Statut fiscal des dons aux associations ou fondations, liberté de circulation et droit européen

Lorsque l'Europe contraint la France à accorder le bénéfice de la réduction d'impôt aux dons et versements effectués au profit d'organismes hors de France (UE ou EEE).

Le Conseil Constitutionnel, dont l'activité est amenée à augmenter considérablement à partir de 2010, en raison de la saisine judiciaire, offre en guise de cadeau à la France quelques décisions d'inconstitutionnalité partielle intéressantes. Il valide également certaines dispositions au désespoir de la logique :

Sur le plan fiscal pur, le Conseil Constitutionnel juge conforme à la constitution les dispositions de la Loi de Finance rectificative pour 2009 permettant le statut fiscal des dons aux associations ou fondations situées hors du territoire national (art.35 de la loi, modifiant les articles 200, 238 bis et 885-0 V bis-A du code général des impôts relatif à certaines réductions d'impôt en matière d'impôt sur le revenu, d'impôt sur les sociétés et d'impôt de solidarité sur la fortune)

La loi de finance rectificative pour 2009 soumet aux dispositifs de réduction d'impôt précités les dons et versements effectués au profit d'organismes " dont le siège est situé dans un État membre de la Communauté européenne ou dans un État partie à l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale " ;

La condition du bénéfice de la réduction d'impôt étant que l'organisme recueillant les dons soit agréé, dans les conditions prévues à l'article 1649 nonies du même code.

Or, le Conseil Constitutionnel relève que l'agrément n'est accordé qu'à la condition que lorsque l'organisme poursuive des objectifs et présente des caractéristiques similaires aux organismes dont le siège est situé en France ;

Faute d'agrément, si le contribuable souhaite bénéficier de la réduction d'impôt, il lui appartiendra de produire " dans le délai de dépôt de déclaration les pièces justificatives attestant que cet organisme poursuit des objectifs et présente des caractéristiques similaires aux organismes dont le siège est situé en France " ;

Les députés qui ont soumis cet article à la censure du Conseil Constitutionnel considèrent que le législateur, parce qu'il ne précise pas " les conditions permettant l'attribution par le pouvoir exécutif de cet agrément ouvrant droit aux avantages fiscaux ", méconnaîtrait l'étendue de sa compétence ; et qu'en outre ce régime institue un avantage disproportionné (au profit des organismes situés hors de France) qui ne serait justifié par aucun motif d'intérêt général ;

Décision :

Le Conseil Constitutionnel se retranche derrière l'arrêt rendu par la Cour de Justice des Communautés Européennes du 27 janvier 2009, relatif à la libre circulation des capitaux, arrêt par lequel la CJCE a jugé contraire à l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne un dispositif national réservant le bénéfice de certains avantages fiscaux aux dons effectués à des organismes établis sur le territoire national.

D'autre part, le Conseil relève :

- que « les conditions d'agrément des organismes bénéficiaires de ces dons et versements devront être identiques à celles qui sont applicables aux organismes situés sur le territoire français »

- et « qu'à défaut d'agrément, le bénéfice de la réduction d'impôt ne pourra être accordé que si " le contribuable a produit dans le délai de dépôt de déclaration les pièces justificatives attestant que cet organisme poursuit des objectifs et présente des caractéristiques similaires aux organismes dont le siège est situé en France " ».

Motifs pour lesquels le Conseil Constitutionnel décide de rejeter le grief tiré de l'absence d'intérêt général de l'article 35 de la loi de finance rectificative pour 2009 (extension du bénéfice de la réduction d'impôt aux dons effectués à destination des organismes situés dans l'UE ou dans l'EEE).

Toutefois, cette décision laisse le lecteur en proie avec un très large sentiment d'insatisfaction :

Tout d'abord, il peut paraître étrange que le principe de libre circulation des capitaux – qui a été conçu initialement pour permettre la liberté de circulation des travailleurs, la liberté d'installation et la liberté de prestations de services commerciaux, puisse s'appliquer également aux activités caritatives, lesquelles échappent déjà à l'impôt. Non pas que ces activités ne puissent pas revendiquer l'application du droit Européen. Mais on peut précisément y voir une dérive inquiétante du droit Communautaire « dérivé ».

Car traditionnellement, les organismes caritatifs ont vocation à remplir une mission très proche de celle d'un service public, oeuvrant dans l'intérêt général. D'où l'on peut considérer la décision de la CJCE comme achevant de détruire le régime fiscal de droit interne, au profit d'une fiscalité qui ne serait qu'exclusivement européenne. Et par ce biais, de toucher aux dernières prérogatives régaliennes des Etats, celles de lever l'impôt, et celles de financer les activités de service public.

En effet, il est naturel de considérer que les dons effectués à un organisme de charité à vocation « territoriale » (une association d'insertion par exemple) ne seront jamais abondés par des dons provenant d'autres pays, en raison du principe très humain qui veut qu'on s'occupe d'abord de « ses » pauvres avant de s'intéresser à ceux des autres.

En ce domaine, l'Eglise, historiquement la plus ancienne organisation fiscale et caritative européenne, a bien montré l'exemple : Ce n'est pas « Rome » qui finance la Charité à Paris, ou les Hospices de Lyon. Et encore moins à Londres ou Amsterdam. L'action du clergé séculier a de tous temps été financée localement au nom de ce principe suisse « Qui veut la messe paye le Pape ! ».

Prétendre aujourd'hui que les dons effectués au profit d'une association d'insertion helvétique, ou d'une association de soutien aux pêcheurs espagnols pourront venir en diminution d'un impôt français pose clairement un problème de compréhension de l'action caritative. Soit l'arrêt de la CJCE a mal été défendu, et rendu « par défaut », sur une défense molle, soit l'article 35 de la loi de finance rectificative pour 2009 a mal été pensé. Les deux étant malheureusement fréquent...

D'autre part la notion même d'intérêt général n'est pas clairement définie ni déterminée. Or, l'intérêt général n'étant pas la somme des intérêts particuliers, on peut penser que l'intérêt général « français » n'est pas identique à l'intérêt général d'un autre pays membre de l'Union Européenne ou de l'Espace Economique Européen. S'agissant de fiscalité, il est même fortement envisageable que ces intérêts soient parfois en contradiction.

Notamment, il est vraisemblable qu'un conflit d'intérêts généraux surgisse, et notamment en ce qui concerne les buts poursuivis par les organismes donataires. (Ex : pour un organisme de soutient aux pêcheurs espagnols, intérêt incontestablement général, mais limité au territoire espagnol, mais qui, du côté français, représente un anti-intérêt, les pêcheurs espagnols et français étant en compétition pour les quotas de pêche, les zones de pêche et les méthodes de pêche... chaque aide accordée à un des deux camps nuit fatalement à l'autre).

La réduction d'impôts du donateur constitue, à n'en point douter, de la trésorerie publique, bien que négative. Comment envisager sereinement que la trésorerie publique française puisse abonder un fonds privé destiné à couvrir des besoins publics d'un autre Etat membre de l'UE ou de l'EEE, qui ne sont pas pris en charge par la fiscalité européenne ni par celle nationale de l'Etat récipiendaire ? La logique est troublante, pour ne pas dire plus...

Ce qui marque probablement la naissance d'un nouvel intérêt général : l'intérêt général « Européen » qui viendrait supplanter l'intérêt général National.

Pour finir, la première lecture de la loi de finance rectificative semble indiquer que les conditions d'octroi seront largement plus ouvertes au profit des organismes étrangers qu'au profit des organismes nationaux. Notamment en ce sens que le donateur pourra justifier de l'intérêt général part tous moyens.

Tout ceci soulève donc bien des questions, génèrera bientôt des fuites de capitaux importants, et fera très probablement naître des conflits de constitutionnalité, à l'occasion des contrôles fiscaux portant sur les exercices à venir.

L'exemple même du cadeau empoisonné, pourrait-on penser. En toute hypothèse une nouvelle source de contentieux, fiscal, communautaire et constitutionnel.

Ariel DAHAN

Avocat au barreau de Paris

DESS de Droit Européen des Affaires