 puis de 25% supplémentaires à l’horizon 2025. En 2018, « Ecophyto II+ » suit la ligne établie par « Ecophyto II » en ajoutant l’objectif de sortie du glyphosate d’ici à la fin de l’année 2020 pour ses usages dits principaux.

 

            Lors du Comité d’orientation stratégique et de suivi d’octobre 2023, le gouvernement a annoncé le plan « Ecophyto 2030 », lequel succédera à « Ecophyto II+ ». Il prévoit la réduction de l’utilisation de produits phytosanitaires de 50% d’ici à 2030 par rapport à la période 2015-2017 ce qui décale de nouveau la réalisation des objectifs dressés par la directive. C’est ce plan qui a été mis en pause par le gouvernement.

 

  1. La suspension du plan « Ecophyto » remise en cause par la décision du tribunal administratif de Paris du 29 juin 2023

 

Cinq associations environnementales ont saisi le tribunal administratif de Paris afin que soit reconnue l’existence d’un préjudice écologique découlant des multiples « carences et insuffisances [de l’Etat] en matière d’évaluation des risques et d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques ainsi que leur préjudice moral» et de l’« enjoindre de prendre toutes les mesures utiles pour mettre un terme à l’usage inapproprié de ces produits ».

Tout d’abord, le tribunal constate l’existence d’un préjudice écologique en se fondant notamment sur les nombreuses études scientifiques, citées par les parties, qui mettent en lumière la pollution importante des cours d’eau et des sols du fait des « substances actives des produits phytosanitaires », la responsabilité de ces derniers dans l’extinction d’espèces d’insectes, de poissons et d’oiseaux et leur dangerosité pour la santé humaine. Ainsi, le tribunal affirme que les manquements de l’Etat ont conduit à une « contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols », à « un déclin de la biodiversité et de la biomasse » et à « une atteinte aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement ».  

 

Afin de reconnaître la responsabilité de l’Etat, les ONG devaient prouver l’existence d’une faute. En l’espèce, le tribunal en relève deux. Dans un premier temps, le tribunal reconnaît que l’Etat a « méconnu les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction de l’usage de produits phytopharmaceutiques ». En effet, un rapport établi par la Cour des comptes en 2019 constate que « l’utilisation des produits [phytopharmaceutiques] mesurée par l’indicateur NODU a […] progressé de 12 % entre 2009 et 2016 ». Le plan « Ecophyto » dressé par le gouvernement et qui prévoit une réduction du recours à ces produits de 50% à l’horizon 2025 ne peut donc être respecté. Cela conduit le tribunal à considérer qu’il y a un lien de causalité direct et certain entre les manquements de l’Etat et le préjudice écologique, d’autant plus qu’il a lui-même affirmé que « la réduction de l’utilisation […] des produits phytopharmaceutiques demeure nécessaire, au regard de l’évolution des connaissances depuis 2008 sur leurs effets sur la santé humaine ».

 

Deuxièmement, plusieurs études scientifiques démontrent que « la présence [de telles] substances de synthèse […] est la principale cause de détérioration de l’état chimique des eaux souterraines ». Et, étant donné que l’Etat ne respecte pas les objectifs qu’il s’est fixés, la contamination de ces eaux par l’utilisation de produits phytosanitaires est amenée à perdurer. Par ailleurs, le tribunal estime que les insuffisances constatées en ce qui concerne les « procédures d’évaluation et d’autorisation [développées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail] » sont constitutives d’une faute sans toutefois retenir le caractère certain du lien de causalité entre le préjudice écologique et celles-ci.

 

En conclusion, le tribunal enjoint à l’Etat de prendre des mesures qui permettraient la réparation du préjudice écologique et la prévention de l’aggravation des dommages « en rétablissant la cohérence du rythme de diminution de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques avec la trajectoire prévue par les plans Ecophyto et de nature à restaurer et protéger les eaux souterraines contre les incidences des produits phytopharmaceutiques ».

 

Ainsi, la suspension du plan « Ecophyto » par le gouvernement pose question à la lumière de ce jugement. En effet, alors que le tribunal administratif de Paris reconnaît que les carences fautives imputables à l’Etat ont mené à une contamination des eaux et des sols précisément parce qu’il a méconnu l’objectif de réduction de l’usage de produits phytopharmaceutiques, ce dernier prend une décision qui, d’une part, met nécessairement en péril la stratégie dessinée par « Ecophyto » et, d’autre part, aboutit à une dégradation encore plus importante des écosystèmes puisqu’elle prolonge l’utilisation de ces substances dangereuses tant pour l’environnement que pour la santé humaine. De plus, le tribunal a précisé que la réparation du préjudice devra s’effectuer au plus tard le 30 juin 2024 : or, il paraît peu probable qu’elle puisse intervenir à cette date puisque la suspension retardera sans aucun doute l’accomplissement des objectifs définis par « Ecophyto ».

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Hélène LELEU

Avocat

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