Du fait de l'émergence et du développement des sociétés agricoles aux fins d'exploitation (GAEC, EARL, SCEA, voire société commerciale à objet agricole), la question s'est rapidement posée du devenir des terres louées par bail rural à l'occasion de l'entrée d'un exploitant preneur à bail dans une telle société.

Et elle s'est d'abord posée à l'occasion de l'institution des Groupements Agricoles d'Exploitation en Commun (GAEC), qui ont pour finalité de regrouper deux (ou plus) exploitations agricoles existantes (lesquelles mettent bien souvent en valeur des terres louées).

Que deviennent les baux détenus par les nouveaux membres du Groupement ?

Faut-il envisager une cession du bail au profit de la société ou une autre formule qui permettrait, en cas de mésentente, à chaque associé de retrouver l'entière jouissance des parcelles dont il était initialement le fermier ?

La première solution aurait pour effet de rendre la société seule titulaire du bail et, en conséquence, d'interdire la reprise des terres louées par le preneur initial en cas de retrait, d'exclusion ou de dissolution. Ce qui aurait constitué un frein à l'essor de cette forme sociétaire. En outre, une telle opération aurait nécessité l'accord du bailleur (sans recours judiciaire possible) ainsi qu'en dispose l'article L 411-38 du Code rural et de la pêche maritime. Accord qui aurait été, sans doute, difficile à obtenir.

C'est donc une formule originale qui a été retenue par la loi du 8 août 1962, à savoir la mise à disposition de terres louées.

L'article L 323-14 du CRPM prévoit que le preneur à ferme peut "faire exploiter" par le GAEC les biens dont il est locataire. Le texte ajoute rapidement que le preneur reste seul titulaire du bail. De sorte que le preneur est assuré de retrouver la seule jouissance des parcelles quoiqu'il arrive.

Une telle convention, distincte du bail, permet ainsi la mise en valeur commune des parcelles à la fois par le preneur, associé du  groupement, et les autres membres. Une sorte de coexploitation des biens objet du bail.

De plus, le formalisme est simplifié : le bailleur doit être informé par le preneur, mais son accord n'est pas requis. Les oublis du preneur sont traités avec bienveillance dès lors que l'omission de cette formalité n'est pas sanctionnée par la résiliation du bail.

Le texte n'impose pas que la convention qui se noue entre l'associé-preneur et la société soit écrite. Une convention verbale reste valable, même si elle entretient l'ambiguïté (qui est le preneur : l'ancien titulaire ou la société ?) et si elle est source de difficultés, notamment en cas de constructions ou d'améliorations apportées par la société sur les parcelles en cause.

Une convention écrite aura le mérite de clarifier la situation et d'organiser les relations entre l'associé-preneur et la société.

Le texte poursuit en soulignant le fait que les droits du bailleur ne sont pas modifiés (en droit le bailleur ne connait pas le GAEC et le GAEC ne connait pas le bailleur). Les droits de ce bailleur sont même améliorés puisque le groupement est solidairement tenu de l'exécution des clauses du bail. En particulier du paiement du fermage pour lequel le GAEC se voit attribuer, par la loi, la qualité de caution.

Initialement réservée aux GAEC, cette faculté de "mettre à disposition" les terres louées a été étendue aux autres formes sociétaires par la loi n° 79-1115 du 22 décembre 1979, pour être codifiée à l'article L 411-37 du CRPM.

L'idée est la même : le preneur reste le seul titulaire du bail et le bailleur ne voit pas ses droits modifiés. Les terres sont co-travaillées avec les autres membres-exploitants de la société. Là encore, le preneur doit en informer le bailleur. S'il y eut un temps où l'omission de cette formalité était un motif péremptoire de résiliation du bail, cette sanction n'est maintenant encourue qu'après mise en demeure par le bailleur de communiquer les informations requises par loi. Et encore l'action en résiliation ne peut intervenir qu'un an après la réception de cette mise en demeure; de quoi laisser un temps suffisant au preneur pour qu'il puisse régulariser.

Là encore, la loi instaure une solidarité de la part de la société quant à la bonne exécution des clauses du bail.

Plus surprenant, le texte stipule que les "coassociés du preneur" sont (également) tenus indéfinimement et solidairement de l'exécution des clauses du bail.

C'est ainsi qu'un associé-non-exploitant d'une EARL (au sein de laquelle se trouve un associé-exploitant qui a mis à la disposition de la société des parcelles pour lesquelles il est titulaire d'un bail rural) pourra être "actionné" par le bailleur pour devoir régler des fermages impayés.

On peut se poser la question de la constitutionnalité de cet engagement solidaire imposé par la loi aux associés (autres que l’associé-preneur), et ce à deux titres.

En premier lieu, l'article 1836 alinéa 2 dispose que les engagements d'un associé ne peuvent être augmentés sans le consentement de celui-ci.

Ensuite, au regard du droit de propriété "dont nul ne peut être privé si ce n’est lorsque la nécessité publique l’exige et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».  En l'espèce, cette disposition ne répond pas, à l'évidence, à l'exigence de "necessité publique".