Le constructeur ne pouvant agir en garantie avant d'être lui-même assigné aux fins de paiement ou d'exécution de l'obligation en nature, il ne peut être considéré comme inactif

 

Cour de cassation - Chambre civile 3

  • N° de pourvoi : 23-12.449
  • ECLI:FR:CCASS:2024:C300383
  • Non publié au bulletin
  • Solution : Cassation partielle

Audience publique du jeudi 04 juillet 2024

Décision attaquée : Cour d'appel de Nimes, du 24 novembre 2022

Président

Mme Teiller (président)

Avocat(s)

SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP L. Poulet-Odent

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 juillet 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 383 F-D

Pourvoi n° H 23-12.449




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 JUILLET 2024

La MACIF, société d'assurance à forme mutuelle, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 5], a formé le pourvoi n° H 23-12.449 contre l'arrêt rendu le 24 novembre 2022 par la cour d'appel de Nîmes (2e chambre, section A), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Etudes et travaux spéciaux, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7], [Localité 2],

2°/ à la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 6], [Localité 3],

3°/ à la société Ginger CEBTP, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 8], [Localité 4],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vernimmen, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la MACIF, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Etudes et travaux spéciaux et de la SMABTP, après débats en l'audience publique du 22 mai 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Vernimmen, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 24 novembre 2022), la MACIF, assureur multirisques habitation de M. et Mme [S], a financé des travaux de réparation des désordres apparus dans leur maison à la suite d'un épisode de sécheresse ayant fait l'objet d'un arrêté de catastrophe naturelle.

2. Les travaux de reprise en sous-oeuvre ont été réalisés par la société Etudes et travaux spéciaux (la société ETS), assurée auprès de la SMABTP, sur les préconisations de la société Ginger CEBTP, venant aux droits des sociétés SEBAGEC et CEBTP.

3. Se plaignant de l'apparition de fissures, M. et Mme [X] ainsi que leurs deux enfants (les consorts [X]), acquéreurs de cette maison, ont assigné en indemnisation M. et Mme [S], la MACIF, la SMABTP, les sociétés ETS et Ginger CEBTP.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La MACIF fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il déclare recevable son recours formé contre la société ETS, la SMABTP et la société CEBTP, rejette la demande de mise hors de cause de la société ETS et de la SMABTP et statue sur la répartition de la charge finale de la dette de responsabilité, puis, statuant à nouveau, de déclarer prescrite l'action récursoire engagée par la MACIF à l'encontre de la société ETS et de la SMABTP, d'une part, et de la société CEBTP, aux droits de laquelle est venue la société Ginger CEBTP, d'autre part, et de dire n'y avoir lieu à statuer sur la répartition des responsabilités et les recours entre coobligés, alors « qu'une assignation en référé-expertise délivrée par le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, non assortie d'une demande de reconnaissance d'un droit, ne fait pas courir le délai de prescription de l'action en garantie du défendeur contre les constructeurs ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que la MACIF n'avait été assignée que par acte du 6 juillet 2016 par les consorts [X], acquéreurs de l'immeuble, en réparation de préjudices subis du fait de désordres affectant ce dernier, et qu'ils lui imputaient à faute, à la suite de travaux, dont elle avait financé la réalisation par la société ETS, sur les préconisations techniques de la société CEBTP ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable l'action en garantie exercée par la MACIF, condamnée à réparer ces préjudices, contre la société ETS, la SMABTP et la société Ginger CEBTP, venue aux droits de la société CEBTP, que le délai de prescription avait couru à compter de son assignation en référé-expertise par les consorts [X], soit au mois de « juin 2012 », pour expirer au mois de juin 2017, de sorte que l'action aurait été prescrite à la date de son exercice, le 1er avril 2020, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2219 et 2224 du code civil et l'article L. 110-4, I, du code de commerce :

5. Aux termes du premier de ces textes, la prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps.

6. Il résulte des deux derniers que les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

7. Par un arrêt rendu le 14 décembre 2022 (3e Civ., 14 décembre 2022, pourvoi n° 21-21.305, publié), la Cour de cassation a jugé que le constructeur ne pouvant agir en garantie avant d'être lui-même assigné aux fins de paiement ou d'exécution de l'obligation en nature, il ne peut être considéré comme inactif, pour l'application de la prescription extinctive, avant l'introduction de ces demandes principales, puis en a déduit que, l'assignation, si elle n'est pas accompagnée d'une demande de reconnaissance d'un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l'action du constructeur tendant à être garanti de condamnations en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures.

8. Il en résulte qu'une assignation en référé-expertise délivrée par le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage à l'assureur du vendeur ayant financé, à la suite d'un arrêté de catastrophe naturelle, les travaux de reprise de sous-oeuvre, non assortie d'une demande de reconnaissance d'un droit, fût-ce par provision, ne fait pas courir le délai de prescription de l'action en garantie de ce défendeur contre les autres intervenants à l'acte de construire.

9. Pour déclarer irrecevable la demande en garantie de la MACIF à l'encontre des sociétés ETS, Ginger CEBTP et la SMABTP, l'arrêt retient que le point de départ du délai de prescription des recours entre coobligés est constitué par l'assignation en référé-expertise, dès lors que celle-ci met en cause la responsabilité de celui qui est cité et que la MACIF ayant été assignée en référé-expertise par les consorts [X] en juin 2012, le délai de prescription avait commencé à courir à compter de cette date pour expirer, en l'absence d'effet interruptif et suspensif de prescription, au mois de juin 2017, de sorte que son action en garantie intentée le 1er avril 2020 était prescrite.

10. En statuant ainsi, alors que la cour d'appel avait constaté que les consorts [X] avaient, par acte du 6 juillet 2016, assigné la MACIF en réparation de leurs préjudices et que cette dernière avait exercé son action récursoire à l'encontre des sociétés ETS, Ginger CEBTP et la SMABTP par conclusions notifiées le 1er avril 2020, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :

- déclare prescrite l'action récursoire engagée par la MACIF à l'encontre de la société Etudes et travaux spéciaux et de la SMABTP d'une part, et de la société CEBPT, aux droits de qui vient la société GINGER CEBTP, d'autre part,
- dit en conséquence la MACIF irrecevable en son action récursoire dirigée à l'encontre de la société Etudes et travaux spéciaux et de la SMABTP d'une part, et de la société CEBPT, aux droits de qui vient la société GINGER CEBTP, d'autre part,
- dit n'y avoir lieu à statuer sur la répartition des responsabilités et les recours entre coobligés ainsi que sur l'opposabilité à la société Etudes et travaux spéciaux de la franchise contractuelle,
- condamne la MACIF aux entiers dépens de première instance, en ce compris les frais d'expertise, dont distraction au profit de la société civile professionnelle [B] [F] [L] et Me [I],
- condamne la MACIF à payer à la société Etudes et travaux spéciaux et la SMABTP la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne la MACIF à payer à la société GINGER CEBTP la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamne la MACIF aux entiers dépens d'appel, avec distraction au profit de Me Léonard,

l'arrêt rendu le 24 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes, autrement composée ;

Condamne la SMABTP, les sociétés Etudes et travaux spéciaux et Ginger CEBTP aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300383

Publié par ALBERT CASTON à 11:56  

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