C’est surement le fondement du plus grand nombre de titre de séjour refusé en France : la vie privée et familiale. C’est également une sorte de boite à outil utilisée en toutes circonstances pour essayer de justifier d’un droit au séjour. Qu’en est-il réellement ? Est-ce que ce seul article remplit l’espoir que l’on place en lui ?
D’abord une explication sur l’origine de l’article L. 313-11 7° du CESEDA. Il ne s’agit ni plus ni moins que de la transposition de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme de 1950 qui stipule que : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale ».
Le premier constat que l’on peut faire : au vu de l’actuel situation que vive les ressortissants étrangers on a du mal à croire qu’un tel texte soit un jour venu à l’esprit de nos gouvernants. Mais fut un temps, on voyait l’échange des cultures comme une opportunité et un moteur de développement et non comme une « crise ». Ensuite, et bien heureusement, c’est la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui est la garante de ce texte ce qui assure qu’il soit protégé en dehors d’une vision trop stricte ou politisée. Ainsi pour éviter de voir des refus de titre de séjour annulés sur le fondement de cette stipulation de la Convention, la France en a fait un article du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du Droit d’asile (CESEDA).
Pour autant doit-on y voir l’espoir que certains y placent ? Pas vraiment et ce pour deux raisons, l’une juridique et l’autre matérielle. Sur le plan juridique, si ce fondement est souvent à l’origine d’une demande de titre de séjour, il donne rarement une issue favorable car les préfectures considèrent de manière particulièrement stricte son application. Pour expliquer cela simplement à mes clients, j’utilise souvent l’image de la balance : d’un côté le nombre d’années passées dans le pays d’origine et la famille qu’ils y ont et de l’autre côté un constat similaire avec le nombre d’années passées en France et la famille présente sur le territoire. S’ils sont déjà négatifs sur cette balance, une demande de titre de séjour sur le fondement de l’article L. 313-11 7° a peu de chance d’aboutir.
Devant les magistrats du Tribunal administratif, comme l’a écrit Ihering, « la preuve est la rançon du droit ». Il n’est jamais aisé de démontrer l’existence d’une vie privée et familiale surtout lorsqu’elle est ancienne. Combien de personnes gardent des preuves de ce qu’il faisait il y a 10 ans ? 15 ans ? A ce titre, on peut remercier les nouvelles technologiques qui permettent de stocker à distance et pendant longtemps beaucoup d’informations utiles.
Dans une affaire de la semaine dernière en urgence avec un placement en centre de rétention administrative et une obligation de quitter le territoire sans délai, le client vivait en France depuis 14 ans et démontrait son intégration en ayant travaillé pendant plus de 10 ans. Le travail est un facteur évident de l’intégration et les juges le reconnaissent souvent. Mais malgré un tel passif cela n’a pas empêché la Préfecture de prendre une mesure d’éloignement sans délai.
Heureusement, le Tribunal administratif de Lyon a annulé les décisions et enjoint au Préfet de délivrer une autorisation provisoire de séjour ainsi que condamné la préfecture sur le fondement de l’article L. 761-1 du CJA. Cela n’aurait pas été possible si nous n’avions pas été capable de prouver l’ancienneté du séjour de l’intéressé sur une période de dix ans ce qui représente plus d’une cinquantaine de pièces.
Décision du Tribunal Administratif de Lyon du 17 juin 2016
D’où la terrible difficulté de la charge de la preuve lorsqu’il s’agit de prouver l’existence d’une vie.
In fine, l’article L. 313-11 7° est effectivement une solution mais pour la mettre en œuvre, il faut des conditions précises (temps passé en France et/ou famille) et plus important encore des éléments de preuves solides le justifiant.
http://gillioen-avocat.com/archives/207-la-vie-privee-et-familiale-prevue-a-larticle-l-313-11-7-une-solution-a-geometrie-variable
Je vous présente un cas particulier : en 2021 la France en manque de médecins spécialistes se tourne vers l'algerie et va faire venir plus de 1200 praticiens pour 2 raisons :
a)--combler le déficit de spécialistes dans les hôpitaux publics
b)- Permettre à leurs collègues français de récupérer une partie des heures supplémentaires non-payees (et qui se chiffre par dizaines de millions d'heures à l'échelle nationale), quitte par ailleurs à devoir assumer une quantité énorme d'astreintes de gardes (surtout en été : 3 gardes par semaine!)
Maintenant la procédure qui a été mise en place et à l'origine du nœud gordien : des établissements hospitaliers publics français ont mis en place avec leurs homologues algeriens , au niveaux des directeurs, une convention de stage permettant d'envoyer des médecins locaux en France pour "parfaire leurs connaissances..etc..etc... Procédure validée par ecrit par la Direction départementale du Travail et de l'emploi et par les autorités.
Mon ami, chirurgien, est donc venu, suivi 3 mois plus tard par son épouse et leurs 3 enfants. Son épouse est aussi médecin spécialisé et est venu dans le même cadre. Tous les 2 sur leurs passeports était précisé "L317-7 1° "carte de séjour a solliciter". Leurs enfants avaient les mentions "visa visiteur. Voir carte de sejour des parents".
Cette convention de stage prévoyait donc leur mise à disposition auprès du CHU signataire, avec le statut de stagiaire et une rémunération (et non pas salaire) équivalente à un smic auquel pouvait se rajouter certains "émoluments" au titre des astreintes de garde par exemple.
La préfecture leur a ensuite délivré un titre de séjour de 6 mois renouvelable avec la mention "Étudiant Stagiaire".
Dans les faits, et sous la soi-disante supervision d'un tuteur, ils exercent les fonctions en rapport leur spécialité (consultations, soins, blocs opératoire.. etc..) exactement comme leurs collegues français mais sans le statut et la rémunération qui devrait aller avec.
Le nœud gordien ? Le voici : mon ami a commencé sa nouvelle fonction en mars dernier, son épouse et leurs 3 enfants l'ont rejoins le 27 mai 2022. Le 31 mai les enfants étaient scolarisés et sa conjointe embauchait le 1er juin.ils ont fait une demande d'ouverture des droits au niveau de la Caisse d'allocations familiales et de la sécurité sociale. Ces 2 caisses ont reconnus leurs droits aux parents.....mais pas aux enfants. Donc la Caf accepte d'étudier les droits à l'allocation logement et à la Prime d'activité pour Mr et Mme seuls mais pas les allocations familiales le complément familial et l'allocation de rentrée scolaire. La raison : les parents, algeriens tous les 2, ne sont pas rentrés dans le cadre du regroupement familial et ne peuvent pas être légalisés par un article de l'accord franco-algerien de 1968. Quant à la sécurité sociale elle a accordée la carte vitale et l'es droits secu zux 2 parents mais demande l'attestation de rattachement des enfants de la Caf aux fins de régulariser la situation des enfants et qu'ils soient couverts par les parents. Impossible pour eux de fournir ce document. Ils demandent donc à à Caf de contacter la préfecture pour se procurer une attestation préfectorale de prise en charge des enfants. Réponse de la Caf :
"Vos titres de séjour n'ont pas été délivrés au titre 5 de l'accord 6 de l'accord franco-algérien du 27/12/1968 mais au titre d'étudiant stagiaire.
Nous ne pourrons donc pas compter vos enfants à charge pour le calcul des prestations familiales."
Et il semblerait que l'on ai fait venir tous ces médecins dans le même cadre et qu'ils ont tous eu une réponse négative pour leur demande de prestations en raison du même motif. Bref on leur a étiqueté un statut hybride qui leur dénie des droits élémentaires pour leurs enfants.
Qu'en pensez-vous Maître ? Cordialement. Rayan.