Gazette du Palais > Actualités professionnelles > (Tribune) L’avocat, auxiliaire de pénurie ?

L’avocat est auxiliaire de justice qui concourt au service public de la justice. Cependant, certains en déduisent un sens qui n’est pas le bon, en se contentant de l’étymologie : l’auxiliaire, un subalterne qui aide temporairement ou accessoirement, impliquant une obéissance incompatible avec notre indépendance. C’est la raison pour laquelle beaucoup préfèrent le terme « acteur de la justice » comme écrit dans l’arrêt Morice c/ France.

L’avocat n’est pas auxiliaire du juge mais auxiliaire du justiciable : auxilium, un secours.

L’avocat n’est pas un grain de sable dans les rouages de l’Institution mais un contre-pouvoir pour l’équilibre des balances, un auxiliaire contraire d’un accessoire. C’est la raison pour laquelle, autrefois, l’avocat ne se découvrait que devant la Loi, mais plaidait revêtu de sa toque comme signe de son indépendance vis-à-vis du juge, envers qui il doit courtoisie mais non déférence. Être auxiliaire de justice pour l’avocat n’implique jamais docilité vis-à-vis du juge, y compris vis-à-vis de ses exigences de gestion, si malheureuses soient-elles.

En ces temps de « clochardisation » de la justice dont la faillite est aggravée par la pandémie, les juridictions exsangues se retournent vers les avocats pour leur demander de collaborer à une productivité judiciaire sans moyens, quitte à renoncer aux exigences d’une justice de qualité.

 

Il nous est vanté de déjudiciariser en oubliant le rôle de paix sociale de l’office du juge.

Il nous est sommé d’accepter des réformes procédurales complexifiant nos tâches jusqu’à l’excès, parfois jusqu’à l’inéquité, dans le but d’alléger les juridictions.

Il nous est conseillé de déposer plutôt que de plaider comme si le verbe n’était plus qu’un folklore.

Il nous est enjoint de plaider sans client ou de quitter la salle.

Il nous est prié de ne pas faire de difficultés s’il n’y a pas de greffier.

Il nous est écrit de renoncer aux incidents de mise en état si nous voulons voir l’affaire réglée avant 3 ans.

Il nous est demandé d’accepter des délais inacceptables et de les expliquer à nos clients.

Il nous est demandé d’être auxiliaires de la pénurie.

Nous refusons ce rôle.

Nous serons toujours présents pour un dialogue entre nos professions permettant de comprendre les contraintes de chacun ou pour l’adoption de conventions locales permettant de faciliter nos tâches respectives. Nous connaissons les terribles conditions de travail imposées à nos partenaires de justice que sont magistrats et greffiers. Nous sommes solidaires de leur combat ; il est aussi le nôtre.

Mais notre mission est la cause des hommes que nous défendons. Elle est donc de refuser de céder aux impératifs de la pénurie en renonçant aux exigences de qualité.

N’ayons pas peur de cette « culture de l’affrontement » et rappelons-nous des mots de Victor Hugo cités par le procureur général Jean-Claude Marin devant la Cour de cassation : « la justice et la liberté sont faites pour s’entendre. La liberté est juste et la justice est libre ».

 

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