La grande profession du droit a été au cœur de la mandature du conseil national des barreaux qui s'achève et sera sans nul doute la première préoccupation de la prochaine mandature du conseil national des barreaux.

Ce sujet mal connu, qui suscite des craintes légitimes mérite explications et éclaircissements.

Ce débat, que beaucoup découvrent, est pourtant l'une des revendications les plus anciennes de la profession.

L'idée prit forme dans les années cinquante avec la démocratisation de l'accès au barreau et l'arrivée massive de nouveaux avocats. Ce mouvement a permis aux avocats de manier des fonds et de s'associer (1954), de créer des CARPA (1957) et en 1967 fut publié le livre bleu de l'association nationale des avocats (ANA) qui ébaucha pour la première fois le concept de grande profession du droit .

Ce concept s'est concrétisé dans l'histoire récente par deux fois :

- La fusion avoué de première instance – avocat en 1971

- La fusion avocat - conseil juridique en 1990

Ce mouvement vers une grande profession s'est il achevé définitivement en 1990 ou doit-il se poursuivre ?

L'idée de grande profession mériterait un a priori de sympathie dès lors qu''il faut savoir que l'abandon par le gouvernement et la commission GUINCHARD du projet de transférer la procédure de divorce par consentement mutuel au notariat est la conséquence directe de la revendication par la profession d'avocat de la construction d'une grande profession.

Aussi bien la commission, que le gouvernement, mais avant tout le Président de la République ont été convaincus qu'il convenait avant de se quereller sur certains marchés (divorce, vente immobilière etc...) de dépoussiérer et redéfinir le contour de chacune des professions, de réfléchir à leur adaptation au 21ème siècle et de se poser la question du bien fondé des monopoles, des tarifs au regard de l'intérêt du justiciable et de la qualité de la prestation.

Le monopole des ventes immobilières dont bénéficie le notariat est un frein à l'exportation des cabinets d'avocats français à l'étranger lesquels manquent de moyen financier pour s'exporter alors que la place de Paris est envahie par les cabinets anglo saxon, notamment américains qui engrangent jour après jour des parts de marché sur le territoire français.

Le Président de la République n'a pas été insensible à cet argument.

En ce sens, le rapport ATTALI est véritablement tombé à pic en dénonçant certaines rentes de situations et les monopoles injustifiés.

Au même moment un rapport de la commission européenne dénonçait le surcout des transactions immobilières en France par rapport aux autres pays de l'union .(Voir la présentation du rapport CONVEYANCING par Michel Benichou à l'assemblée générale du conseil national des barreaux du 15 Mars2008 : http://www.cnb.avocat.fr/Presentation-du-Rapport-conveyancing-_a60.html )

Le Conseil National des Barreaux ne pouvait moins faire que de reprendre au bond ces idées qui s'intégraient à merveille dans l'idée de grande profession.

En terme de communication, il est plus opportun et moins agressif d'appeler à une grande profession plutôt que de revendiquer une partie des ventes immobilière, réduisant au mieux le débat à une demande corporatiste ou au pire comme la réponse du « berger à la bergère » c'est-à-dire une réponse à l'acceptation par les notaires d'intervenir à notre place (et à la place du juge) dans le divorce par consentement mutuel.

Que faire aujourd'hui alors que la commission Darrois va rendre son rapport en janvier 2009 ?

Le statu quo, s'il est en effet toujours plus sécurisant peut dans le contexte présent se révéler mortifère.

Peut-on oublier que le monde change et que nous devons impérativement nous adapter ?

Peut-on oublier que nous faisons partie de l'union européenne et si nous pouvons différer l'application de ses règles, nous n' y échapperons pas à moyen ou long terme.

Il appartient donc aux représentants de la profession de prévoir et d'anticipe, tout en étant inflexible sur nos spécificités, nos valeurs , notre éthique et nos principes essentiels.

Car au fond la construction d'une grande profession répond à un souci simple.

La demande de droit dans notre pays a explosé, nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir y répondre (le nombre d'avocat a doublé en 15 ans) mais nous nous sommes corrélativement paupérisés.

Il y a donc un problème.

Le diagnostic est pourtant connu. Citons quelques éléments :

- Les avocats ne répondent pas suffisamment à la demande de droit telle qu'elle est exprimée par le citoyen, la collectivité publique ou l'entreprise. Nous sommes très conservateurs et trop individualistes. Nous sommes hélas encore très nombreux à penser que la demande de droit doit s'adapter à notre offre et non l'inverse.

- Une partie de notre activité liée au judiciaire est en décroissance et le sera inévitablement à l'avenir, ne serait ce que pour des raisons liées au budget de l'état .Il s'agit d'une tendance lourde. Ainsi la récente réforme de l'école nationale de la magistrature va faire baisser chaque année le nombre de nouveaux magistrats. Cette activité est et restera soumise à la pression et au barème des clients institutionnels tout en étant moins rémunératrice et rentable que l'activité de conseil aux entreprises et aux collectivités.

- Une des activités juridiques les plus rentables (transactions immobilières) bénéficie du monopole du notariat.

- Les avocats assument financièrement l'accès au droit des plus démunis par une indemnisation proche du seuil de rentabilité voir, à perte pour certaines prestations.

Quelles seraient les solutions possibles ?

Certains se sont déjà exprimés pour dire que l'accès au droit ne devrait plus être la préoccupation de l'avocat mais uniquement celle de l'Etat. Je ne partage pas cette opinion. Il est de l'honneur de notre profession d'être au côté des plus démunis, de ceux qui souffrent, des étrangers qui sont en demande et besoin de droit. Nous ne pouvons pas leur claquer la porte au nez. Même si cela coûte à notre profession et plus particulièrement à une petite partie de la profession, il faut persister à chercher des financements de l'Etat en premier lieu et subsidiairement auprès d'autres acteurs.

Nous avons intérêt aussi pour notre démocratie à préserver un vrai débat contradictoire dans le débat judiciaire.

Une fois réglée la question importante de l'aide juridictionnelle, la profession aura le choix me semble t-il entre deux voies :

1°) Soit instaurer un numérus clausus de plus en plus restrictif orienté vers le monopole de représentation en justice c'est-à-dire l'activité judiciaire afin de limiter drastiquement l'accès à notre profession et permettre à ceux qui exercent cette profession de gagner correctement leur vie.

Il est à noter que les notaires nous conseillent amicalement cette voie....

Mais cela veut dire que nous abandonnons l'idée de répondre à l'ensemble de la demande de droit de nos citoyens.

Avant 1990, notre profession avait délibérément abandonné le marché du conseil aux entreprises (dont on sait aujourd'hui combien elle est plus rentable que l'activité judiciaire) bien contents d'être en nombre restreint concentrés sur l'activité judiciaire, nous avons laissé se créer de toutes pièces la profession de conseil juridique .

Si nous choisissons cette voie (que nos confrères avocats conseils en entreprise refuseront), il faudra comme en Angleterre revenir à la distinction Sollicitor/Barrister, c'est-à-dire revenir sur la fusion de 1990 et laisser l'ancienne profession de conseil juridique rejoindre le notariat.

Nous pourrions alors nous satisfaire de la création de structures interprofessionnelles mais nous serons (nous les avocats restés au judiciaire) dominés au niveau capitalistique par ceux qui aurons créé sans nous la grande profession du conseil et du droit et qui seront assis sur les deux activités juridiques les plus rentables :

- le monopole des transactions immobilières

- le conseil juridique aux entreprises et aux collectivités

2°) Soit faire en sorte que la profession d'avocat, c'est-à-dire tous les métiers de la profession d'avocat, de l'avocat du judiciaire de province qui travaille à l'aide juridictionnelle à l'avocat d'affaires parisien qui ne met jamais la robe, puisse élargir si elle le désire son champs d'activités sur l'ensemble du marché du droit

Première réflexion : l'avocat doit occuper des nouveaux champs d'activité. La loi sur la modernisation de l'économie du 4 aout 2008 a permis aux avocats d'être "fiduciaire" à compter du 1er Février 2009.

Bien sûr cela ne concernera pas la majorité des avocats, beaucoup ne savent peut être pas ce qu'est une fiducie mais peu importe, nos activités sont si diverses aujourd'hui qu'aucune augmentation de notre champ d'intervention ne concernera, par définition, l'ensemble des avocats, mais il ne sera interdit à aucun confrère de s'y intéresser et de se former à cette activité.

Deuxième réflexion : la fusion avoué – avocat qui doit intervenir au 1er Janvier 2010 devrait permettre à tous les avocats du judiciaire de conserver complètement la maitrise du dossier devant la cour, d'assumer les audiences de mise en état (qui seront informatisés comme au TGI) et de facturer cette prestation supplémentaire. Nous sommes désolés pour nos amis avoués à la cour et il ne s'agit pas de se réjouir de leur disparition mais il me parait difficile de se lamenter de l'élargissement de notre champ de compétences devant la cour d'appel (et de la simplification de la procédure pour le justiciable).

Nous perdrons peut être l'état de frais des avoués devant la cour diront les grincheux mais nous conserverons la liberté de l'honoraire....

Troisième réflexion : le monopole des transactions immobilières des notaires.

Se justifie t'il par la sécurité de l'acte authentique et par le tarif ? Pourquoi ne pas permettre à certains avocats sous certaines conditions de pouvoir réaliser des transactions immobilières alors que certains de nos confrères ont cette compétence, la cour de cassation l'a d'ailleurs reconnu (cela est le cas dans de nombreux pays).

Quatrième réflexion: le CNB a voté la fusion de la profession avec les conseils en propriété industrielle (en attente d'une concrétisation législative). Nos confrères spécialisés vont devoir se remettre en cause (ce qui est certes très désagréable) mais nous allons constituer désormais un pôle de compétence dans ce domaine où l'avocat sera roi (ce qui pour les prochaines générations d'avocat constitue un véritable champ d'activité en devenir)

Autre réflexion : l'intégration des juristes d'entreprise ou l'exercice de l'avocat en entreprise.

Ce sujet passionne et fait l'objet d'un rejet sans appel des confrères du judiciaire. Nous ne voulons pas voir demain nos clients juristes revêtir la robe et venir picorer sur le marché du judiciaire déjà en voie de désertification.

Vu sous cet angle, le sujet ne mérite même pas débat tant il parait évident que les juristes d'entreprise ne peuvent prétendre à devenir avocat dans ces conditions et avec ce risque.

En revanche doit on être si affirmatif s'il s'agit au contraire de permettre à nos confrères qui le souhaiteraient d'exercer tout en restant avocat, un poste de direction juridique en entreprise en fixant des règles claires en matière déontologiques notamment en termes d'indépendance et d'interdiction de plaider ?

En Novembre dernier une de nos consœurs s'est présentée devant notre conseil de l'ordre pour solliciter son omission et exercer en entreprise. Nous avons regretté qu'elle puisse quitter notre ordre. Je suis sûr que ses regrets étaient sincères. Pourquoi ne pourrait-elle pas à l'instar d'autres pays (dont le Québec) rester avocate inscrite à notre ordre. Nous renforcerions notre présence dans l'entreprise.

Enfin, une profession forte doit avoir une gouvernance forte .

Notre profession doit elle rester divisée en 180 puissantes baronnies (ou 150) auxquelles on rajoutera la conférence des bâtonniers et le conseil national des barreaux ?

A l'évidence non.

Mais quel barreau acceptera de disparaitre ? Quel barreau acceptera de renoncer à sa cour d'appel dans le cadre d'un second tour promis de réforme de la carte judiciaire?

Voilà quelques thèmes sur lesquels planche actuellement la commission présidée par notre confrère Darrois. Les enjeux sont immenses, Nous n'avons pas de crainte à avoir. Nous n'avons qu'à gagner d'une éventuelle modification ou rectification des lignes, voir d'une clarification.

Le seul véritable risque pour les avocats serait le statu quo car il ne profite qu'à une minorité.

Nous sommes plus que jamais à la croisée des chemins.

La dernière mandature du conseil national des barreaux, malgré les critiques, a bénéficié d'une formidable machine de guerre héritée de la précédente mandature (hommage à Michel BENICHOU) et a su gagner la première bataille de l'élargissement de nos activités (avec sans doute un déficit coupable dans l'information et l'explication auprès de l'ensemble des confrères).

Mais la bataille décisive est à venir et appartient à la prochaine mandature.

Souhaitons que nos futurs élus au conseil national des barreaux choisissent la voie du mouvement plutôt que le statu quo, de la prospective plutôt que du retour en arrière, et chercherons à assurer l'avenir des plus jeunes avocats et des futurs avocats plutôt que chercher à préserver les acquis (qui finiront par fondre comme neige au soleil) .

En tout état de cause, il faudra choisir.

Car il est plus que jamais possible d'ouvrir de grandes perspectives à notre profession sans renier nos principes et ses valeurs pour que l'épanouissement professionnel ne soit pas l'apanage d' une partie de nos confrères mais puisse profiter à tous.

Jean Luc MEDINA