Un jugement récent du tribunal judiciaire de Paris (TJ Paris, 28 janvier 2025, 23/00883) soulève la question de l’adhésion à un pacte Dutreil en cours.
Bien que relatif au dispositif du Dutreil-ISF, ce jugement confirme les interrogations et difficultés de l’adhésion à un pacte Dutreil-transmission.
1. Affaire
a. Rappel des faits
M. [Y] et son épouse étaient soumis à l'ISF. Au titre des années 2014, 2015 et 2016, ils ont appliqué l'exonération de 75% prévue à l'article 885 I bis du code général des impôts sur une fraction de la valeur des titres de la société [R] qu'ils détenaient (dispositif dit « Dutreil ISF »).
Le 8 septembre 2005, un engagement collectif de conservation des actions de la société [S] dit « Dutreil ISF » a été conclu en application de l'article 885 I bis du code général des impôts par les enfants [Y], engagement enregistré le 4 octobre 2005.
L’engagement collectif de conservation portait sur plus de 34 % des titres de la société [S] comme l’exigeait le texte.
Le 26 juin 2010, une donation-partage des titres de la société [S] a été réalisée au profit des enfants [Y], renforçant ainsi leur participation dans la société [S].
Cet acte intégrait un pacte « Dutreil transmission », par une clause prévoyant la mise en place d'un engagement de détention fondé sur l'article 787 B du code général des impôts (exonération de droits de mutation à titre gratuit) valant pour l'application de l'article 885 I bis du code général des impôts (abattement de 75% de la valeur des actions pour le calcul de l'ISF).
Le 14 octobre 2011, suite à des opérations d’apport de titres de la société [S] au profit de la société [R], les donataires (les enfants [Y]) ont admis l'adhésion de la société [R] à l'engagement collectif de conservation souscrit le 8 septembre 2005.
Il apparaît que ladite adhésion n’a fait l’objet d’aucun enregistrement auprès de l’administration fiscale.
b. Position de l’administration
Le 25 février 2020, les contribuables ont reçu une proposition de rectification, au motif que le pourcentage des titres faisant l'objet de l'engagement de conservation s'élevait à 30 %, ce qui était inférieur au pourcentage minimum requis.
En effet, l’administration n’a pas pris en compte l’adhésion de la société R. à l’engagement de conservation souscrit en 2005.
c. Position des contribuables
Les contribuables arguaient que, si l'article 885 I bis du code général des impôts dans sa version applicable au litige, imposait l’enregistrement de l’engagement collectif de conservation pour être opposable à l’administration, ce texte était silencieux quant à la nécessité d'enregistrer un avenant à un tel engagement.
d. Jugement
Le tribunal judiciaire confirme la rectification estimant que, faute d’enregistrement, l’acte d’adhésion n’était pas opposable à l’administration fiscale.
2. Commentaires
Bien que le jugement soit relatif au dispositif du pacte Dutreil-ISF qui n’est plus applicable depuis le 1er janvier 2018, il a le mérite d’attirer l’attention sur l’adhésion d’un nouveau signataire à un pacte Dutreil-transmission dans la mesure où la possibilité d’adhésion d’un nouveau signataire à un pacte Dutreil a été introduite par la loi de finances rectificative pour 2011 tant pour le Dutreil-ISF que pour le Dutreil-transmission.
Pour rappel, un engagement collectif de conservation est, par principe, figé ; les signataires étant tenus de conserver leurs titres.
Ainsi, les signataires d’un engagement collectif de conservation ne peuvent soumettre à cet engagement de nouveaux titres sauf rares exceptions.
Cependant, s’agissant du pacte Dutreil-transmission, le code général des impôts prévoit deux exceptions :
- l’article 787 B, b, 1 du CGI dispose que les associés de l’engagement collectif de conservation « peuvent également admettre un nouvel associé dans l'engagement collectif à condition que cet engagement collectif soit reconduit pour une durée minimale de deux ans ».
- l’article 787 B, e bis 2° du CGI prévoit également que le cessionnaire de l’un des signataires initiaux peut « s’associer à l'engagement collectif à raison des titres cédés afin que le pourcentage [minimal] demeure respecté. Dans ce cas, l'engagement collectif est reconduit pour une durée minimale de deux ans pour l'ensemble des signataires ».
Même si la volonté du législateur était d’apporter une plus grande souplesse au mécanisme du pacte Dutreil, ces deux exceptions soulèvent de nombreuses interrogations dont une (et non des moindres) est clairement mise en lumière par le jugement du tribunal judiciaire de Paris.
En effet, l’exposé des motifs du projet de loi de finances rectificative pour 2011 (loi n° 2011-900) justifiant l’introduction de cet assouplissement indiquait que « l’engagement collectif pourrait être ouvert à un nouvel associé sans que la signature d’un nouveau « pacte » soit nécessaire, à condition que l’engagement collectif soit reconduit pour une durée minimale de deux ans », le législateur ayant choisi d’« assouplir le régime afin d’éviter d’imposer la signature d’un nouvel engagement collectif ».
Le Rapport de la commission des finances de l’Assemblée Nationale indiquait que « l'intérêt de l'assouplissement proposé n'en est pas moins réel. En effet, en l'état actuel du droit, toute admission d'un nouvel associé au sein d'un engagement collectif de conservation prend la forme de la conclusion d'un nouvel engagement, qui suppose des formalités lourdes (signature de tous les associés, enregistrement de l'engagement). Désormais, les personnes déjà engagées seront dispensées de ces formalités ».
A la lecture de ces éléments, il semble que le législateur ait souhaité que l’adhésion puisse être réalisée par un acte d'adhésion comme on peut le voir assez fréquemment en matière de pacte d’associés.
En effet, dans le cadre de la signature d’un pacte d’associés, les signataires souhaitent très fréquemment qu’en cas de cession des titres par un signataire (souvent minoritaire) à un non-signataire ou en cas d’apport de titres par un signataire au profit de sa holding patrimoniale, le cessionnaire (ou la holding patrimoniale) adhère obligatoirement au pacte d’associés conclu. Afin de faciliter le formalisme et d’éviter de conclure un nouveau pacte d’associés, l’adhésion se réalise souvent par la signature d’un acte d’adhésion dont le modèle est souvent annexe au pacte d’associés.
Cependant, nous estimons qu’il n’est pas possible d’établir un tel parallèle avec le dispositif du pacte Dutreil pour au moins deux raisons :
- D’une part, le texte prévoit expressément qu’en cas d’adhésion d’un nouvel associé, l’engagement collectif sera reconduit pour une durée minimale de deux ans alors que l’adhésion à un pacte d’associés ne remet pas en cause la durée initiale de ce pacte.
Par conséquent, dans l’hypothèse où le pacte Dutreil est conclu pour une durée de deux ans et qu’un associé souhaiterait « adhérer » à ce pacte Dutreil six mois après son enregistrement, il sera obligatoire de modifier la durée initiale.
Dès lors, l’adhésion à un pacte Dutreil en cours implique a minima la signature d’un avenant emportant modification (i) des signataires et (ii) de la durée. - D’autre part, l’ « adhésion » suppose nécessairement l’accord de l’ensemble de signataires d’origine du pacte Dutreil dans la mesure où l’engagement collectif de conservation est nécessairement un contrat.
Alors que l’adhésion à un pacte d’associés a vocation à protéger les associés signataires et notamment l’investisseur, la reconduction de la durée du pacte Dutreil peut, à l’inverse, pénaliser les signataires initiaux du pacte Dutreil.
Il ressort de ce qui précède qu’il nous semble obligatoire, en cas d’adhésion d’un nouvel associé à un pacte Dutreil en cours, de conclure un avenant qui sera signé par les signataires « historiques » et le nouvel associé, mentionnant les titres que ce nouvel associé entend conserver dans le pacte Dutreil et indiquant le nouveau terme de l’engagement collectif de conservation.
En outre, et dans la mesure où le pacte Dutreil est un engagement de nature fiscale, il ne fait aucun doute que l’administration fiscale doit être informée de l’existence d’un avenant emportant adhésion de nouveaux associés.
Or, cet avenant doit-il être envoyé à l’administration fiscale (avec accusé de réception) ou doit-il être enregistré pour lui donner date certaine ?
C’était la question posée, en matière de Dutreil-ISF, au tribunal judiciaire de Paris qui a conclu que l’avenant doit être enregistré.
Bien que cela semble éloigné des travaux parlementaires, cette position demeure conforme à celle de la doctrine administrative lorsqu’elle évoque la modification de la durée de l’engagement collectif de conservation sans adhésion d’un nouvel associé.
En réalité, la mesure d’assouplissement apportée par la loi de finances rectificative pour 2011 n’a pas rencontré le succès escompté et la pratique n’a pas utilisé un tel mécanisme afin d’éviter tout risque de discussion ultérieure avec l’administration fiscale.
Compte tenu des nombreuses interrogations, si un nouvel associé entend adhérer à un pacte Dutreil en cours, il convient de conclure purement et simplement un nouveau pacte Dutreil d’une durée minimale de 2 ans.
Yan Flauder
Avocat spécialisé en droit fiscal
Barreau de Toulouse
www.flauder-avocat-toulouse.fr
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