La responsabilité des collectivités publiques en matière d’évacuation des eaux pluviales s’est progressivement structurée autour de la notion d’ouvrage public. Mais sous cette apparence unifiée se cache une réalité complexe, marquée par la variété des titulaires de compétences (communes, départements, EPCI, syndicats intercommunaux, etc.) et par l’évolution constante du cadre normatif (urbanisation accélérée, obligation de délimiter des zones sensibles pour l’écoulement, etc.).
Le juge administratif a ainsi été amené à préciser régulièrement les conditions dans lesquelles la responsabilité d’une collectivité peut être engagée, qu’il s’agisse d’un défaut d’entretien, d’un sous-dimensionnement du réseau ou d’un mauvais fonctionnement de l’ouvrage. Se pose également la question de savoir qui assumerait cette responsabilité dès lors que les règles de répartition des compétences ont été modifiées, notamment lorsqu’une commune transfère sa compétence « assainissement » ou « voirie » à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI).

Dans ce contexte, il convient de s’interroger non seulement sur les fondements juridiques de cette responsabilité et ses conditions d’engagement, mais également sur les précautions à prendre tant du côté de la victime que de la collectivité afin d’éviter un contentieux voué à l’échec.


I. Les fondements juridiques de la responsabilité en matière de réseau pluvial

A. Une responsabilité de droit public attachée à l’ouvrage public

La jurisprudence considère de longue date qu’un réseau d’évacuation des eaux pluviales est un ouvrage public. En conséquence, le juge applique la responsabilité administrative pour dommage de travaux publics.

  • Commune : Le Conseil d’État juge qu’une commune est en principe responsable du fonctionnement du réseau communal d’eaux pluviales et de la surveillance de toutes ses sections (CE, 10 avr. 1974, Ville de Cannes).
  • Département, État ou autres entités : Si l’ouvrage relève de la compétence du département (CAA Lyon, 19 avr. 1994) ou de l’État (CAA Lyon, 22 déc. 1998), leur responsabilité peut être engagée au même titre. Un territoire d’outre-mer peut également être déclaré responsable (CAA Paris, 22 févr. 2000).

B. Le partage des responsabilités en cas de délégation ou d’affermage

  • Affermage (délégation partielle du service public) : La responsabilité pour l’existence, la nature et le dimensionnement de l’ouvrage demeure celle de la collectivité délégante. En revanche, les dommages causés par le fonctionnement courant de l’ouvrage relèvent de la responsabilité du délégataire (CE, 26 nov. 2007, MAC Communauté urbaine de Brest).
  • Concession (délégation totale) : Le concessionnaire peut être l’unique responsable à l’égard des tiers, sauf insolvabilité de sa part.

C. L’obligation d’adapter et d’entretenir : faute ou sans faute

  1. Responsabilité pour faute

    • Elle est caractérisée par un défaut d’entretien, de surveillance ou d’adaptation (CAA Nantes, 8 nov. 2019, n° 17NT03940).
    • Le sous-dimensionnement d’un réseau au regard de l’urbanisation constitue également une faute (CE, 3 avr. 1987, n° 62.185).
  2. Responsabilité sans faute

    • Elle peut être retenue dès lors que le dommage résulte d’un fonctionnement normal de l’ouvrage mais excède les inconvénients normaux du voisinage (CAA Marseille, 20 juin 2001, n° 97MA10480).

Les principes dégagés par la jurisprudence doivent à présent être confrontés aux conditions concrètespermettant d’engager la responsabilité de la collectivité. Dans cette perspective, la preuve du lien de causalité, l’identification du maître de l’ouvrage et la caractérisation du préjudice anormal ou de la faute se révèlent essentiels pour fonder une action en responsabilité.


II. Conditions d’engagement de la responsabilité

A. Démontrer le lien de causalité et la compétence de la collectivité

Pour engager la responsabilité d’une personne publique au titre de l’ouvrage, la victime doit prouver :

  1. Que la collectivité attaquée est propriétaire ou gestionnaire de l’ouvrage : si la commune nie être compétente, il revient au demandeur de prouver le contraire (CAA Versailles, 8 juin 2006, n° 03VE01982).
  2. Un fait générateur : défaut d’entretien, obstruction des canalisations, sous-dimensionnement, débordement, etc.
  3. Le lien de causalité : le dommage doit être imputable au dysfonctionnement ou à l’existence même de l’ouvrage.

B. Le caractère anormal du préjudice ou la faute avérée

  • En cas de faute (défaut d’entretien caractérisé, retard à agir, etc.), la responsabilité de la personne publique est engagée même si le préjudice n’a pas un caractère anormal.
  • Sans faute (dommage permanent de travaux publics), le juge se fonde sur l’anormalité du trouble par rapport aux désagréments habituels que doivent supporter les riverains.

C. Les exonérations et limites

  • Force majeure : une pluie d’une exceptionnelle intensité et imprévisible peut justifier une exonération partielle ou totale, encore faut-il en prouver toutes les caractéristiques (TA Melun, 7 janv. 2010, n° 0602851/6).
  • Configuration naturelle : si le dommage découle d’un simple écoulement naturel sans interaction avec l’ouvrage public, la collectivité peut être exonérée.

Au-delà de ces mécanismes généraux, la question essentielle demeure : qui doit répondre des dysfonctionnements lorsque les compétences ont été transférées d’une collectivité à une autre ? Le juge administratif a développé une solution clarifiant la responsabilité en cas de transferts successifs de la compétence en matière d’eaux pluviales.


III. L’impact du transfert de compétence sur la détermination du responsable

A. Principe : « transfert de compétence = transfert de responsabilité »

Lorsque la commune transfère sa compétence en matière de voirie ou d’assainissement (eaux pluviales) à une structure intercommunale (communauté de communes, communauté urbaine, syndicat, etc.), les droits et obligations afférents à cette compétence sont transmis au nouvel établissement. En conséquence, celui-ci endosse la responsabilité pour tous les litiges intervenus après la date du transfert.

  • CAA Nancy, 9 avr. 2019, n° 17NC02440 : Une commune n’est plus responsable pour des travaux réalisés après le transfert de compétence « assainissement » à la communauté de communes.
  • CE, 6 avr. 1979, Sté La plage de la forêt, n° 98510 : Confirmation ancienne de ce principe par le Conseil d’État.

B. Litiges relatifs à des faits antérieurs au transfert

Fait notable : même si les faits générateurs (ou certains d’entre eux) sont antérieurs au transfert, la compétence contentieuse se déplace au profit de l’EPCI si le dommage se révèle postérieurement.

  • CE, 4 déc. 2013, Cté urbaine de Marseille Provence Métropole, n° 349614 : La communauté urbaine est tenue de répondre des dommages subis du fait du mauvais fonctionnement du réseau pluvial, quand bien même le dommage serait apparu lorsque la commune de Marseille était encore compétente.
  • CE, 23 oct. 2013, Dpt du Var, n° 351610 : Confirmation de la solution selon laquelle le nouvel établissement public ne peut appeler l’ancienne collectivité en garantie.

C. Illustration en matière de voirie communautaire

  • CAA Lyon, 18 juill. 2019, n° 17LY02770 : La communauté de communes, après transfert de la compétence « voirie d’intérêt communautaire », est responsable des dommages de travaux publics résultant de ces voies, y compris lorsque tout ou partie des faits sont antérieurs au transfert.

Cette précision sur la responsabilité post-transfert souligne la nécessité, pour chaque partie au litige, d’agir avec méthode et prudence. Dans la pratique, tant le demandeur que la collectivité ou l’EPCI peuvent commettre des erreurs procédurales ou de fond qui compromettent leurs intérêts. Il convient donc d’examiner les principaux écueils à éviter en contentieux.


IV. Les erreurs à ne pas commettre en contentieux

A. Du point de vue de la victime (demandeur)

  1. Négliger la preuve du lien de causalité : il est indispensable de prouver que le dysfonctionnement du réseau (débordement, sous-dimensionnement, obstruction…) a aggravé ou causé directement le dommage (CAA Lyon, 27 avr. 2004, n° 00LY00201).
  2. Mal identifier le responsable : avec les transferts de compétence, il faut d’abord vérifier si la compétence (et donc la responsabilité) a été transférée à un EPCI, un syndicat intercommunal, etc.
  3. Oublier de démontrer l’anormalité du dommage (en l’absence de faute) : le simple fait de subir des désagréments lors d’épisodes pluvieux n’est pas nécessairement indemnisable si l’on ne prouve pas que l’inondation excède les inconvénients normaux de voisinage.

B. Du point de vue de la collectivité (défenderesse)

  1. Sous-estimer l’obligation d’entretien et de surveillance : l’obstruction d’une grille pluviale, un manque de réparation, un retard dans les interventions sont constitutifs d’une faute (CAA Nantes, 8 nov. 2019).
  2. Ignorer la nécessité d’adapter le réseau à l’urbanisation : l’insuffisance de capacité face à la densification urbaine peut engager la responsabilité, à défaut de travaux d’anticipation (CAA Bordeaux, 13 nov. 1995, n° 94BX01246).
  3. Faire fi des pouvoirs de police : le maire ou le préfet qui s’abstient d’intervenir dans le cadre de sa police (salubrité publique, installations classées) encourt une responsabilité pour carence (TA Rennes, 9 avr. 2015).
  4. Croire qu’un transfert partiel de compétence exonère entièrement : en cas d’affermage, la personne publique reste responsable pour les questions de dimensionnement ou de conception. De même, en cas de transfert complet à un EPCI, c’est ce dernier qui devient seul interlocuteur en matière de responsabilité.

Conclusion : une responsabilité exigeante, modulée par la notion de compétence transférée

La jurisprudence administrative illustre la vigilance accrue du juge quant aux obligations incombant aux collectivités pour assurer un fonctionnement satisfaisant du réseau d’évacuation des eaux pluviales. Chaque personne publique, qu’il s’agisse de la commune, du département, de l’État ou d’un EPCI, est ainsi tenue de veiller à :

  • un entretien régulier de ses installations,
  • un dimensionnement adapté aux réalités urbanistiques,
  • une surveillance du réseau pour prévenir les dommages,
  • une action rapide en cas de risques identifiés ou de manquements constatés.

Toutefois, l’identification du débiteur de l’obligation de réparation peut s’avérer délicate en présence de transferts de compétence. La solution retenue par le Conseil d’État et les juridictions d’appel est désormais claire : la responsabilité suit la compétence, quelle que soit la période à laquelle les faits ont eu lieu ou que les dommages se soient manifestés avant ou après le transfert.

Dans les contentieux à venir, deux impératifs s’imposent :

  • Pour la victime : bien choisir la collectivité à attaquer et prouver, de manière rigoureuse, le lien entre le dommage et l’ouvrage public.
  • Pour la collectivité : anticiper les risques et tenir compte des réformes de répartition des compétences afin d’éviter toute confusion sur le responsable effectif.

La sécurité juridique passe ainsi par une articulation claire de la gestion du réseau d’eaux pluviales et une répartition limpide des responsabilités entre collectivités et EPCI.