Des nouvelles de l’action subsidiaire du maître d’ouvrage public contre le sous-traitant, à propos de l’arrêt du Conseil d’Etat du 30 décembre 2024 n° 491818, mentionné aux tables.
Particularité propre au droit public de la construction, c’est en 2015 avec l’arrêt Commune de BIHOREL que le Conseil d’Etat, tirant les conséquences de la décision du tribunal des Conflits rappelant que « le litige né de l’exécution d’un marché de travaux publics et opposant des participants à l’exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, quel que soit le fondement juridique de l’action engagée, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé » (Tribunal des Conflits, 2 juin 2008, n° 08-03621, publié au Bulletin), admit la compétence de la juridiction administrative pour statuer sur l’action extra contractuelle du maître d’ouvrage public contre un sous-traitant.
« Considérant qu'il appartient, en principe, au maître d'ouvrage qui entend obtenir la réparation des conséquences dommageables d'un vice imputable à la conception ou à l'exécution d'un ouvrage de diriger son action contre le ou les constructeurs avec lesquels il a conclu un contrat de louage d'ouvrage ; qu'il lui est toutefois loisible, dans le cas où la responsabilité du ou des cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée, de mettre en cause, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec lesquels il n'a pas conclu de contrat de louage d'ouvrage, mais qui sont intervenus sur le fondement d'un contrat conclu avec l'un des constructeurs ; que s'il peut, à ce titre, invoquer, notamment, la violation des règles de l'art ou la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires, il ne saurait, toutefois, se prévaloir de fautes résultant de la seule inexécution, par les personnes intéressées, de leurs propres obligations contractuelles ; qu'en outre, alors même qu'il entend se placer sur le terrain quasi délictuel, le maître d'ouvrage ne saurait rechercher la responsabilité de participants à l'opération de construction pour des désordres apparus après la réception de l'ouvrage et qui ne sont pas de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination » - Conseil d’Etat, 7 décembre 2015, n° 380419, publié au Bulletin.
L’action est cependant subsidiaire et restreinte :
- Subsidiaire car elle ne peut être exercée que lorsque la responsabilité de l’entreprise principale « ne pourrait pas être utilement recherchée ».
- Restreinte puisque le maître d’ouvrage public ne peut pas se prévaloir de toutes fautes commises par le sous-traitant dans ses rapports avec l’entreprise principale. Sans doute une manière de rendre écho à la jurisprudence ancienne de la Cour de cassation rappelant que le maître d’ouvrage ne peut pas se contenter d’établir un manquement du sous-traitant à son obligation de résultat dans ses rapports avec l’entreprise principale pour prouver la faute extra contractuelle (Cass., 3ème civ., 28 mars 1990, n° 88-15197). Et, il ne peut agir contre le sous-traitant qu’en vue d’obtenir réparation d’un désordre de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination ou qui porterait atteinte à sa solidité. Une manière à nouveau de rappeler qu’en matière de droit public de la construction, la réception met fin aux rapports contractuels pour ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage de sorte qu’en l’absence de toutes réserves au PV de réception, il n’y a pas matière à responsabilité contractuelle pour faute.
La responsabilité des constructeurs post réception en droit public est donc, par principe, une responsabilité décennale. Le fondement contractuel n’est ouvert qu’en présence de réserves au PV de réception et à la condition encore qu’un DGD ne soit pas intervenu sans réserve, chiffrée ou non (Conseil d’Etat, 28 mars 2022, n° 450477, mentionné aux tables, précisant l’arrêt Icade promotion Conseil d’Etat, 6 mai 2019, n° 420765).
Récemment le Conseil d’Etat a précisé le régime de la subsidiarité de son l’action extra contractuelle dirigée contre le sous-traitant : elle ne pas être engagée lorsque le maître d’ouvrage a laissé prescrire son action principale.
« En second lieu, il appartient, en principe, au maître d'ouvrage qui entend obtenir la réparation des conséquences dommageables d'un vice imputable à la conception ou à l'exécution d'un ouvrage de diriger son action contre le ou les constructeurs avec lesquels il a conclu un contrat de louage d'ouvrage. Il lui est toutefois loisible, dans le cas où la responsabilité du ou des cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée, de mettre en cause, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec lesquels il n'a pas conclu de contrat de louage d'ouvrage, mais qui sont intervenus sur le fondement d'un contrat conclu avec l'un des constructeurs. Le maître d'ouvrage ne saurait cependant rechercher cette dernière responsabilité lorsqu'il a laissé prescrire l'action en responsabilité contractuelle qu'il pouvait exercer contre son ou ses cocontractants » - Conseil d’Etat du 30 décembre 2024 n° 491818, mentionné aux tables
Action subsidiaire donc, mais dépendante de l’action principale.
La logique est la suivante : il n’est pas question d’ouvrir l’action subsidiaire contre le sous-traitant lorsque l’action principale n’est plus permise par la négligence du maître d’ouvrage. C’est l’esprit de l’arrêt Commune de Bihorel.
Alors qu’en est-il en matière de procédure collective de l’entreprise principale, lorsque le maître d’ouvrage n’a pas déclaré sa créance ?
L’on sait qu’à compter de la publication de l’ouverture de la procédure collective, le créancier dispose d’un délai de deux mois pour déclarer sa créance (article R. 622-22 du code de commerce pris en application de l’article L. 622-24 du code de commerce). Il lui est encore possible de demander à être relevé de forclusion dans les six mois pour ensuite être autorisé à faire valoir sa créance s’il justifie que sa défaillance n’est pas de son fait ou résulte de l’omission du débiteur lors de l’établissement de la liste des créanciers (article L. 622-26 du code de commerce). Ainsi, la négligence du maître d’ouvrage public à déclarer sa créance peut-elle le priver de l’action subsidiaire contre le sous-traitant ?
Sur ce point, le tribunal administratif de Grenoble a admis la possibilité d’actionner le sous-traitant dès lors que le maître d’ouvrage public justifie seulement de la mise en liquidation de l’entreprise principale, sans rechercher s’il avait déclaré sa créance (Tribunal administratif de Grenoble, 13 février 2024, n° 210859).
A front renversé, en l’absence de justification par le maître d’ouvrage de la clôture des opérations de liquidation de l’entreprise principale alors qu’elle fait l’objet d’une liquidation judiciaire, il ne peut pas utilement rechercher la responsabilité du sous-traitant (Cour administrative d’appel de Douai, 2 octobre 2024, n° 23DA00811). Façon habile de renvoyer le maître d’ouvrage à son obligation d’épuiser d’abord ses recours dans le cadre de la fixation de sa créance au passif de la procédure collective, ce qui n’avait pas été fait en l’espèce ; l’entrepreneur principal n’étant pas non plus à la cause.
L’examen des décisions de première instance laisse apparaître des solutions parfois curieuses dans lesquelles la négligence du maître d’ouvrage lui ouvre l’action subsidiaire, en particulier pour l’hypothèse où l’action principale n’est plus possible en présence de réserves à la réception suivies d’un DGD sans réserve (Tribunal administratif de Montpellier, 27 juin 2024, n° 2300885). Contra : la réception sans réserve qui purge les actions au titre des désordres apparents prive logiquement le maître de l’ouvrage de la possibilité de rechercher utilement à titre subsidiaire la responsabilité du sous-traitant pour ces mêmes désordres (Tribunal administratif de Nice, 23 avril 2024, n° 2104091).
Le bref examen des décisions rendues n’apporte pas de réponse tranchée.
Un message de rappel à l’attention des maîtres d’ouvrages publics : attention au DGD et n’oubliez pas de déclarer vos créances.
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