L'article L2313-2 du Code du travail attribue au délégué du personnel un véritable droit d'alerte puisque légalement, il a la mission de veiller au respect des droits des personnes, de leur santé physique et mentale et des libertés individuelles pouvant résulter de toute mesure discriminatoire en matière notamment d'embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, de sanction et de licenciement.

C'est ainsi que le code du travail organise une procédure rapide d'enquête et de suppression des atteintes aux libertés individuelles dont pourraient être victimes les salariés. Cette procédure s'organise autour d'une saisine immédiate de l'employeur par le délégué du personnel, d'une enquête dans l'entreprise et d'une intervention éventuelle du juge prud'homal statuant en urgence et au fond.

Rarement utilisé par les délégués du personnel, cette procédure vient de faire l'objet d'un arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation ce 17 juin 2009, arrêt par lequel il est en même temps fait le point sur les conditions d'accès par l'employeur aux ordinateurs de ses salariés.

Dans cette affaire, l'employeur avait demandé à ce que soient contrôlés les postes informatiques de 17 salariés au motif que des lettres anonymes lui avaient été adressées et que ces lettres démontraient que son avait eu accès à des courriers confidentiels et verrouillés de l'entreprise. Inquiets par les conditions de contrôle des ordinateurs des salariés dont les messageries avaient été exploitées, les délégués du personnel de l'entreprise se sont adressés au conseil de prud'hommes pour qu'une enquête soit faite.

La Cour de cassation rappelle d'abord que si un délégué du personnel constate qu'il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique ou mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l'employeur et, en cas de carence de celui-ci ou de divergence sur la réalité de cette atteinte et à défaut de solution trouvée avec lui, il saisit le bureau de jugement du conseil de prud'hommes qui peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte.

Elle ajoute ensuite que sauf risque ou événement particulier, l'employeur ne peut ouvrir les messages identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l'ordinateur mis à sa disposition qu'en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé.

Cette décision a donc le mérite de réaffirmer :

- les pouvoirs importants du délégué du personnel en cas notamment d'atteinte aux libertés individuelles, le délégué pouvant aller jusque devant le juge prud'homal en cas de résistance de l'employeur,

- les conditions strictes de contrôle des ordinateurs des salariés (et notamment de leurs messageries), même si ceux ci sont mis à leur disposition pour des raisons professionnelles.

Quelle est la conséquence du non respect de ces conditions de contrôle ? La preuve éventuellement obtenue par l'employeur contre son salarié est irrecevable.

Jean-Philippe SCHMITT

Avocat à DIJON (21)

Spécialiste en droit du travail

03.80.48.65.00

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Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du mercredi 17 juin 2009

N° de pourvoi: 08-40274

Publié au bulletin Rejet

Mme Collomp (président), président

Me Blanc, SCP Gatineau et Fattaccini, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 novembre 2007), qu'en janvier 2006, des lettres anonymes ont été adressées à des responsables de la société Sanofi chimie comportant des renseignements démontrant que leur auteur avait eu accès à des courriers confidentiels et verrouillés de l'entreprise classée Seveso ; que la direction a demandé en conséquence à l'administrateur chargé du contrôle du service informatique de contrôler les postes informatiques de dix-sept salariés susceptibles d'avoir eu accès auxdites informations afin de rechercher l'auteur des courriers anonymes ; que MM. X... et Y..., délégués du personnel au sein de la société, estimant qu'il y avait là atteinte aux libertés individuelles, ont saisi le bureau de jugement de la juridiction prud'homale sur le fondement de l'article L. 422-1-1 du code du travail (devenu L. 2313-2) afin qu'il soit ordonné à l'employeur de procéder avec eux à une enquête relative aux conditions de consultation des messageries électroniques des salariés concernés ;

Sur le premier moyen :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré l'appel recevable alors, selon le moyen, que lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 422-1-1 devenu l'article L. 2313-2 du code du travail, le juge prud'homal statue « selon les formes applicables au référé » ; que le respect du délai dans lequel doit être saisi une juridiction constitue une règle de forme ; qu'il en résulte nécessairement que le délai d'appel d'une décision rendue sur le fondement de l'article L. 422-1-1, devenu l'article L. 2313-2 du code du travail, est celui du référé prud'homal, soit 15 jours ; qu'en retenant un délai d'appel d'un mois, la cour d'appel a violé l'article L. 422-1-1 devenu l'article L. 2313-2 du code du travail, ensemble les articles R. 516-34 et R. 517-7 devenus respectivement les articles R. 1455-11 et R. 1461-1 du code du travail ;

Mais attendu que, s'il se déduit de l'article L. 422-1-1, devenu L. 2313-2 du code du travail que, le bureau de jugement du conseil de prud'hommes statuant selon les formes applicables au référé, le délai d'appel contre sa décision est celui de 15 jours applicable en matière de référé, l'arrêt relève que la décision de première instance avait été notifiée aux parties avec indication d'un délai d'appel d'un mois ; que la mention erronée, dans l'acte de notification d'un jugement, du délai de recours ayant pour effet de ne pas faire courir le délai, il en résulte que l'appel était toujours recevable ; que, par ce motif substitué à ceux justement critiqués, la décision se trouve légalement justifiée ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Et sur le second moyen :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de lui avoir ordonné d'organiser une enquête avec les délégués du personnel sur les conditions dans lesquelles avaient été consultées et exploitées, en janvier 2006, les messageries de 17 salariés, et notamment de rechercher si des messages qualifiés de personnels ou pouvant, de par leur classement, être considérés comme tels, avaient été ouverts dans le cadre de la mission confiée à l'administrateur des systèmes réseaux ou s'ils l'avaient été par l'employeur, et de vérifier, dans les deux cas, dans quelles conditions lesdits messages avaient été ouverts, alors, selon le moyen :

1° / qu'en cas de risque ou d'événement particulier, l'employeur est en droit d'ouvrir les fichiers et courriels, même identifiés par le salarié comme personnels, et contenus sur le disque dur de l'ordinateur mis à sa disposition ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que l'employeur avait reçu des lettres anonymes « fai sant état du contenu de courriels ultraconfidentiels et verrouillés et accompagnées de la copie d'un tel courriel », lequel avait un libellé « sécurité-sûreté », ce dont il résultait que le système de cryptage et de protection des données de l'entreprise avait été forcé et ce en méconnaissance de sa charte informatique ; que par ailleurs, il était constant que l'entreprise était classée SEVESO, toutes circonstances dont il s'évinçait nécessairement l'existence d'un risque pour l'entreprise ou à tout le moins d'un événement particulier ; que l'employeur était donc en droit de confier à l'administrateur réseau la mission de lui transmettre les données issues des disques durs des ordinateurs mis à la disposition des salariés et « destinées à permettre d'identifier l'auteur de la copie d'écran d'une part, et l'auteur des lettres anonymes d'autres part » ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a méconnu l'article L. 120-2 devenu l'article L. 1121-1 du code du travail, l'article L. 422-1-1 devenu l'article L. 2313-2 du code du travail, les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil ;

2° / en tout état de cause qu'il résulte de l'article L. 422-1-1 devenu l'article L. 2313-2 du code du travail que le juge prud'homal saisi sur le fondement de ce texte doit se prononcer sur la réalité de l'atteinte aux libertés fondamentales alléguée, et qu'il peut, le cas échéant, prescrire toutes les mesures propres à la faire cesser ; que ce texte a pour objet de mettre un terme à une atteinte avérée aux libertés, non de permettre la recherche de son existence éventuelle ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu qu'il était « possible » qu'en procédant à une enquête sur les ordinateurs mis à la disposition des salariés par l'entreprise, l'employeur ait eu accès à d'éventuels messages personnels pour lui enjoindre de procéder à une enquête aux fins de déterminer si tel avait bien été le cas ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a prescrit des mesures ne relevant pas de son office et violé l'article L. 422-1-1 du code du travail devenu l'article L. 2313-2 du code du travail ;

3° / que seuls les mails identifiés par le salarié comme personnels relèvent de sa vie privée ; que dès lors, en enjoignant à l'employeur de mener une enquête sur les courriels qui, indépendamment de leur qualification de « personnels », seraient susceptibles d'être « considérés comme tels du fait de leur classement », la cour d'appel a violé l'article L. 120-2 devenu l'article L. 1121-1 du code du travail, l'article L. 422-1-1 devenu l'article L. 2313-2 du code du travail, les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil ;

Mais attendu d'une part qu'aux termes de l'article L. 2313-2 du code du travail, si un délégué du personnel constate qu'il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique ou mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l'employeur et, en cas de carence de celui-ci ou de divergence sur la réalité de cette atteinte et à défaut de solution trouvée avec lui, il saisit le bureau de jugement du conseil de prud'hommes qui peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte ; que, d'autre part, sauf risque ou événement particulier, l'employeur ne peut ouvrir les messages identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l'ordinateur mis à sa disposition qu'en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé ;

Et attendu que la cour d'appel a retenu que si, à la suite d'un " incident de sécurité ", l'employeur avait pu confier, conformément à sa charte informatique, une enquête spécifique à l'administrateur des systèmes soumis à une obligation de confidentialité sur les ordinateurs mis à la disposition des salariés, il était toutefois possible qu'au travers d'une telle enquête de grande amplitude et en l'absence de référence aux courriels personnels, l'employeur ait eu accès à des messages personnels ; qu'en ordonnant à l'employeur d'organiser une enquête avec les délégués du personnel sur les conditions dans lesquelles avaient été consultées et exploitées en janvier 2006 les messageries de 17 salariés et notamment de rechercher si des messages qualifiés de personnels ou pouvant, de par leur classement, être considérés comme tels avaient été ouverts dans le seul cadre de la mission confiée à l'administrateur réseaux ou s'ils l'avaient été par l'employeur, la cour d'appel s'est bornée à permettre tant à l'employeur qu'aux représentants du personnel d'être éclairés sur la réalité de l'atteinte portée aux droits des personnes et aux libertés individuelles dans l'entreprise et d'envisager éventuellement les solutions à mettre en oeuvre pour y mettre fin ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Sanofi chimie aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Sanofi chimie à payer la somme globale de 2 500 euros à MM. X... et Y... ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin deux mille neuf.