Travaux dits supplémentaires : l'action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l'appauvrissement est dû à la faute de l'appauvri

 

Cour de cassation - Chambre civile 3

  • N° de pourvoi : 21-22.010
  • ECLI:FR:CCASS:2024:C300451
  • Non publié au bulletin
  • Solution : Cassation partielle

Audience publique du jeudi 05 septembre 2024

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon, du 10 juin 2021

Président

Mme Teiller (président)

Avocat(s)

SARL Le Prado - Gilbert, SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 septembre 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 451 F-D

Pourvoi n° G 21-22.010




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 SEPTEMBRE 2024

La société Clos des mûriers, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 21-22.010 contre l'arrêt rendu le 10 juin 2021 par la cour d'appel de Lyon (3e chambre A), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Go services, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société BC ingénierie, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

La société BC ingénierie a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Brillet, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société civile immobilière Clos des mûriers, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Go services, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société BC ingénierie, après débats en l'audience publique du 18 juin 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Brillet, conseiller rapporteur, M. Boyer, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 10 juin 2021) et les productions, la société civile immobilière Clos des mûriers (la SCI) a entrepris de créer un lotissement de douze villas individuelles.

2. Sont notamment intervenues à l'opération de construction la société BC ingénierie, en charge des missions d'économiste, ainsi que de maîtrise d'oeuvre d'exécution et d'ordonnancement, pilotage et coordination (OPC), et, selon marché du 18 février 2015, la société Go services, en charge du lot VRD.

3. La société Go services a établi un devis complémentaire le 9 avril 2015, portant sur des travaux de VRD des parties privatives, pour un montant total de 190 181,86 euros TTC, sur lequel a été portée la mention « bon pour exécution », signée par le représentant de la société BC ingénierie.

4. La SCI ayant refusé de payer ces travaux complémentaires, la société Go services a assigné en paiement la société BC ingénierie devant un tribunal de commerce, laquelle a appelé en garantie la SCI.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

5.La société BC ingénierie fait grief à l'arrêt de la condamner à verser une certaine somme à la société Go services, alors :

« 1°/ qu'il y a novation par changement de l'objet lorsque le créancier accepte l'engagement du débiteur de lui fournir une prestation différente de celle initialement stipulée ; qu'en décidant que le marché de travaux du 18 février 2015 n'inclurait pas les parties privatives dès lors que « le devis émis par Go services le 24 septembre 2014 sur 4 pages à l'attention de la SCI mentionne expressément en tête du document « travaux ne comprenant pas l'aménagement des, parties privatives », que « le marché de travaux du 18 février 2015 conclu entre Go services et la SCI qui vise expressément un coût de 107 145 euros HT et 128 454 euros TTC se réfère nécessairement aux travaux mentionnés sur le devis du 24 septembre 2014 portant sur le même objet et le même montant » et que, « si le CCTP produit par BC ingéniérie confirme la nature et le détail des travaux du lot 01 « terrassement VRD » en visant l'ensemble des travaux concernant les parties communes et privatives, le devis accepté par la SCI a exclu les parties privatives », sans rechercher, comme elle y était invitée, si le marché de travaux conclu le 18 février 2015, soit postérieurement au devis de la société Go services du 24 septembre 2014, n'emportait pas novation du premier engagement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, ensemble les articles 1271 et 1273 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ que, la cour d'appel a elle-même relevé que « le CCTP produit par BC ingénierie confirme la nature et le détail des travaux du lot 01 « terrassement VRD » en visant l'ensemble des travaux concernant les parties communes et privatives », que « le devis [du 24 septembre 2014] accepté par la SCI a exclu les parties privatives » et qu' « il n'est pas discutable que Go services a procédé à des travaux supplémentaires sur les parties privatives, en urgence dit-elle, suivant devis ultérieur du 9 avril 2015 »; qu'en décidant pourtant que les travaux sur les parties privatives ne seraient pas des « « travaux supplémentaires » au sens du marché de travaux précité » et que « rien n'établit qu'ils soient compris dans le CCTP du lot 01 », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

3°/ que le contrat d'entreprise, relatif à de simples actes matériels, ne confère à l'entrepreneur aucun pouvoir de représentation ; que la cour d'appel, après avoir relevé que « Go services a procédé à des travaux supplémentaires [?] suivant devis ultérieur du 9 avril 2015, toujours établi au profit de la SCI », a estimé qu' « il ne peut pas être considéré que BC ingénierie a la qualité de mandataire de la SCI, ce qui ne résulte pas des contrats d'économiste, de maîtrise d'oeuvre d'exécution & OPC signés entre elles », mais que « BC ingénierie a au moins reçu mission de « gérer les travaux supplémentaires souhaités « en application de l'article 1.20 du contrat de maîtrise d'oeuvre » et qu' « en conséquence, BC ingénierie, qui a commandé les travaux litigieux en usant de sa qualité de maître d'oeuvre, doit être condamnée au paiement de la somme réclamée par Go services soit 190 181,86 euros TTC » ; qu'en statuant de la sorte, lorsque le contrat d'entreprise, relatif à de simples actes matériels, ne conférait aucun pouvoir à la société BC Ingénierie pour conclure des actes juridiques au nom de la société Clos des mûriers, fut-ce en sa qualité de maître d'oeuvre, la cour d'appel a violé l'article 1787 du code civil ensemble les articles 1984 et 1985 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. En premier lieu, la cour d'appel a retenu que, si le cahier des clauses techniques particulières du lot terrassement et VRD visait l'ensemble des travaux sur les parties communes et privatives, le marché régularisé le 18 février 2015 entre la SCI et la société Go services portait nécessairement sur les seules parties communes, dès lors qu'il se référait uniquement aux travaux mentionnés sur le devis de cette société du 24 septembre 2014, accepté par la SCI, qui avait exclu les parties privatives.

7. Elle en a, dès lors, déduit que les travaux litigieux portant sur les parties privatives, ayant fait l'objet du devis de la société Go services du 9 avril 2015, qui relevaient d'un marché distinct, ne constituaient pas des « travaux supplémentaires » au sens du marché des travaux du 18 février 2015.

8. En second lieu, elle a relevé que les travaux litigieux faisant l'objet de ce devis n'avaient été expressément commandés que par la société BC ingénierie, laquelle n'avait pas la qualité de mandataire de la SCI, et que celle-ci ne les avait pas acceptés.

9. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche visée par la première branche, qui ne lui était pas demandée, a, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la troisième branche, légalement justifié sa décision.

Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

10. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à garantir la société BC ingénierie de la condamnation prononcée contre elle, alors « que l'action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l'appauvrissement est dû à la faute de l'appauvri ; que la SCI faisait valoir que la société BC ingénierie était seule à l'origine de son appauvrissement qui trouvait sa cause dans ses manquements à sa mission d'économiste et à sa mission de maîtrise d'oeuvre et d'OPC ; que la cour d'appel s'est bornée à retenir que la SCI ne concluait qu'au débouté des prétentions de la société BC ingénierie ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était expressément invitée, si les manquements de la société BC ingénierie à ses obligations constituaient une faute susceptible de priver cette dernière société de l'action de in rem verso, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1371 du code civil dans sa rédaction applicable antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble les principes régissant l'enrichissement sans cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1371 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et les principes de l'enrichissement sans cause :

11. Il résulte de l'application de ces texte et principes que l'action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l'appauvrissement est dû à la faute de l'appauvri.

12. Pour condamner la SCI à garantir la société BC ingénierie de la condamnation prononcée contre celle-ci au bénéfice de la société Go services au titre des travaux réalisés sur les parties privatives, l'arrêt retient que les travaux litigieux ont été réalisés à son seul profit et que, si elle conteste devoir en acquitter le prix, elle ne conclut qu'au rejet des prétentions de la société BC ingénierie sans engager la responsabilité de celle-ci ni demander à son encontre des dommages-intérêts.

13. En se déterminant ainsi, sans s'expliquer sur une éventuelle faute de la société BC ingénierie, après avoir constaté que les travaux réalisés sur les parties privatives avaient été « oubliés » par celle-ci, que les rapports d'expertise amiable avaient souligné cette omission et que la SCI n'avait pas accepté, au regard du manquement contractuel de la société BC ingénierie, les travaux complémentaires, qu'elle n'avait pas commandés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

REJETTE le pourvoi incident de la société BC ingénierie ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société civile immobilière Clos des mûriers à garantir la société BC ingénierie de la condamnation de celle-ci à payer à la société Go services la somme de 190 181,86 euros TTC, outre les intérêts moratoires au taux légal à compter du 1er mars 2017, l'arrêt rendu le 10 juin 2021 entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Condamne la société BC ingénierie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq septembre deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300451

Publié par ALBERT CASTON à 10:21  

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