Le caractère dicriminatoire de ce dispositif a été posé pour la première fois dans une affaire soumise au Tribunal Administratif de Saint Martin (TA Saint-Martin, 30 juin 2014, n° 1100032).
Après avoir attribué à un fonctionnaire de police affecté sur l'île de Saint Martin, la première tranche de l’indemnité particulière de sujétion et d’installation (IPSI), qui est l'ancêtre de l'indemnité de sujetion géographique qui nous occupe dans cet article, le service paye de la la Préfecture de Guadeloupe avait appliqué à celui-ci un trop perçu sur traitement, après s'être apperçu que celui-ci avait déjà perçu la Prime Spécifique d'Installation à l'occasion d'une première affectation en métropole (voir article précédent pour la distinction entre les deux mécanismes de prime).
Pour contester ce trop-perçu, le fonctionnaire avait fait le choix d'un recours en annulation en invoquant notamment deux moyens d'illégalité fondés, l'un sur l'erreur de droit, l'autre sur la rupture d'égalité de traitement.
Sur le premier moyen, le tribunal a jugé logiquement que dès lors qu’il ressortait des pièces du dossier et qu’il n’était pas contesté, que le policier avait perçu la prime spécifique d’installation, il ne pouvait, dès lors, en application des dispositions des textes susvisés prétendre au versement de l’IPSI.
Toutefois, sur le second moyen, la motivation du juge administratif était plus contestable. En effet, le tribunal estime que : "les fonctionnaires de l’Etat et les magistrats, titulaires ou stagiaires, affectés dans un département ou un territoire d’outre-mer qui n’ont pas perçu la prime spécifique d’installation au cours de leur carrière ne sont pas placés dans une situation identique à celles des mêmes agents qui l’ont perçu et qui, reçoivent une première affectation outre-mer ; qu’il en résulte que M. X n’est pas fondé à soutenir que le fait de réserver l’indemnité particulière de sujétion et d’installation seulement aux premiers serait constitutive d’une atteinte, au détriment des seconds, au principe d’égalité de traitement entre agents publics placés dans une même situation ;"
Cette logique repose sur une appréciation de la discrimination fondée sur le caractère exclusivement direct du critère discriminatoire, ce qui est contraire au droit Communautaire et à la loi depuis 2008.
La discrimination directe et la discrimination indirecte sont deux concepts juridiques distincts, définis et illustrés par la loi et la jurisprudence.
- Discrimination directe : La discrimination directe se produit lorsqu'une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aurait été dans une situation comparable, en raison d'un motif prohibé tel que l'origine, le sexe, l'âge, l'état de santé, etc (LOI n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations). Par exemple, refuser de recruter une personne en raison de son âge ou de sa couleur de peau constitue une discrimination directe.
- Discrimination indirecte : La discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre entraîne, pour des motifs prohibés, un désavantage particulier pour certaines personnes par rapport à d'autres, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés. Par exemple, une politique de recrutement qui favorise indirectement les jeunes candidats au détriment des plus âgés, sans justification objective, peut être considérée comme une discrimination indirecte.
En résumé, la discrimination directe est une inégalité de traitement explicite basée sur des motifs interdits, tandis que la discrimination indirecte résulte de pratiques apparemment neutres qui désavantagent de manière disproportionnée certaines personnes, sauf justification légitime.
Dans ce cas, il est possible de considérer que le décret qui prévoit que la PSI est attribué une seule fois au bénéfice des agents ayant leur domicile familial en outre mer, n'est pas directement discriminatoire. En revanche, comme cette prime bénéficie statistiquement majoritairement au agent originaire d'outre-mer, elle créé indirectement une distinction prohibée selon l'origine, distinction qui a des conséquences financières importante.
Il semblait donc que le Tribunal administratif de Saint Martin avait omis, dans son raisonnement juridique, d'appliquer la définition de la dicrimination indirecte.
Le fonctionaire n'ayant pas intejeté appel, l'état du droit en était resté à ce stade, jusqu'à ce qu'un autre policier, originaire de la Guadeloupe, qui avait été affecté en qualité d’élève gardien de la paix à l’école nationale de police de Périgueux en janvier 2002 et avait reçu, à l’occasion de cette première affectation, la prime spécifique d’installation ne se voit opposer un refus d’indemnité de sujétion géographique à l'occasion d'une affectation à Mayotte ; refus fondé sur la règle de non cumul de cette indemnité avec la prime spécifique d’installation, prévue par l’article 7 du décret du 20 décembre 2001.
Le tribunal administratif de Mayotte avait appliqué le même raisonnement que celui de Saint-Martin (TA Mayotte 21 novembre 2018). Mais, à l'occasion d'un arrêt extrèmement clair (CAA de BORDEAUX, 3ème chambre, 22 juin 2023, 21BX00970) la Cour Administrative d'Appel de Bordeaux annule ce jugement en rettenant le principe de rupture d'égalité de traitement :
"Ces dispositions, en tant qu’elles ont pour effet de priver indistinctement et sans limite de durée les fonctionnaires et magistrats ayant perçu, lors de leur première affectation en métropole, la prime spécifique d’installation, du bénéfice de l’indemnité de sujétion géographique lors de leur affectation dans un des territoires visés par le décret du 15 avril 2013, introduisent une différence de traitement sans rapport avec l’objet de cette indemnité.
L'exclusion totale de ces fonctionnaires du bénéfice de cette indemnité de sujétion géographique, alors qu’ils sont exposés à des sujétions comparables en cas d’affectation dans un de ces territoires, est ainsi contraire au principe d’égalité.
La prime spécifique d’installation, instaurée par le décret n° 2001-1225 du 20 décembre 2001, versée uniquement lors d’une première affectation en métropole, vise à favoriser la mobilité vers le territoire métropolitain des agents initialement affectés en outre-mer ou qui en sont originaires.
L’indemnité de sujétion géographique, instaurée par le n° 2013-314 du 15 avril 2013, qui peut être versée à plusieurs reprises durant la carrière, a pour objet de tenir compte des spécificités des collectivités visées par ce décret et de la difficulté d’y pourvoir les postes vacants, en renforçant leur attractivité par un mécanisme d’incitation financière.
Les dispositions de l’article 7 du décret du 20 décembre 2001, en tant qu’elles ont pour effet de priver indistinctement et sans limite de durée les fonctionnaires et magistrats ayant perçu, lors de leur première affectation en métropole, la prime spécifique d’installation, du bénéfice de l’indemnité de sujétion géographique lors de leur affectation dans un des territoires visés par le décret du 15 avril 2013, introduisent une différence de traitement sans rapport avec l’objet de cette indemnité.
Leur exclusion totale du bénéfice de cette indemnité de sujétion géographique, alors qu’ils sont exposés à des sujétions comparables en cas d’affectation dans un de ces territoires, est ainsi contraire au principe d’égalité."
Par un jugement récent, le tribunal administratif de Mayotte a appliqué cette nouvelle position et écarté le principe de non cumul au motif de la rupture d'égalité de traitement (TA Mayotte, 25 oct. 2023, n° 2104220).
Pourtant, force est de constater que les décrets prévoyant l'Indemnité de Sujetion Géographique et la Prime Spécifique d'Installation n'ont pas été modifiés à ce jour et que les administrations continuent à refuser le cumul de ces indemnités à ceux des fonctionnaires qui ont bénéficié de la seconde au début de leur carrière.
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