Pour en savoir plus : voir « Traité de la responsabilité des constructeurs », par A. CASTON, F.-X. AJACCIO, R. PORTE et M. TENDEIRO, 7ème édition (960 pages), septembre 2013, éd. « Le Moniteur », page 502.

C'est avec infiniment de plaisir que je salue le retour dans ces colonnes de M. Jean-Luc BOUGUIER. Les lecteurs de ce blog avaient déjà pu (trop rarement...) apprécier la finesse de ses analyses. Le Grenelle 2 l'a toujours passionné, à juste titre. Je le remercie de cette intéressante contribution.

AC

A l'heure où le Grenelle 2 entre en application, nombreux sont ceux qui s'interrogent, et depuis assez longtemps, sur le contentieux qui émergera sans doute dans quelques mois sur le sujet.

Il m'est arrivé à quelques reprises de prendre position publiquement au cours des deux dernières années contre l'extension de la notion d'impropriété à destination à ce concept nouveau qu'est la performance énergétique.

Cette position, que certains défenseurs de la loi pourraient qualifier de rétrograde, n'est pas dictée par le conservatisme intellectuel présupposé des juristes, et pas davantage par la frilosité des assureurs à prendre des risques.

Non, cette position est dictée par une idée simple, une idée que l'on pourrait énoncer ainsi : le principe de cohérence.

Le principe de cohérence consiste à ne pas détourner les lois de leurs objectifs initiaux, sous prétexte qu'il «faut faire avec ce qu'on a».

Le principe de cohérence consiste à aller jusqu'au bout d'une démarche législative en prévoyant en amont quel système de responsabilité garantira l'efficacité de la mesure.

Cela nécessite certes de la volonté, mais aussi du discernement et un peu de bon sens. Qualités rares et précieuses de nos jours.

Fort heureusement, les juges n'en manquent pas, et il faut garder confiance dans les capacités qui sommeillent en chacun de nous à percevoir ce qui est raisonnable.

Pour en revenir à notre sujet, quelques illustrations jurisprudentielles me confortent dans ce postulat.

Le juge administratif : une approche circonspecte.

Un arrêt de la Cour d'appel de Nantes du 21 décembre 2012, publié sur le blog le 15 janvier, vient détailler le raisonnement qui aboutit à rejeter l'impropriété à destination.

Nous étions dans le schéma classique du bâtiment scolaire qui souffre d'un défaut de conception inhérent à son cahier des charges : le besoin de luminosité. L'importance des surfaces vitrées engendre alors deux grands maux : il y fait trop froid l'hiver et trop chaud l'été.

La surchauffe est identifiée depuis longtemps comme une cause d'impropriété à destination, même si la période d'utilisation des salles est courte. En revanche, l'appréciation des inconvénients hivernaux sont discutés. Au-delà de la sensation de froid à proximité des vitrages, la question porte sur le calcul de la dépense énergétique des bâtiments.

Nous sommes ici en plein dans le sujet : la surconsommation est-elle un désordre décennal ?

Le juge administratif répond dans cette affaire clairement par la négative, mais, par un arrêt du décembre 2011, le Conseil d'Etat avait déjà statué implicitement en ce sens (arrêt Commune du Mouans- Sartoux). La cour de Marseille avait en effet jugé que la surconsommation en période hivernale d'une école primaire, dès lors que la température de confort de 19 degrés était atteinte, n'emportait pas en soi impropriété à destination de l'ouvrage.Le Conseil d'Etat avait alors rejeté le motif de dénaturation de l'article 1792.

Le juge civil : un certain attentisme.

Un arrêt du 10 janvier 2012 avait déjà écarté la garantie décennale par adoption de motifs à propos d'une installation de chauffage:«Attendu qu'ayant relevé que le système de chauffage était constitué d'un plancher chauffant et rafraîchissant sur pompe à chaleur au rez-de-chaussée, ce dont il résultait que l'installation ne constituait pas un élément d'équipement dissociable, et qu'il était affecté de désordres qui ne compromettaient pas sa solidité et ne le rendaient pas impropre à sa destination, mais affectaient les conditions de confort de l'occupation de certaines parties de l'habitation et que ces désordres trouvaient leur source dans un sous dimensionnement de la pompe à chaleur, accompagné d'un surdimensionnement des résistances électriques, la cour d'appel, qui a exclu à bon droit l'application des garanties légales des articles 1792 et suivant du code civil et qui a retenu une faute de M. X... dans la réalisation de l'ensemble de l'installation de chauffage, a légalement justifié sa décision »

En l'espèce, l'occupant dénonçait la surconsommation engendrée, en dessous de 7°, par lesous-dimensionnement du système hybride PAC /chauffage électrique. L'élément déterminant pour les magistrats d'appel reposait dans le caractère très ponctuel des quelques pannes du système, le véritable problème étant l'inconfort en période très froide et la surconsommation liée au sous-dimensionnement de la PAC. En tant qu'élément d'équipement, certes indissociable, le chauffage fonctionnait mal, mais il fonctionnait quand même.

Une solution identique a été adoptée à propos des bardages isolants dans un arrêt du 9 mai 2012 (11-14098) : «Attendu qu'ayant souverainement relevé qu'il ne résultait pas du rapport d'expertise que les désordres affectant le bardage compromettait la solidité de l'ouvrage ou le rendait impropre à sa destination dans le délai d'épreuve de la garantie décennale, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter, a pu en déduire que les conditions d'application de l'article 1792 du code civil n'étaient pas réunies ».

Une critique était formulée à l'encontre d'une décision d'appel concernant un bardage sur une maison neuve. Il existait des défauts de pose (pas d'étanchéité sur les raccords entre les isolants, une lame d'air insuffisante et l'existence de ponts thermiques) qui avaient amené l'expert judiciaire à conclure que le bardage devait être déposé et intégralement refait. Mais le juge avait dénié l'impropriété à destination puisque ces malfaçons et non conformités n'aboutissaient pas à la manifestation matérielle d'un désordre dans le délai d'épreuve.

Enfin, un dernier arrêt du 5 décembre 2012 semble indiquer que le juge civil n'est pas spécialement enclin à se livrer à l'inquisition dans cette chasse au gaspi : «Attendu qu'ayant relevé que le désordre n'était qu'éventuel et ne pouvait pas être constaté sauf à démolir l'ensemble des cloisons de doublage, la cour d'appel en a exactement déduit que la demande formée au titre de l'isolation thermique devait être rejetée ».

Ici, les acquéreurs avaient émis des réserves à la réception sur la conformité de l'ouvrage à la RT. Cependant, l'expert judiciaire avait éludé cette demande en précisant que seule une démolition de l'ensemble des doublages apporterait la réponse à la question (et pourquoi pas quelques sondages plutôt ?L 'histoire ne le dit pas). Devant la Cour de Cassation, le motif de pourvoi attaquait l'arrêt d'appel sur la charge de la preuve, en prétendant que, nonobstant le régime de responsabilité contractuelle, il appartenait au vendeur de prouver la conformité dès lors que ce point faisait l'objet d'une réserve.

Le législateur :après l'audace, l' atermoiement .

Pour autant, énoncer que l'impropriété à destination n'est pas la qualification juridique la plus adéquate pour sanctionner le défaut de performance énergétique ne résout pas la question fondamentale : comment garantir l'efficacité du Grenelle 2, et donc l'efficacité énergétique des bâtiments ?

L'alternative entre la garantie décennale et la responsabilité de droit commun ne satisfaisant pas les différents protagonistes, la réflexion est engagée depuis plus d'un an.

Une proposition de texte a ainsi été rédigée il y a quelques mois au sein de la FFSA : un nouvel article du code civil, intitulé provisoirement 1792-8.

Ce projet prévoit d'inclure une responsabilité contractuelle pour faute des constructeurs en cas de dépassement de la consommation conventionnelle, responsabilité qui se prescrirait par cinq ans à compter de la réception.

Adossée à cette responsabilité spécifique, les assureurs proposeraient une garantie facultative aux constructeurs, à l'image de la garantie facultative des existants proposée lors de la souscription d'une police DO depuis la refonte des clauses types.

Cette proposition est controversée. On lui reproche notamment de compliquer encore la responsabilité des constructeurs en créant une responsabilité à mi-chemin entre la décennale et le droit commun.

Ceci est en partie vrai puisque la réforme du code civil avait réussi à maintenir la cohérence prétorienne en alignant les deux responsabilités sur une durée de prescription identique : dix ans après la réception.

Pour autant, la loi Spinetta admettait à l'origine l'étalement des prescriptions à travers la garantie d‘achèvement, la garantie des désordres phoniques, ou la garantie des éléments dissociables.

Le projet d'article 1792-8 va dans ce sens en adaptant l'exigence du Grenelle 2 à une durée d'épreuve raisonnable : 5 ans.

Ce délai de 5 ans existe déjà dans notre système depuis 2008, mais surtout, il se rapproche de la garantie biennale de bon fonctionnement qui sera également impactée en cas de dysfonctionnement du chauffage/climatisation ou des panneaux photovoltaïques.

Le système présenterait alors une cohérence- relative- dans la durée d'épreuve de l'ouvrage :

- Une garantie de 2 ans pour pallier aux problèmes de pannes (ou de maintenance) du chauffage : climatisation.

- Une responsabilité de 5 ans si l'ouvrage ne répond pas aux attentes (théoriques, faut-il rappeler) en matière d'économie d'énergie.

- Une responsabilité de 10 ans si, indépendamment de la surconsommation, ces non conformités compromettent l'usage ou l'occupation du logement dans le délai d'épreuve

Enfin, on peut s'interroger sur la pertinence qu'il y aurait à mettre en conformité des ouvrages en fin de période décennale, alors que ceux-ci auraient surconsommés pendant des années en toute impunité.

Si l'on veut que le Grenelle 2 soit efficace rapidement, alors la mise en conformité des bâtiments nouvellement livrés doit s'effectuer rapidement. Les économies d'énergie n'en seront que plus grandes.

Je ne vois pas bien dans cette logique l'intérêt d'une responsabilité de longue durée.

Jean Luc Bouguier.