La procédure d’expropriation peut toucher tout type de bien, notamment des parcelles bâties ou des terrains nus.

Concernant les terrains nus, situés en périphérie de ville, le principal enjeu leur qualification en « terrain à bâtir », laquelle répond à des critères spécifiques fixés par le code de l’expropriation.

 

  1. La qualification juridique des terrains à bâtir :

Pour bénéficier d’une qualification de terrain à bâtir, le bien exproprié doit répondre au double critère de desserte et de constructibilité, à un instant précis appelé « date de référence ».

 

L’article L. 322-3 Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique dispose à cet effet :

« La qualification de terrains à bâtir, au sens du présent code, est réservée aux terrains qui, un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L. 1 ou, dans le cas prévu à l'article L. 122-4, un an avant la déclaration d'utilité publique, sont, quelle que soit leur utilisation, à la fois :

1° Situés dans un secteur désigné comme constructible par un plan d'occupation des sols, un plan local d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, ou bien, en l'absence d'un tel document, situés dans une partie actuellement urbanisée d'une commune ;

2° Effectivement desservis par une voie d'accès, un réseau électrique, un réseau d'eau potable et, dans la mesure où les règles relatives à l'urbanisme et à la santé publique l'exigent pour construire sur ces terrains, un réseau d'assainissement, à condition que ces divers réseaux soient situés à proximité immédiate des terrains en cause et soient de dimensions adaptées à la capacité de construction de ces terrains. Lorsqu'il s'agit de terrains situés dans une zone désignée par un plan d'occupation des sols, un plan local d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, comme devant faire l'objet d'une opération d'aménagement d'ensemble, la dimension de ces réseaux est appréciée au regard de l'ensemble de la zone.

Les terrains qui, à la date de référence indiquée au premier alinéa, ne répondent pas à ces conditions sont évalués en fonction de leur seul usage effectif, conformément à l'article L. 322-2. »

Tout est dit…il faut à présent l’expliquer.

 

1.1. Le critère règlementaire de constructibilité :

Tout d’abord, le terrain à bâtir doit être constructible en droit de l’urbanisme.

Pour recevoir une telle qualification, deux situations peuvent se présenter : 

  • Soit la zone est désignée comme étant constructible par un document local d’urbanisme (PLU, carte communale …) ;
  • Soit, en l’absence de document local d’urbanisme, pour les communes soumises au Règlement National d’Urbanisme (R.N.U.), le terrain doit être situé dans « une partie urbanisée » (article L. 111-3 du code de l’urbanisme) ;

Les terrains classés en zone urbaine (U), ou à urbaniser (AU) remplissent ce premier critère.

 

1.2. Le critère de desserte par les réseaux :

1.2.1-

Ensuite, la parcelle doit être à proximité immédiate, de l’ensemble des réseaux visés par le code de l’expropriation.

Par exemple, certaines décisions estiment qu’au-delà d’une distance de 30 mètres, les réseaux ne sont plus à proximité immédiate (en ce sens, Cour d'appel, Angers, 4 Juin 2019, n° 18/00003).

La parcelle doit disposer d’une voie d’accès, d’un réseau d’eau potable, d’un réseau électrique et, dans la mesure où les règles relatives à l’urbanisme et à la santé publique l’exigent pour construire sur ces terrains, d’un réseau d’assainissement.

La nécessité de disposer de l’ensemble de réseaux implique que l’absence d’un seul d’être eux empêchera la qualification de terrain à bâtir.

 

1.2.2-

De plus, l’article L. 322-3 du code de l’expropriation précise s’agissant des réseaux que :

« Lorsqu'il s'agit de terrains situés dans une zone désignée par un plan d'occupation des sols, un plan local d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, comme devant faire l'objet d'une opération d'aménagement d'ensemble, la dimension de ces réseaux est appréciée au regard de l'ensemble de la zone. »

Cela signifie que la présence de réseaux permettant la desserte de la seule parcelle n’est pas suffisante dans un secteur devant faire l’objet d’un aménagement global. Dans ce cas, il faut que les réseaux soient suffisamment importants pour desservir « l’ensemble de la zone » (par ex. cf. Cour de Cassation, 3è civ., 4 avril 2019, n°18-10.989, publiée au bulletin).

Or, la charge de la preuve de la présence et de la suffisance desdits réseaux pèse sur l’exproprié (en ce sens, Cour d’appel de Rennes, 15 nov. 2019, n° 18/08271 ; Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5 mai 2022, n° 20/00064).

 

1.2.3-

De surcroit, le propriétaire doit pouvoir s’y raccorder par de simples branchements directs.

Il en est de même s’agissant d’un terrain situé à proximité d’un réseau haute tension : la nécessité d’installer un poste transformateur pour créer un réseau électrique basse tension fait obstacle à la qualification de terrain à bâtir (cf. Cour de Cassation, 3e civ., 29 mai 1979, n° 78-70.166, Bull. civ. III, N. 119.)

 

 

1.3.  L’importance de la date de référence :

Afin de bénéficier de la qualification de terrain à bâtir, les terrains doivent donc répondre au double critère de constructibilité (règlementaire et matériel) ci-dessus énoncé à « la date de référence », laquelle est fixée selon les cas :

  • Soit, un an avant l’ouverture de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique (art. L.1, C. expr.) ;

 

  • Soit, un an avant, la déclaration d’utilité publique (dans le cas prévu à l’article L122-4, C. expr.) 

 

  • Soit encore, si le bien est situé dans une zone soumise au droit de préemption urbain, à la date de l’opposabilité de la dernière approbation, modification ou révision du document d’urbanisme impactant la zone où se trouve la parcelle expropriée (articles L 213-4 et L 213-6 du code de l’urbanisme).

Si le juge ne détermine pas la date de référence, sa décision est illégale (en ce sens, Cour de Cassation. 3e civ., 19 juin 1996, n°95-70.162).

 

Si les parcelles ne répondent pas aux conditions précitées, si elles ne sont pas qualifiables de terrains à bâtir, elles sont évaluées en fonction de leur seul usage effectif (terrain agricole, terrain naturel, jardin, verger etc.).

 

2. L’indemnisation :

Dans le cadre de la procédure d’expropriation, les indemnités allouées doivent couvrir l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation (article L. 321-1 C. expr.). L’indemnité d’expropriation doit permettre à l’exproprié de se replacer en même et semblable état.

La détermination de l’indemnité se fait en fonction de la consistance (éléments physique et matériel ainsi que la situation juridique) du bien exproprié à la date de l’ordonnance portant transfert de propriété.

Ainsi, le terrain ne pourra être apprécié en considération de sa vocation future (Cass. 3e civ., 28 mai 2013, n°11-28.895).

 

3. L’évaluation des terrains à bâtir :

3.1-

La valeur d’un terrain à bâtir dépend de nombreux facteurs d’ordre physique (largeur, profondeur, relief du terrain etc.), d’ordre juridique (règlement national d’urbanisme, plan local d’urbanisme, emplacements réservés, ZAC etc.) ou d’ordre socio-économique (Michel Huyghe, Isidro Perez Mas, Brigitte Perez, Traité de l’évaluation des biens, 13e ed., Le Moniteur – Référence juridique.)

En outre, en application de l’article L. 322-4 du code de l’expropriation, l’évaluation des terrains à bâtir porte sur :

  • Les possibilités légales et effectives de construction existant à la date de référence ;
  • La capacité des équipements ;
  • Les servitudes affectant l’utilisation des sols ;
  • Les servitudes d’utilité publique (ainsi que des restrictions administratives au droit de construire).

Il convient de noter sur ce dernier point que seules les servitudes et restrictions administratives à caractère permanent doivent être prises en compte dans l’évaluation des terrains à bâtir (en ce sens, Cour de Cassation, 3e civ., 28 septembre 2023, n°22-21.012, publié au bulletin).

 

3.2-

Il existe plusieurs méthodes d’évaluation des terrains à bâtir, sans prétendre à l’exhaustivité nous citerons :

  • La méthode par comparaison ;
  • Méthode du compte à rebours immobilier ;

 

3.2.1-

La méthode par comparaison est généralement privilégiée par le juge.

Elle consiste à évaluer les biens concernés en les comparant avec les termes de référence constitués par des mutations de biens de même nature (en ce sens, Cour d’Appel de Nancy, 6 avril 2009, n°08/00010).

A titre d’exemple, l’évaluation au prix moyen du mètre carré est une méthode de comparaison directe avec un bien de consistance juridique et matérielle absolument comparable à celle du terrain à estimer.

Seuls des jugements définitifs, ou encore des actes de ventes pourront servir de termes de comparaison à l’exclusions des promesses ou compromis (en ce sens, Cour d’appel de Rennes, 16 décembre 2016, n°15/03631).

L’exproprié, comme l’expropriant, veillera bien à produire les titres de propriété dont il se prévaut. A défaut, la référence sera écartée (par exemple, Cour d’appel de Paris, 14 avril 2016, n°14/21248).

 

3.2.2-

La méthode du compte à rebours immobilier, est généralement écartée par le juge. 

En effet, elle n’est retenue par le juge d’expropriation, que faute d’éléments de comparaison pertinents.

Elle consiste à déterminer le prix du bien concerné compte tenu du projet envisagé.

Le prix fixé par cette méthode tient compte des recettes prévisionnelles attendues auxquelles sont soustraites les dépenses prévisibles.

Cette méthode est parfois considérée comme contraire aux principes de l’expropriation, car elle prend en compte une utilisation hypothétique de l’aménagement à effectuer (soit l’utilisation future du terrain à bâtir) et non l’usage effectif ou les possibilités légales et effective de construction à la date de référence. Néanmoins, dans la recherche de l’indemnisation de l’entier préjudice, cette méthode peut s’avérer tout à fait pertinente lorsque la constructibilité est avérée, notamment lorsque la constructibilité du secteur est avérée par la délivrance d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble de la zone.

 

Pour plus de précisions, vous pouvez nous contacter à : cabinet Ronan Blanquet, 6, rue Micheline Ostermeyer, 35000 Rennes. Tél. : 02.22.66.97.87. / contact@cabinet-blanquet.fr

 

Mirella RAKOTOVAO

Juriste

 

Ronan BLANQUET

Avocat

 

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