La construction d’une maison individuelle doit, en principe, faire l’objet d’un contrat de construction régulièrement formalisé. Toutefois, certaines situations peu orthodoxes surviennent parfois : un constructeur entreprend l’édification de l’ouvrage sans contrat écrit, ou avec un contrat lacunaire, le client s’acquitte de paiements échelonnés, et, in fine, ce dernier refuse de régler le solde. Les enjeux juridiques se révèlent alors délicats : quid de la validité du contrat au regard du Code de la construction et de l’habitation (CCH) ? Le maître d’ouvrage peut-il retenir le paiement final ? Qu’advient-il des garanties légales en l’absence de procès-verbal de réception ?

Les précisions ci-après, notamment au regard de l’article L. 232-1 du CCH et de sa doctrine, permettent d’affiner notre précédente analyse, en insistant sur la nécessité d’un formalisme strict, sous peine de nullité.


1. Un formalisme impératif pour le contrat de construction de maison individuelle (CCMI)

1.1. L’exigence de l’écrit

Contrairement à un simple contrat d’entreprise régi par le Code civil, la construction de maison individuelle est soumise à un régime spécial prévu au Code de la construction et de l’habitation. Aux termes de l’article L. 231-1 CCH (contrat avec fourniture de plan) et de l’article L. 232-1 CCH (contrat sans fourniture de plan), il est obligatoire d’établir un écrit pour encadrer le projet. Les dispositions suivantes, prévues à l’article L. 232-1, sont particulièrement contraignantes :

  • Désignation du terrain (art. R. 232-3 CCH) : mention de l’adresse, de la surface et de la référence cadastrale ;
  • Consistance et caractéristiques de l’ouvrage (art. R. 232-4 CCH) : via une notice descriptive annexée, analogue à celle de l’article R. 231-4 CCH ;
  • Prix convenu, ferme et définitif, avec éventuelles modalités de révision et de paiement ;
  • Délai d’exécution des travaux et pénalités de retard (art. R. 232-7 CCH) ;
  • Référence à l’assurance dommages devant être souscrite par le maître d’ouvrage ;
  • Mention de la possibilité, lors de la livraison, de se faire assister d’un professionnel ;
  • Engagement du constructeur de justifier de la garantie de livraison au plus tard le jour de l’ouverture du chantier.

Le non-respect de l’une de ces mentions peut entraîner la nullité du contrat (v. CA Aix-en-Provence, 3e ch., 22 nov. 2001, AIS, Constr.-urb. 2002, comm. 137). Autrement dit, si le constructeur réalise des travaux de construction de maison individuelle sans jamais établir le contrat écrit exigé, il s’expose à de très sérieuses difficultés.

1.2. La frontière entre “avec” et “sans” fourniture de plan

Même lorsque le contrat est dit “sans fourniture de plan”, il arrive qu’un document graphique soit annexé, établi par un tiers (architecte, bureau d’études, etc.) et transmis par le maître d’ouvrage. Cela ne bascule pas automatiquement dans le régime du contrat “avec fourniture de plan” visé à l’article L. 231-1 CCH, tant que le constructeur n’assume pas la conception. Il s’agit là d’une distinction subtile, mais juridiquement importante, car le régime applicable dépend de la provenance du plan.

Néanmoins, que le constructeur fournisse ou non le plan, la règle d’or demeure : il faut un écrit reprenant les clauses obligatoires du CCH, sous peine de se voir opposer la nullité du contrat.


2. Les conséquences pratiques de l’absence ou de l’insuffisance du contrat

2.1. Le risque majeur de nullité

Si un contrat aurait dû relever du CCMI (avec ou sans fourniture de plan), mais n’a pas respecté les formalités impératives (absence d’écrit, clauses incomplètes…), le juge peut prononcer la nullité de l’acte. Les effets sont particulièrement sévères :

  • Le maître d’ouvrage peut contester le prix établi et tenter d’échapper au paiement du solde ;
  • Le constructeur, quant à lui, se retrouve dans une situation de grande insécurité pour exiger le règlement des travaux ;
  • Les garanties légales (livraison, assurance dommages, etc.) ne sont pas correctement mises en place.

2.2. Le paiement et le principe de l’enrichissement injustifié

En droit civil, l’entrepreneur qui a exécuté des travaux peut tenter de réclamer le paiement sur le fondement :

  1. Du contrat tacite (art. 1101 et s. du Code civil), si le juge considère qu’un accord de volontés s’est matérialisé à travers les acomptes et l’exécution des travaux ;
  2. De la théorie de l’enrichissement injustifié (art. 1303 et s. du Code civil), si l’on ne peut établir l’existence d’un contrat mais que, manifestement, le maître d’ouvrage s’enrichit au détriment du constructeur.

Néanmoins, dès lors que les conditions du CCMI sont réunies, il y a primauté du formalisme imposé par le CCH. En cas de construction de maison individuelle, la jurisprudence considère généralement que l’absence d’écrit – ou l’absence de clauses essentielles – conduit à l’irrégularité. Le juge pourra donc annuler le contrat plutôt que de simplement requalifier la situation en contrat d’entreprise tacite.

2.3. Le maître d’ouvrage peut-il retenir la totalité du paiement ?

Le Code civil et le Code de la construction et de l’habitation n’autorisent pas le maître d’ouvrage à se soustraire totalement à son obligation de payer lorsque les travaux sont effectivement réalisés et conformes. Toutefois :

  • En présence de désordres ou de non-conformités, le maître d’ouvrage peut retenir une fraction du solde jusqu’à régularisation (art. 1219 et 1220 du Code civil, sur l’exception d’inexécution) ;
  • S’il existe des manquements plus graves, il peut solliciter la réduction du prix ou la réparation des défauts, voire engager la responsabilité du constructeur (art. 1792 et s. du Code civil).

Mais un refus pur et simple, sans justification, d’honorer le prix final expose le maître d’ouvrage à une action en justice par l’entrepreneur, lequel peut obtenir paiement intégral si les malfaçons ne sont pas avérées.


3. L’absence de réception formalisée : impacts sur les garanties légales

3.1. Le procès-verbal de réception

La réception (art. 1792-6 du Code civil) marque l’achèvement de l’ouvrage et déclenche les garanties légales (parfait achèvement, garantie biennale, garantie décennale). En principe, elle fait l’objet d’un PV de réception détaillé permettant de formuler les réserves éventuelles.

Faute de PV écrit, la jurisprudence admet la réception tacite en cas de prise de possession sans contestation sérieuse (v. Cass. 3e civ., 8 sept. 2016, n° 15-19.121). Toutefois, l’absence de document contradictoire rend plus difficile la preuve des réserves et complique l’application des garanties.

3.2. La distinction entre livraison et réception

En matière de CCMI, les pénalités de retard courent jusqu’à la livraison (et non jusqu’à la réception), comme l’a confirmé la Cour de cassation (v. Cass. 3e civ., 16 juin 2015, n° 13-11.609). Cette précision s’ajoute à la complexité du régime et justifie davantage l’importance d’un contrat en bonne et due forme :

  • La “livraison” est l’acte par lequel le constructeur met l’ouvrage à disposition du maître d’ouvrage ;
  • La “réception” est l’acte par lequel le maître d’ouvrage accepte formellement (ou tacitement) l’ouvrage, faisant courir les garanties légales.

Conclusion et conseils pratiques

  1. Formalisme obligatoire en CCMI

    • Que ce soit avec ou sans fourniture de plan, l’écrit est incontournable (art. L. 231-1 et L. 232-1 CCH). L’étude rappelant l’obligation de mentionner précisément le terrain, les caractéristiques de l’ouvrage, le prix, etc., souligne que l’absence de ces clauses peut conduire à la nullité.
  2. Sanction sévère : la nullité du contrat

    • En cas d’omission d’une mention obligatoire, le maître d’ouvrage et le constructeur s’exposent à de lourdes conséquences, la nullité pouvant être prononcée au détriment de l’une ou l’autre partie.
  3. Paiement du solde et droits du maître d’ouvrage

    • Le client a le droit de retenir une partie du paiement pour malfaçons ou défauts de conformité. Mais un refus total et injustifié de payer est illégal et expose à une action en recouvrement, voire à des dommages-intérêts.
  4. Recours subsidiaire à la notion de quasi-contrat

    • Si, par extraordinaire, le CCMI n’est pas applicable (travaux hors champ, mission différente…), l’entrepreneur peut s’appuyer sur l’accord verbal et les paiements effectués pour se prévaloir d’un contrat tacite, ou, à défaut, sur l’enrichissement injustifié (art. 1303 C. civ.). Toutefois, si le régime du CCMI s’impose, ces mécanismes de droit civil risquent de ne pas écarter la nullité.
  5. Réception et garanties

    • L’absence de procès-verbal de réception n’empêche pas la réception tacite, mais rend plus complexe la preuve de la conformité et la liste des éventuelles réserves.
    • Les pénalités de retard en CCMI se calculent jusqu’à la “livraison” et non jusqu’à la “réception”, ce qui peut influer sur le montant dû.